Zarqaoui : « Qui n’est pas avec moi est contre moi »

À la folie meurtrière des opérations de lutte antiterroriste répond la schizophréniesanguinaire du chef terroriste. Qui va jusqu’à menacer sa propre communauté.

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d’al-Qaïda fi bilad ar-Rafidayn (en Mésopotamie), a réussi à reléguer au second plan le soixantième aniversaire des Nations unies. Onze attentats-suicides, réglés comme une horloge suisse, ont secoué Bagdad, le 14 septembre, quelques heures avant les cérémonies onusiennes. Bilan : plus de 150 morts, trois fois plus que les attaques du 7 juillet à Londres. Le chef terroriste avait un triple objectif : marquer les esprits, notamment parmi les dirigeants de la planète réunis à New York ; démontrer l’inefficacité de la stratégie antiguérilla choisie par la coalition anglo-américaine ; et « punir » le gouvernement d’Ibrahim al-Jaafari, dominé par les chiites, en ciblant exclusivement cette communauté.
Le siège de villes considérées par l’armée américaine comme des fiefs d’al-Qaïda s’était déjà révélé peu efficace. Tour à tour, Fallouja, Ramadi, Samara et Al-Qaim ont subi
bombardements massifs et perquisitions nocturnes, maison par maison. Le bilan de ces opérations est pour le moins mitigé. Quelques insurgés abattus, des centaines de quidams
arrêtés, puis discrètement relâchés quelques mois plus tard, après moult sévices, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Résultat : une fois élargis d’Abou Ghraib ou d’un autre centre de détention, ils rejoignent la guérilla et grossissent les rangs des insurgés et leurs réseaux de soutien logistique.
Les conséquences désastreuses de cette politique ne semblent pas peser sur les choix stratégiques de la coalition. Le 10 septembre, le commandement des forces américaines en Irak demande à Ibrahim al-Jaafari de donner son aval pour une nouvelle opération à Tel Afar, ville limitrophe de la Syrie, au nord-ouest de l’Irak. Les services de renseignements de la coalition avaient établi que Tel Afar abritait un des QG de Zarqaoui, ainsi qu’un centre de transit pour les volontaires arabes, notamment maghrébins et saoudiens, candidats au djihad. Limiers irakiens et américains étaient convaincus que le Jordanien le plus recherché de la planète s’apprêtait à y réunir ses cadres avant la fin de la première quinzaine du mois. L’accord de Jaafari est arraché en quelques minutes, et les opérations militaires débutent, mobilisant près de 20000 hommes (autant que les habitants de la ville), pour moitié membres de la nouvelle armée irakienne. Dès les premiers jours, bombardements et accrochages entre belligérants font une centaine de morts, présentés tous comme des combattants étrangers. Une version démentie par le Croissant-Rouge irakien, qui relève de nombreuses victimes parmi la population civile. Le gouvernement turc confirme le désastre humanitaire et demande à la coalition un couloir pour acheminer les premiers secours aux Bédouins pris entre deux feux.
Le lendemain, 11 septembre, un communiqué de l’organisation de Zarqaoui conforte les officiers américains dans leur choix. « Si les forces d’occupation ne lèvent pas le siège de Tel Afar dans les vingt-quatre heures, écrit Abou Maïssara al-Iraqi, les moudjahidine utiliseront désormais des armes chimiques contre les cibles américaines et britanniques. » Au Pentagone, on exulte : « Zarqaoui panique, cela veut dire que nous ne nous sommes pas trompés de cible. » Toutefois, la menace est prise au sérieux et les
masques à gaz ressortent des sacs de paquetage.
Exclusivement sunnite, la région de Tel Afar est sinistrée, avec une ville détruite à 60 % et des centaines de familles qui errent dans le désert. Cette guerre sans images autres que celles fournies par l’armée américaine émeut. Le 12 septembre, Jaafari fait le déplacement dans un hélicoptère de l’armée américaine pour « constater les besoins
humanitaires » nés de l’opération dont il a été l’ordonnateur. Précision : la veille, un communiqué de l’Armée islamique irakienne, un groupe non affilié à al-Qaïda, promet une récompense de 100000 dollars à quiconque tuerait Jaafari. Tout comme son prédécesseur, Iyad Allaoui, à qui l’on impute la mort des civils tombés à Fallouja, Ramadi ou Samara, le Premier ministre irakien est considéré comme le principal responsable du carnage et des destructions provoqués par l’opération contre Tel Afar.
Président du parti chiite Daawa, élu sur la liste de l’Alliance irakienne unifiée, regroupant l’ensemble des forces politiques chiites, Jaafari incarne aujourd’hui cette
communauté majoritaire qui milite pour un Irak fédéral. Dans son communiqué revendiquant les attaques du 14 septembre, Zarqaoui déclare une guerre totale aux chiites. Les raisons d’un tel acharnement contre cette communauté tiennent à l’agenda du chef terroriste.
Contrairement à ce qu’il ne cesse de répéter, son engagement militaire, si l’on peut qualifier ses activités de la sorte, ne vise pas à provoquer le départ des forces d’occupation, mais le maintien du statu quo dans un Irak devenu un terreau fertile pour al-Qaïda, comme le fut l’Afghanistan postsoviétique. Cette stratégie met à mal la vraie résistance irakienne, celle, incarnée aujourd’hui par les forces politico-militaires
sunnites, qui se bat pour obtenir le retrait des troupes étrangères et dont les efforts semblent pathétiques. Tel cet appel des oulémas irakiens demandant, poliment, à Zarqaoui de ne plus s’en prendre aux chiites, de ne plus les assimiler aux gouvernants qui s’en réclament et de se concentrer sur la guerre de libération. Le Jordanien a rejeté cet appel en l’assimilant à une compromission des sunnites, qu’il menace désormais de représailles au cas où ils refuseraient de s’attaquer à leurs voisins chiites. Version islamiste de la formule bushienne « qui n’est pas avec nous est contre nous ». Désormais, tout sunnite qui ne pense pas comme Zarqaoui est une cible potentielle. En somme, chiites, Kurdes, sunnites ou étrangers, plus personne ne sera épargné.

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