Fin de l’état de grâce

Sept mois après leur arrivée aux affaires, le chef de l’État et son équipe peaufinent leurs futures réformes. En attendant, beaucoup s’impatientent : où est le changement promis ?

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 10 minutes.

Cela commence à ressembler à du désenchantement. Les 7 et 8 novembre, dans le sud-est de la Mauritanie, puis à nouveau le 13, à Zouérate, dans l’Adrar, des manifestants ont protesté à coups de pierres contre la hausse des prix. Bilan de ces émeutes d’une ampleur sans précédent : un mort. Sept mois après l’investiture du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le 19 avril, la majorité de ses compatriotes s’impatientent : où est le « changement » promis pendant la campagne électorale ? Leur quotidien ne s’est en effet pas amélioré. Il aurait même, selon certains, empiré.
Le coup d’État du 3 août 2005, qui a mis fin à près de trente ans de régime militaire, a décuplé les attentes de tous ordres. Pendant la « transition » conduite par le colonel Ely Ould Mohamed Vall et ses camarades, grands projets et échéances électorales ont entretenu l’enthousiasme. Mais, le 19 avril, le pays a fait un saut dans l’inconnu. Dans le vide, se lamentent les uns. Dans le temps long des réformes en profondeur, rectifient les autres.
Les Mauritaniens ne savent plus à quel saint se vouer. Défaut de communication ? Le style « Sidi », il est vrai, en déconcerte plus d’un. Spontanément porté à l’écoute et au dialogue, le nouveau chef de l’État est un adepte du consensus. Mais a-t-il les épaules assez larges pour diriger la Mauritanie ? Seule certitude : lui et son équipe sont au travail. Dans le secret des administrations, des réformes sont bel et bien en cours d’élaboration. Bilan d’étape.

L’amélioration du quotidien.
Les vents de l’économie ne sont pas favorables. Et le rêve pétrolier se dissipe. La Mauritanie est très loin d’être devenue le « Dubaï de l’Afrique » imaginé par certains. De 75 000 barils par jour au début de l’exploitation, en février 2006, la production est retombée à 21 000 b/j. Les réserves existent, mais le pompage se révèle plus difficile que prévu. En 2006, l’État a retiré 300 millions de dollars de l’exploitation pétrolière, dont 100 millions versés par l’opérateur australien Woodside pour régler un contentieux. Mais cette année, les recettes budgétaires atteindront péniblement 100 millions. Sans chercher plus loin, l’opinion a tendance à rendre le pouvoir responsable de cette désillusion.
Pour rationaliser la gestion des entreprises publiques, l’État a annoncé, fin octobre, une hausse des tarifs de l’électricité (entre 5 % et 21 %). C’est naturellement la conséquence directe de la flambée des cours mondiaux des hydrocarbures, mais aussi de la diminution des subventions publiques allouées à la Société mauritanienne d’électricité (Somelec), structurellement déficitaire. Le 6 novembre, les prix de l’essence à la pompe ont à leur tour augmenté de près de 10 %. Début septembre, ceux du pain, du sucre et du riz avaient déjà crû dans des proportions importantes (15 %). « Nous sommes dans un système libéral, explique un économiste, mais certains marchés restent tenus par des cartels. L’État ne joue pas son rôle de régulateur. » Au lendemain des manifestations, celui-ci a néanmoins pris des engagements en ce sens.
De manière générale, les Mauritaniens sont favorables à une intervention accrue des pouvoirs publics. À preuve, la polémique sur le thème du « bradage du patrimoine national » provoquée, en octobre, par les convoitises affichées par Lakshmi Mittal, le géant indien de l’acier, pour la Société nationale industrielle et minière (Snim). Simultanément, le gouvernement s’efforce de mettre en place une gestion rigoureuse des finances publiques, par le biais notamment de l’inspection générale d’État. Las, la population tarde à en voir les effets au quotidien. « Maaouiya Ould Taya savait au moins motiver les gens en rénovant des villes ou en lançant de grands travaux, analyse un observateur nostalgique. Là, on ne voit rien venir. »

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Le règlement du « passif humanitaire ».
Pendant sa campagne électorale comme au lendemain de son élection, Cheikh Abdallahi s’est engagé à résorber le « passif humanitaire », euphémisme pour désigner les trois plaies de l’histoire du pays : la survivance de l’esclavage ; l’exil forcé, en 1989, de plusieurs milliers de Négro-Mauritaniens au Sénégal et au Mali ; les tortures et les exactions commises contre plusieurs centaines d’entre eux, dans l’armée notamment, au tournant des années 1990.
Le 8 août, les députés ont tenu la première de ces promesses en votant, à l’unanimité, une loi criminalisant l’esclavage. Quand le texte aura été publié au Journal officiel (ce qui, fin octobre, n’était toujours pas le cas), les auteurs d’actes esclavagistes seront passibles de cinq à dix ans de prison ferme assortis d’une amende de 500 000 à 1 million d’ouguiyas (1 500 à 3 000 euros). Boubacar Ould Messaoud, président de l’association SOS Esclaves, se dit « satisfait » mais « pressé de découvrir les mesures d’accompagnement » censées donner à l’affranchi les moyens de sa liberté. Lors d’une conférence de presse à Paris, le 30 octobre, le chef de l’État s’est carrément prononcé en faveur d’une « discrimination positive ». Selon Ould Messaoud, celle-ci pourrait se traduire, entre autres, par la gratuité des études pour les enfants d’esclaves et le recrutement prioritaire de leurs parents dans l’administration.
Concernant le retour des « réfugiés » (qu’on appelle aussi « déportés »), le futur président avait fait savoir entre les deux tours de l’élection qu’il serait mis en uvre « dans un délai d’un an, voire six mois ». Depuis, des émissaires du gouvernement ont rencontré les intéressés, au Sénégal et au Mali. Un comité interministériel chargé du dossier a été constitué, et le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies s’est engagé à apporter à l’opération un soutien logistique. Seulement, voilà : les exilés ne sont toujours pas rentrés. Associations, autorités religieuses et membres du gouvernement participeront à la mi-novembre à des « journées de concertation » chargées de définir les fameuses mesures d’accompagnement. L’enjeu n’est pas mince puisqu’il s’agit de prévenir d’éventuels conflits liés à la terre et de permettre aux futurs rapatriés de subvenir à leurs besoins. Cette étape franchie, les premiers retours pourront avoir lieu. Avant avril 2008, si l’on en croit la parole présidentielle.
Quant aux réparations qui devront être versées aux victimes de tortures et d’exactions, c’est encore la valse-hésitation. L’« unité nationale », maître mot du chef de l’État, suppose que justice soit faite. Mais, comme le souligne le président d’une association de défense des victimes, « la plupart des auteurs de crimes continuent d’occuper des postes de responsabilité, dans l’armée et ailleurs ». Les défenseurs de la Cause en viennent à se demander si une réponse judiciaire collective – une commission « mettant le bourreau face à sa victime » – ne serait pas préférable. D’un côté, « Sidi » reçoit régulièrement veuves et orphelins et leur rappelle qu’ils ont la possibilité de porter plainte individuellement. De l’autre, une partie de son entourage préférerait en venir directement au « pardon » sans passer par la case « justice ». Le problème sera sans nul doute évoqué pendant les journées de concertation.

Comment tenir l’armée à distance ?
Que fait le colonel Ould Abdel Aziz, artisan du coup d’État du 3 août et commandant du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep) ? À Nouakchott, la question obsède certains observateurs. « Il tire les ficelles et indique à Cheikh Abdallahi le nom des gens à promouvoir et les têtes à couper », s’enflamme l’un. « Il vient d’échapper à une tentative d’assassinat », croit savoir l’autre. « Il se borne à exercer ses fonctions de chef d’état-major particulier du président [qu’il occupe depuis le mois d’août, NDLR] et de commandant du Basep », tempère un troisième.
Cheikh Abdallahi a beau répéter qu’il tient fermement les rênes du pouvoir, personne, du simple citoyen au diplomate, n’en est vraiment convaincu. Le 3 août 2005, en renversant Ould Taya, les militaires ont une nouvelle fois démontré qu’ils étaient loin de se désintéresser du pouvoir politique. « Sidi » a donc tout intérêt à entretenir avec eux de bonnes relations, quitte à leur donner l’impression, justifiée ou non, qu’ils exercent quelque influence. C’est probablement à ce prix que le pouvoir civil, encore fragile, réussira à s’en protéger.

L’indispensable réforme des institutions.
« Ils passent leur temps à rédiger des rapports et à faire des évaluations ! » À en croire cet intellectuel nouakchottois, l’ère Cheikh Abdallahi est celle de la paperasse et de la bureaucratie. Du temps perdu, en somme. Un proche du président s’efforce de tempérer cette opinion tranchée : « Ce n’est qu’une première étape, dit-il, et elle va porter ses fruits. »
La vérité est que le nouveau régime a hérité d’un appareil d’État désorganisé et inefficace. Masse salariale pléthorique et clientélisme figurent au nombre de ses tares Poursuivant les chantiers ouverts par la transition, le gouvernement s’emploie à le réformer. Un projet de loi de décentralisation est en préparation et devrait être adopté, espère-t-on, avant la fin de l’année. Objectif : faire en sorte que les régions ne soient plus de simples circonscriptions administratives, mais des collectivités territoriales dotées d’une autonomie économique.
Autres projets en cours d’élaboration : un texte sur la lutte contre la corruption et un autre sur la transparence financière. Ils devraient être soumis au Parlement dans les mêmes délais. La modernisation de la justice – qui n’est pas informatisée – est également à l’étude. C’est sans doute ce que Cheikh Abdallahi avait en vue en parlant, au lendemain de sa victoire, de « reconstruire notre pays sur des bases sérieuses ».
Bien sûr, il s’agit là d’un travail de longue haleine – même si certains jugent que les choses ne vont pas assez vite -, qui ne peut être mené à bien sans l’aval du Parlement. Problème : le chef de l’État est soutenu par une coalition assez hétéroclite de députés indépendants. C’est la raison pour laquelle il a chargé le ministre secrétaire général de la présidence de créer un « parti de la majorité présidentielle », censé voir le jour avant la fin du mois.

Un capital de sympathie à conserver.
Avec son épaisse moustache et ses demi-sourires, Ely Ould Mohamed Vall était parvenu à séduire la communauté internationale. Pas mal pour un colonel putschiste qui fut le directeur de la Sûreté d’Ould Taya. Après le « coup » d’août 2005, l’Union africaine, les Nations unies, l’Union européenne et les États-Unis en sont peu à peu venus à considérer avec bienveillance l’« expérience démocratique mauritanienne ».
Moins charismatique et plus âgé (69 ans) que son prédécesseur, Cheikh Abdallahi n’est qu’un civil parvenu au pouvoir par les urnes, ce qui, aux yeux de certains observateurs internationaux, a apparemment moins de panache qu’une arrivée par la force suivie d’un départ en douceur, à la « Ely ». Mais peu importe : le nouveau président apprend patiemment à connaître les partenaires étrangers de la Mauritanie.
Lui qui se plaît à affirmer que « la démocratie et la pauvreté ne font pas bon ménage » a, lors de sa récente visite officielle à Paris (27-31 octobre), emporté le soutien de Nicolas Sarkozy. Les deux pays ont signé un « document cadre de partenariat » qui prévoit le versement à Nouakchott de 96,8 millions d’euros sur cinq ans. Une aide qui devrait être amplement complétée, du 4 au 6 décembre à Paris, au cours de la réunion du « groupe consultatif » des bailleurs de fonds. Ces derniers annonceront à cette occasion le montant de leur soutien à la Mauritanie. Laquelle espère récolter 1,47 milliard de dollars pour financer son plan de développement jusqu’en 2011. Plusieurs voyages ministériels à Washington et au Moyen-Orient ont préparé le terrain. Un autre, dans les pays scandinaves, devrait suivre.
Sur le continent, le très consensuel « Sidi », qui a des liens de parenté tant chez les Maures que chez les Négro-Mauritaniens, s’entend bien avec ses voisins. Il s’est déjà rendu au Sénégal, en juillet, et devrait faire prochainement une visite officielle au Maroc (la date n’est pas encore fixée). Entre-temps, le 17 novembre, il se sera rendu en Libye

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Génération Sidi.
Comme partout en Afrique, les 18-25 ans constituent la majorité de la population mauritanienne. Ce sont eux qui se sont massivement rendus aux urnes, en mars. Eux qui rêvent d’ailleurs dans les cybercafés de Nouakchott et s’embarquent parfois sur d’improbables pirogues en partance pour l’eldorado européen. Eux qui descendent dans la rue quand les prix augmentent. Eux qui, bien sûr, ont passé le bac au mois de juin et l’ont, pour la plupart, raté. Le taux de réussite à l’examen – 7 % ! – témoigne de l’état de délabrement avancé du système éducatif, souvent imputé à la politique de scolarisation massive, au détriment de la qualité, menée par l’ancien régime.
Tout au long de sa campagne électorale, Cheikh Abdallahi n’a cessé de répéter que l’éducation constituait à ses yeux un enjeu fondamental. Seules des ressources humaines qualifiées permettront à la Mauritanie de tirer le meilleur parti de ses richesses et d’être davantage qu’une colonie pour investisseurs étrangers. Cours de soutien pour la préparation aux examens, gratuité des ouvrages et des fournitures scolaires, recensement et motivation des enseignants : un train de mesures a été lancé à la rentrée 2007, en attendant la tenue des « états généraux de l’éducation », au cours desquels toutes les parties concernées sont invitées à présenter leurs revendications et propositions, dans un esprit consensuel. Reste à en fixer la date.

Bientôt une loi sur l’audiovisuel.
Après vingt ans d’instrumentalisation, les médias mauritaniens respirent. Depuis deux ans, le carcan se desserre : fin de la censure (alors qu’au temps d’Ould Taya le ministère de l’Intérieur devait obligatoirement donner son feu vert à toute publication), davantage d’impertinence (et parfois de diffamation), moins de partialité dans la couverture des sujets par les médias publics et, dans six mois peut-être, lancement de nouvelles stations de radio et de chaînes de télévision À condition que la « loi sur l’audiovisuel » rédigée pendant la transition soit présentée devant le Parlement et adoptée.
Elle le sera « prochainement », jure le chef de l’État. Une foule de projets ont déjà été soumis à la Haute-Autorité de la presse et de l’audiovisuel (Hapa). « Il ne s’agit pas de créer une pléthore de chaînes et de stations, mais de faire quelque chose d’utile », précise Ahmedou Tidjane Bal, son président. Reste à définir le cahier des charges. Parallèlement, un décret fixant les nouveaux critères d’attribution de la carte de presse devrait être adopté « incessamment ». Bref, les textes sont prêts, il n’y a plus qu’à.

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