[Tribune] Les César so white d’Aïssa Maïga

Lors de la 45e cérémonie des César, le climat était glacial, et la gêne générale. En marge de l’affaire Polanski, le discours prononcé par Aïssa Maïga sur le manque de diversité dans le cinéma français a divisé.

Aïssa Maïga lors de la 45e cérémonie des César 2020, le 28 février. © Capture d’écran

Aïssa Maïga lors de la 45e cérémonie des César 2020, le 28 février. © Capture d’écran

eva sauphie

Publié le 3 mars 2020 Lecture : 4 minutes.

« À chaque fois que je me retrouve dans une grande réunion du métier, je ne peux pas m’empêcher de compter le nombre de Noirs dans la salle. (…). J’ai fait les comptes et je crois qu’on est à peu près douze ».

À ce constat amer dressé par Aïssa Maïga, que d’aucuns ont qualifié de logique, compte tenu des 7 % de Noirs (DOM compris) en France – selon le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) – nous vient la question suivante : où sont tout simplement les Noirs dans les écoles de cinéma et de théâtre ?

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« Quand vous êtes dans les instances de décision, où vont les financements, pensez inclusion, a plaidé l’actrice membre du collectif Noire n’est pas mon métier. Vraiment, ça passera par vous aussi, parce que nous, on n’est pas assez nombreux et on n’a pas toutes les clés ».

Si l’on peut regretter la forme (un « vous » contre un « nous » qui divise et va à l’encontre d’une pensée inclusive), le fond est là. Malgré la nomination de son court-métrage Les Misérables aux César 2018, le réalisateur Ladj Ly a bien peiné à trouver des financements pour son long-métrage du même nom, réalisé avec 1,4 million d’euros, malgré un budget estimé à 3 millions.

Il a pourtant fait son film. Et c’est avec quatre récompenses qu’il est reparti de la cérémonie, loin de porter seul le drapeau de la diversité.

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Mauvais timing ?

On ne va pas commencer à dénombrer tous les acteurs non-blancs nommés ou récompensés lors de cette 45e édition, bien que l’envie nous titille.

La réalisatrice française d’origine sénégalaise Mati Diop a vu son film Atlantique nominé dans la catégorie « meilleur premier film » et « meilleure musique originale », tandis que son actrice principale, Mama Sané, a été nominée dans la catégorie « meilleur espoir féminin ». Idem pour Papicha, de la réalisatrice algérienne Mounia Meddour, qui a reçu le César du « premier film » et celui du « meilleur espoir féminin ».

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Sans oublier l’acteur français Roschdy Zem, né de parents marocains, sacré meilleur acteur dans Roubaix, une lumière (Arnaud Desplechin et Léa Mysius) pour son rôle de flic – et non de voyou. « À l’écran, je suis passé de dealer à président », avait confié l’acteur en janvier dernier, au sujet de son prochain rôle dans la série Les Sauvages.

On a survécu aux rôles de dealers, de femmes de ménage à l’accent bwana, aux rôles de terroristes…

Repenser les rôles, c’est cela dont il est question. Aïssa Maïga a mal débuté son discours en s’en prenant à la très américaine question des quotas et de la discrimination positive, lesquelles sont difficilement applicables en France. D’abord parce que les statistiques ethniques y sont interdites, ensuite parce que ce serait tomber dans l’écueil communautaire que la France n’aime pas du tout.

De plus, s’emparer du discours américain dans un contexte où le mouvement Oscars So White, initié sur Twitter, dénonçait l’absence totale d’acteurs noirs nominés aux Oscars, en 2016, semble ici disproportionné au vu du palmarès des César 2020 : question de mauvais timing ?

« Black César »

L’actrice, qui a pourtant joué des rôles non-racisés dans des films d’auteurs à succès (des Poupées russes, de Cédric Klapisch, à L’Écume des jours, de Michel Gondry, en passant par Caché, de Michael Haneke), a également souligné la question de la distribution des rôles. « On a survécu aux rôles de dealers, de femmes de ménage à l’accent bwana, aux rôles de terroristes, de filles hypersexualisées », a-t-elle martelé.

Une réalité pointée du doigt quelques jours plus tôt dans la tribune « Black César » – nommée ainsi en référence au film de blacksploitation Black Caesar – cosignée, entre autres, par Ériq Ebouaney, Olivier Assayas, Mathieu Kassovitz, Stomy Bugsy, Firmine Richard et Aïssa Maïga elle-même.

« Aujourd’hui, il n’est plus question, pour tous les professionnels du cinéma issus des immigrations et d’Outre-mer d’être assignés aux rôles secondaires et stéréotypés auxquels on les a longtemps cantonnés. Le cinéma anglo-saxon confie des rôles de premier plan à tous ses acteurs sans distinction de couleur ou d’origine et sans que cela ne nuise à sa qualité, bien au contraire ! ».

Une inclusion qui, comme le discours d’Aïssa Maïga, du mal à choisir son camp. Ne devrait-elle pas concerner toutes les minorités dites visibles ?

Problème de forme

Alors que l’actrice a d’abord dénombré les Noirs présents dans la salle, elle s’est ensuite lancée dans une énumération de qualificatifs désignant les non-Blancs, en reprenant le lexique du racisme ordinaire pour mieux tenter de le dénoncer. Les « Beurs, Noich’ » sont soudainement venus se greffer aux « Blacks » et aux « Renois », ce dernier qualificatif étant attribué par la comédienne à l’acteur blanc Vincent Cassel au vu des rôles de « banlieusards » (donc supposés de Noirs) qu’il a pu interpréter au début de sa carrière.

Un vaste problème de forme donc, symptomatique d’une époque où la parole se libère à la hâte sans se structurer. Peut-être qu’Aïssa Maïga n’avait pas suffisamment préparé son discours.

Or, on connaît les talents d’oratrice de celle qui a pris la parole pour les actrices victimes de violences et d’abus sexuels lors de la dernière édition du festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), et qui est également présidente du collectif 50/50 pour plus de parité et de diversité dans le cinéma français.

Un positionnement à la croisée de plusieurs luttes – intersectionnelles et décoloniales –  néanmoins récent pour celle qui affirmait à Jeune Afrique en 2016 : « L’essentiel pour moi, c’est de savoir comment je vais améliorer mon interprétation, aiguiser mon œil dans la lecture des scénarios, travailler mon anglais pour bosser ailleurs. Et pas de savoir si je suis discriminée ou non, ce n’est pas nourrissant ».

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