Cafouillages en chaîne

Plombée par le projet de fusion entre RFI, France 24 et TV5, auquel s’opposent la quasi-totalité des intéressés, la réforme de l’audiovisuel extérieur s’annonce beaucoup moins ambitieuse que prévu.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

La partie fait penser à un jeu à sommes multiples où les joueurs ne connaîtraient pas toutes les règles et où l’arbitre les découvrirait en cours de match. Ce jeu, c’est le projet de réforme de l’audiovisuel français. Les joueurs : Radio France Internationale (RFI), TV5 Monde, France 24. L’arbitre : Nicolas Sarkozy. L’objectif, le président l’a fixé dans une lettre de mission adressée à Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères : engager la « réorganisation nécessaire » de l’audiovisuel extérieur, pour mieux faire entendre le point de vue de la France dans le monde.

Tous les acteurs semblent d’accord sur la nécessité de donner plus de cohérence et d’assurer une meilleure coordination à un ensemble qui fonctionne de manière par trop dispersée. Georges-Marc Benamou, conseiller du président pour l’audiovisuel, affirme qu’« avec un peu plus de 300 millions d’euros, nous avons presque les mêmes moyens que la BBC à l’international et beaucoup plus que la Deutsche Welle. Mais il nous faut mieux utiliser ces moyens. » Le 20 novembre, il doit remettre ses propositions à Nicolas Sarkozy.
Si l’objectif semble tout à fait louable et les ambitions légitimes, ni la méthode ni les moyens ne font l’unanimité. C’est France 24, la nouvelle chaîne d’information continue, qui a donné les premiers signes de fébrilité après la publication, le 18 octobre, d’un rapport commandé par Antoine Schwarz, PDG de RFI. Rédigé par un ancien chef du service international de la « radio mondiale », Olivier Da Lage, et un expert extérieur, le journaliste Xavier Pauron, le document préconise une fusion entre RFI et France 24 en trois étapes : d’abord des « coopérations ponctuelles » entre les deux rédactions avec, à terme, un regroupement des équipes ; ensuite « une rédaction mutualisée sur un site unique » ; enfin « une rédaction commune ». Le point d’aboutissement étant, selon le rapport, le lancement d’une « nouvelle marque ».
France 24 a vivement réagi, dénonçant ce que Stanislas Léridon, directeur Internet et nouveaux médias de la chaîne, a qualifié de « scénario absurde ». « Pourquoi créer une nouvelle marque, la cinquième après RFI, TV5, Monte Carlo Doualiya et France 24 ? » s’interroge-t-il dans une tribune publiée sur le site Internet Rue89. « Ne faudrait-il pas d’abord, ajoute-t-il, réfléchir aux moyens de rationaliser les marques existantes avant d’en créer de nouvelles ? » Le PDG de la chaîne, Alain de Pouzilhac, est tout aussi sceptique : « Ça me fait sourire quand on parle de fusion, a-t-il déclaré au Monde. Encore faut-il créer de la valeur ajoutée. Il faut remettre en cause la mainmise du point de vue anglo-saxon sur le monde, mais avons-nous, RFI et France 24, les mêmes compétences, les mêmes objectifs ? »
Antoine Schwarz reconnaît qu’il souhaitait « contribuer à la réflexion générale, mais aussi peser sur les orientations qui sortiront du schéma retenu par l’Élysée ». Pour lui, « on est aujourd’hui à peu près tous d’accord sur une approche commune sur Internet. Créer un portail commun, entre les trois chaînes, nous semble être un des objectifs réalisables. Je suis plus réservé sur l’idée de fusion des rédactions avancée dans ce rapport. En revanche, je pense que nous pouvons mettre en commun l’implantation à l’étranger : on peut ainsi créer des bureaux multimédias régionaux France 24, RFI, TV5. »
En fait, l’inquiétude de France 24 est avant tout liée à la volonté de la chaîne de préserver son identité. « Nous sommes une jeune entreprise, avec à peine un an d’existence et déjà des résultats significatifs, explique Sarah Kolka-Courageux, membre du Syndicat national des journalistes (SNJ) de France 24. Nous voulons que ces résultats soient reconnus. En ce qui concerne le portail commun, nous n’avons rien contre, mais notre identité s’est également construite sur le Net, où nous réalisons des performances exceptionnelles [voir encadré]. Je ne sais pas si un tel rapprochement serait dans notre intérêt. »

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Autre inquiétude, celle manifestée du côté de TV5 Monde par les partenaires francophones de la chaîne, eux aussi réservés sur la réforme. On a frôlé la crise, le 9 novembre, lors du conseil d’administration, qui s’est tenu à Lucerne, en Suisse. Les représentants suisses, canadiens et belges ont accusé la France, qui détient 66 % du capital de la chaîne, mais la finance à hauteur de 84 %, de vouloir faire de TV5 Monde « la voix de la France ». Dans une tribune publiée le 7 novembre par les quotidiens français Le Monde et suisse Le Temps, la présidente de la Confédération suisse, Micheline Calmy-Rey, s’est dite « interpellée » par ce projet de fusion : « Les regroupements imaginés par les autorités françaises inquiètent, et nous partageons les craintes émises ces dernières semaines en Belgique et au Canada. » La ministre de la Culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse de la Communauté française de Belgique, Fadila Laanan, a, de son côté, condamné la volonté française de transformer TV5 « en instrument essentiellement au service du rayonnement international de la France ». Le cas de TV5 fait dire à une source proche du dossier que l’Élysée a oublié que cette chaîne n’est pas française, mais internationale. « Il faut croire que l’arbitre du jeu n’en connaît pas lui-même toutes les règles », ajoute-t-elle non sans malice. Malgré cette montée d’adrénaline, les ministres ont publié un communiqué commun soulignant « les principes fondateurs de TV5 : pluralisme, caractère généraliste multilatéral et diversité culturelle ».
Même à RFI, qui semble être la plus favorable à la réforme – au moins au sein de la direction -, les interrogations sont nombreuses, notamment parmi les syndicats. Le 13 novembre, le SNJ a rendu public un communiqué indiquant clairement son opposition à tout projet de fusion. Il est vrai que tout regroupement laisse généralement craindre des plans sociaux. Mais pour Georges-Marc Benamou, « la plupart de ces inquiétudes relèvent du fantasme. Nous avons l’intention de respecter l’identité de chacune des entreprises. Il y a, il est vrai, des statuts, des cultures, des spécificités distinctes. »
En dépit des réserves et des inquiétudes, la réforme se dessine, mais s’annonce, sans doute à cause des résistances, moins ambitieuse. « Une réformette », raille l’hebdomadaire Le Point. Parmi les idées qui semblent acquises, celle, défendue devant Georges-Marc Benamou par le député-maire de Cannes et ancien patron de Havas, Bernard Brochand, d’un desk polyvalent d’information basé à Paris, inspiré du modèle de la newsroom de la BBC. Une idée que soutient également Antoine Schwarz et détaillée dans le rapport d’Olivier Da Lage. Brochand est également favorable à une « mutualisation de la distribution » dans les hôtels, les compagnies aériennes, ainsi qu’à une stratégie commune de diffusion sur le câble et le satellite et au lancement d’un bouquet thématique français. Enfin, il y a l’idée d’une régie publicitaire commune sur l’international. Une idée qui a dû séduire Georges-Marc Benamou, qui rappelle que « s’il n’y aura aucune réduction budgétaire, les chaînes devront accroître les ressources propres et en particulier les ressources publicitaires ». Sur le projet de création d’un holding, une « marque ombrelle », qui effraie les partenaires francophones, le conseiller audiovisuel de Nicolas Sarkozy reste prudent : « C’est une des pistes envisagées », tempère-t-il.

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