[Tribune] En Côte d’Ivoire, une Constitution sacrée

À quelques mois de la présidentielle, la Constitution est à nouveau au cœur des débats. Toute modification unilatérale fragilise son édifice et ravive les suspicions de la part des Ivoiriens.

Le président ivoirien Alassane Ouattara donnant un discours le 19 novembre dernier à Berlin. © John MacDougall/AP/SIPA

Le président ivoirien Alassane Ouattara donnant un discours le 19 novembre dernier à Berlin. © John MacDougall/AP/SIPA

Serge BILE © Serge Bilé, journaliste télévision, le JT de 19h. Journal télévisé
  • Serge Bilé

    Journaliste et écrivain, auteur de « Mes années Houphouët »

Publié le 3 mars 2020 Lecture : 3 minutes.

« Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante », disait Montesquieu. Pour avoir ignoré cet avertissement, la Côte d’Ivoire est minée depuis un un quart de siècle par la méfiance. La volonté des autorités de modifier de nouveau la Constitution à quelques mois de l’élection présidentielle d’octobre 2020 n’est pas faite pour arranger les choses, dans un contexte politique tendu.

On ne dira jamais assez combien une Constitution est sacrée. Elle fonde la République, régit la démocratie, garantit les libertés, sacralise les institutions, fédère un peuple. C’est parce qu’ils ont foi dans leur loi fondamentale que des hommes et des femmes unissent leurs efforts pour bâtir ensemble une nation avec un idéal commun.

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Toute modification unilatérale, qui plus est en pleine année électorale, fragilise l’édifice et ravive les suspicions. C’est vrai pour la Côte d’Ivoire et pour tous les pays qui, pour une raison ou pour une autre, sont tentés de changer les règles du jeu alors que la partie a déjà commencé – la Guinée pourra se sentir visée.

Depuis Abidjan, le président Alassane Ouattara a beau affirmer que ces changements rendront la Constitution « plus cohérente », sans intention d’éliminer « qui que ce soit », l’initiative inquiète l’opposition, qui avait boycotté le référendum de 2016.

Pierre d’achoppement

Cette année-là, la nouvelle loi fondamentale avait été approuvée par 93 % des électeurs. Mais seulement 42 % des inscrits s’étaient déplacés pour voter. Si le président ivoirien avait eu raison à l’époque de « clarifier » les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême, que dire en revanche de la création d’un poste de vice-président qui paraît d’abord répondre à un calcul politique ? En supprimant la limite d’âge de 75 ans, qui empêchait Henri Konan Bédié de se présenter, le chef de l’État ne montrait-il pas qu’il avait à cœur de ménager celui qui était, à l’époque, son allié ?

Entre Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, la Constitution a toujours été une pierre d’achoppement. En 1993, lorsque Houphouët-Boigny meurt, Alassane Ouattara s’oppose à Henri Konan Bédié et cherche à le priver de la succession. « Tout ce qui est en dehors de la Constitution équivaut à un coup d’État civil ou militaire », s’insurge alors Laurent Gbagbo. La manœuvre échoue.

Le scrutin d’octobre devrait en principe marquer le début d’une nouvelle ère politique

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En 1994, Bédié prend sa revanche. Il réforme le Code électoral et écarte la candidature de Ouattara, en réservant le poste de président de la République aux « Ivoiriens nés de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens de naissance ». « L’ivoirité est une aberration, proche des thèses de l’extrême-droite. Je me bats pour que cela ne soit jamais une idéologie populaire en Côte d’Ivoire. Là où l’être humain est né, là est sa première terre. Il décide ensuite d’être Ivoirien ou Français », s’indigne Gbagbo, allié désormais à Ouattara.

En 2000, le putschiste Robert Guéï fait adopter une Constitution qui souligne qu’il faut être « Ivoirien de père et de mère » et ne s’être « jamais prévalu d’une autre nationalité » pour se présenter à la présidentielle. Ouattara approuve le texte mais voit sa candidature rejetée par la Cour suprême pour « nationalité douteuse ».

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Ni Ouattara, ni Bédié, ni Gbagbo, ni Soro

L’élection est émaillée de violences. « Je m’engage à vous dire que nous ne réécrirons pas une autre Constitution », déclare Gbagbo, élu dans des conditions « calamiteuses ». L’ancien opposant devenu chef d’État manque, à ce moment-là, l’occasion de rebattre les cartes et de ramener la sérénité. En 2002, les rebelles passent à l’action. C’est le coup d’État mené par Guillaume Soro. De négociations en concessions, Gbagbo, Bédié, Ouattara signent un accord de paix. Un amendement est apporté à la Constitution, permettant à Ouattara d’être candidat à la présidentielle.

On connait la suite, avec la crise électorale de 2010, les exactions de part et d’autre, le coup de pouce de Nicolas Sarkozy, l’arrestation de Gbagbo, son transfert à la Cour pénale internationale (CPI) et son acquittement spectaculaire en 2019, à l’issue d’une procédure et d’un procès interminables.

À quelques mois de la présidentielle, la Constitution est à nouveau au cœur des débats. Le scrutin d’octobre devrait en principe marquer le début d’une nouvelle ère politique. Ni Ouattara, ni Bédié, ni Gbagbo, ni Soro… C’est encore ce qui pourrait arriver de mieux à la Côte d’Ivoire.

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