Au commencement était le pétrole

La jeune fédération des Émirats arabes unis doit son fulgurant développement à l’or noir. L’heure est à la diversification et aux investissements à l’étranger.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

L’Histoire n’a pas retenu son nom. Pourtant, le géologue néo-zélandais Frank Holmes est un pionnier. Un vrai. C’est lui qui, le premier, dans les années 1920, eut la géniale intuition de chercher du pétrole dans le sous-sol de la péninsule arabique. Le scepticisme était alors largement partagé Lorsqu’il réussit à rencontrer l’émir de Bahreïn, l’une des dix principautés tribales des États de la côte de la Trêve, celui-ci lui répondit : « Du pétrole ? Mais qu’en ferais-je ? Ce n’est pas avec du pétrole que mes gens apaiseront leur soif. Ce qu’il nous faut, c’est de l’eau ! » Malin, Holmes proposa de procéder à des forages pour rechercher de l’eau, en échange de concessions pétrolières. Marché conclu. En 1932, les premières gouttes d’or noir jaillissaient. Mais ce n’est qu’à la fin des années 1950 que la production prit véritablement son essor dans le Golfe.
En 1958, d’importantes nappes de pétrole et de gaz sont découvertes au large d’Abou Dhabi. Lorsqu’on lui rapporte la nouvelle, Cheikh Shakhbout Ibn Sultan al-Nahyane fait part de ses craintes à ses interlocuteurs désappointés : « Sans doute allons-nous devenir riches, peut-être même très riches. Mais nos traditions et les valeurs ancestrales qui cimentent nos sociétés depuis la nuit des temps risquent bien de n’y pas survivre. » Huit ans après, dépassé par les événements, l’émir abdiquait en faveur de son plus jeune frère, Cheikh Zayed Ibn Sultan al-Nahyane.
Très vite, ce dernier comprit que les protecteurs britanniques des principautés tribales de la côte de la Trêve avaient l’intention de se retirer. Et que la condition de la survie politique et de l’indépendance de leurs États passait par un regroupement. La présence d’or noir à Abou Dhabi, Dubaï et Sharjah allait inévitablement attirer les convoitises des puissants voisins, l’Arabie saoudite, bien sûr, mais aussi l’Iran impérial de Mohamed Reza Pahlavi, l’autoproclamé « gendarme du Golfe ». Cheikh Zayed entreprit donc des négociations en vue d’instaurer ce qui allait devenir, le 2 décembre 1971, la fédération des Émirats arabes unis (EAU). Sollicités avec insistance, les émirs du Qatar et de Bahreïn déclinèrent l’offre et choisirent de préserver leur indépendance. L’invasion par l’Iran de Mohamed Reza Pahlavi des îlots d’Abou Moussa et de Tomb, appartenant à l’émirat de Sharjah, en novembre 1971, leva les réticences des principautés de Dubaï, Sharjah, Ajman, Fujaïrah et Umm al-Qaïwain. Les EAU venaient de naître. Ils furent rejoints, dès février 1972, par Ras al-Khaïma.

Le Conseil suprême constitué des sept émirs, qui élit pour cinq ans le président, le vice-président, ainsi que le Conseil des ministres, est la plus haute institution de l’État. Une loi non écrite veut que la présidence revienne à l’émir d’Abou Dhabi et la vice-présidence à celui de Dubaï, issu du clan des Maktoum. Ce système politique original a démontré pour l’instant son efficacité, puisque les EAU sont une des rares fédérations à avoir résisté à l’usure du temps. Épargnés par le terrorisme et les crises dynastiques, les Émirats bénéficient d’une stabilité politique enviable. Même si l’État fédéral à la haute main sur la défense, les affaires étrangères, la monnaie et la justice, chacune des sept composantes est dotée d’un gouvernement local et conserve ses spécificités.
L’essor de la production pétrolière a entraîné un enrichissement rapide et provoqué un afflux considérable de main-d’uvre immigrée. Celle-ci réclame d’ailleurs une revalorisation des salaires (de 109 à 164 dollars par mois pour les ouvriers non qualifiés). Les nationaux représentent ainsi moins d’un cinquième des 4,3 millions d’habitants du pays. Tous les Émirats jouissent des bienfaits de l’État providence : gratuité des services de santé et de l’enseignement ; énergie subventionnée ; faible fiscalité, pour ne pas dire inexistante. Chaque jeune couple se voit attribuer un terrain à bâtir et un chèque de 17 000 euros par le Housing Fund et le Mariage Fund, deux organismes étatiques.
Ces largesses sont presque intégralement financées par Abou Dhabi, qui tient à bout de bras la Fédération. Cet émirat produit en effet plus de 90 % des 2,8 millions de barils extraits quotidiennement du sous-sol. Les réserves sont estimées à 97,8 milliards de barils, et à 6 trillions de m3 de gaz naturel, soit environ encore un siècle de production au rythme actuel ! Le budget de l’État, dont les recettes ont été dopées par la flambée des cours du brut, a dégagé un excédent de 10,5 milliards de dollars en 2005. La croissance, vigoureuse, oscille entre 8 % et 9 % par an depuis 2003, date du rebond, après deux années de déprime provoquées par l’onde de choc des attentats du 11 septembre 2001. Quant au produit intérieur brut (PIB), il s’est élevé à 158 milliards de dollars en 2006, et le revenu annuel par habitant – 31 000 dollars – est le deuxième le plus élevé de la région après celui du Qatar. Revers de la médaille : l’inflation, qui a dérapé en 2006 et s’élève maintenant à environ 12 %, en raison, notamment, de l’envolée des prix de l’immobilier.
Contrairement aux autres États rentiers du Golfe, les EAU ont réussi à diversifier leur économie d’une manière spectaculaire. La contribution des hydrocarbures au PIB a ainsi été ramenée de 70 % à 33 % en l’espace d’une décennie. Et la croissance est désormais tirée par les services, le commerce international, le transport aérien, la finance et l’immobilier. Le phénomène est encore plus spectaculaire à l’échelle de Dubaï, puisque la part du pétrole dans le PIB a chuté à 6 %. Les Émirats ont massivement investi dans les nouvelles technologies. Selon une récente étude du World Economic Forum, le pays émarge au premier rang arabe et au 28e mondial en ce qui concerne la capacité d’absorption des innovations technologiques. Les gigantesques excédents commerciaux – 50 milliards de dollars pour la seule année 2006 – ont permis d’alimenter les fonds souverains, comme l’Adia (Abu Dhabi Investment Authority), qui multiplient les investissements à l’étranger. Les EAU vont ainsi injecter plus d’une soixantaine de milliards de dollars dans des projets immobiliers aux Maghreb au cours de la prochaine décennie. Les ports, avec le rachat du britannique P&O par Dubai Ports World en 2006, les télécommunications, avec notamment le rachat de 35 % du capital de Tunisie Télécom et de 60 % de Maltacom (Malte) par Dubai Holding en 2005, la promotion immobilière ou encore l’industrie automobile, avec des prises de participation minoritaires dans le capital de DaimlerChrysler et Ferrari, constituent les cibles de prédilection des investisseurs émiratis.
Cette montée en puissance économique s’accompagne de profondes mutations sociales. Dirigeant visionnaire mais conservateur, Cheikh Zayed avait tenu à préserver Abou Dhabi des « formes acculturantes » de la modernité comme le tourisme. D’où le contraste qui a longtemps existé entre l’extravagance de Dubaï, cité cosmopolite ouverte aux quatre vents, et l’austérité d’Abou Dhabi. Un contraste en passe de s’estomper depuis l’accession à la présidence des EAU de Cheikh Khalifa Ibn Zayed al-Nahyane, en novembre 2004. Le prince héritier, Cheikh Mohamed Ibn Zayed al-Nahyane, ministre de la Défense et nouvel homme fort de l’Émirat, ne cache pas ses ambitions réformatrices. Vraie vision stratégique ou simple choix générationnel ? Toujours est-il qu’Abou Dhabi s’est lancé à son tour, et sans retenue, dans des chantiers démesurés ou dans des acquisitions de prestige, comme l’université française de La Sorbonne, qui a ouvert une antenne sur place en 2006. Le projet le plus impressionnant reste sans conteste celui de Saadiyat Island, un îlot de 2 700 hectares, installé à 500 mètres au large de la capitale, dont l’achèvement est prévu pour 2018. Ce méga-complexe touristique comprendra des hôtels, un opéra, une cité des arts, et pas moins de quatre musées de renommée internationale, dont le Louvre et le Guggenheim, spécialisé dans l’art contemporain.
Finalement, la seule ombre à ce tableau idyllique est la situation internationale de la fédération. Les EAU seraient aux premières loges en cas de conflit américano-iranien. Un scénario catastrophe dont personne ne veut entendre parler mais que chacun redoute sur les rives arabes du Golfe persique.

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