Vaste programme !

Si la normalisation politique est sur la bonne voie, le solde de treize années de conflit passe aussi par un redressement économique et financier.

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

La sécurité pour tous, la réconciliation entre Burundais et la reconstruction du pays. Pendant sa campagne électorale, le nouveau président du Burundi, Pierre Nkurunziza, a clairement annoncé la couleur : solder douze années de guerre (1993-2005) et consolider le processus de paix enclenché il y a cinq ans avec les accords d’Arusha (Tanzanie). Élu le 19 août dernier, l’ancien chef rebelle des FDD (Forces pour la défense de la démocratie) est revenu à la charge lors de son discours d’investiture en demandant à son peuple « beaucoup d’efforts » pour retrouver la voie du développement. Le chantier est immense. Ruinée, ravagée par les destructions, les combats et l’exode des populations, l’économie burundaise est entièrement à reconstruire. Classé au 169e rang sur 177 pays dans le palmarès 2005 du développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le Burundi a vu son produit intérieur brut (PIB) par habitant chuter de moitié sur une douzaine d’années, tandis que l’espérance de vie a reculé de quinze ans et que le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté a doublé.
« Le Burundi a atteint le seuil maximum de pauvreté, estime un économiste spécialiste du pays. Les conditions d’une reprise sont toutefois réunies. L’issue de la transition politique est une réussite, la stratégie post-conflit a fonctionné, et les premiers pas du nouveau gouvernement sont encourageants. On est passé d’une confrontation ethnique [entre Hutus et Tutsis] à une confrontation politique. On constate aussi une forte implication des bailleurs de fonds. La seule hypothèque porte sur les conditions de sécurité. »
Si les nouvelles autorités et le parti présidentiel, le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), affichent leur « détermination pour parvenir à la paix dans tout le pays », il reste à convaincre le dernier mouvement rebelle des Forces nationales de libération (FNL) de déposer les armes. L’autre condition est la démobilisation des quelque 100 000 anciens combattants. La plupart doivent être réinsérés dans la vie civile, les autres, intégrés dans l’armée nationale composée à égalité de Tutsis et de Hutus. Coût total de ce programme : environ 70 millions de dollars.
« Ces avancées politiques conditionnent la réussite des réformes structurelles que nous souhaitons mettre en oeuvre avec le soutien de la communauté internationale », prévient le nouveau ministre des Finances, Dieudonné Ngowembona. Les trois priorités sont la relance du secteur agricole, l’assainissement des finances publiques et la lutte contre la pauvreté. Dans un pays à 90 % rural, l’activité agricole représente près de 50 % du PIB, qui s’élève à 600 millions de dollars seulement. Si le café apporte 60 % des recettes à l’exportation, l’insécurité dans les collines et les sécheresses successives ont provoqué une véritable crise dans la filière. Auparavant très prisé, l’arabica burundais a perdu de sa qualité. Les rendements ont chuté et la campagne 2003-2004 a enregistré la production la plus faible depuis vingt et un ans. En réponse et malgré un net rebond cette année, une libéralisation du secteur a été décidée sur recommandation de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) avec, à la clé, un désengagement de l’État, la privatisation de l’Office du café burundais (Ocibu) et une cession des 133 stations de lavage disséminées à travers le pays. « Nous allons discuter avec les 800 000 petits producteurs pour qu’ils puissent profiter de la valorisation de cette filière », assure le ministre des Finances. Une discussion à laquelle la Confédération nationale des associations des caféiculteurs exige d’être associée. Le Burundi souffre aussi d’une « baisse générale de sa productivité agricole », note un expert. Les cultures vivrières sont insuffisantes, le cheptel bovin s’est appauvri, le pays peine à nourrir sa population et, de ce fait, a augmenté ses importations de 24 % en 2004.
« Nous sommes déterminés à rétablir l’équilibre des finances », promet Ngowembona, qui annonce « une réforme fiscale pour augmenter les recettes et contrôler les dépenses ». Sur ce point, l’attente de la communauté internationale est particulièrement grande. Le ministre évalue les malversations et les détournements durant la précédente législature à 40 milliards de francs burundais, soit 40 millions de dollars. « Nous n’avons aucune responsabilité puisque nous n’étions pas au pouvoir durant la transition, et ce dossier ne doit pas remettre en cause le soutien des bailleurs et un allègement de la dette », tranche-t-il. À vrai dire, la Banque mondiale et le FMI semblent lui donner raison puisque le Burundi est devenu, le mois dernier, le vingt-huitième pays à atteindre le point de décision de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE). À terme, la remise de dette se chiffrera à 826 millions de dollars, soit 91,5 % de l’encours total. « Le Burundi a réalisé des progrès remarquables dans la mise en oeuvre de son programme économique, mais de nombreux défis persistent et l’économie reste vulnérable », indique Pedro Alba, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Burundi. Qui précise : « L’allègement de la dette va permettre d’investir dans les programmes axés sur les pauvres. »
Les 7 millions de Burundais ont, de fait, payé un très lourd tribut à la guerre. Avec au moins 300 000 morts, essentiellement des civils, les violences interethniques ont endeuillé toutes les familles du pays tandis que la pauvreté n’a cessé de gagner du terrain. Certaines collines se sont vidées de leurs habitants, les rues de Bujumbura sont défoncées et, au marché central, les commerçants attendent le retour des clients alors que l’inflation a dépassé 10 % en 2004. Devant une telle situation de misère engendrée par la guerre, le gouvernement promet une politique de justice sociale avec, en premier lieu, un renforcement de la politique de santé et la gratuité de l’enseignement de base. La construction de nouveaux dispensaires est prévue et les frais scolaires trimestriels de 1 500 francs burundais n’ont pas été demandés à la rentrée. Les autorités veulent aussi favoriser le retour des 400 000 réfugiés se trouvant encore en Tanzanie et la réinstallation des 150 000 personnes déplacées à l’intérieur des frontières nationales. Si ce retour « au village » traduit un climat de confiance, il provoque aussi des conflits fonciers entre ceux qui souhaitent retrouver leurs biens et ceux qui en avaient pris possession.
« La population doit à présent profiter des dividendes de la paix », conclut le ministre des Finances, qui annonce son départ à New York pour assister aux réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI. Les discussions doivent notamment porter sur un premier appui budgétaire de 50 millions de dollars, alors qu’en janvier 2004 les bailleurs de fonds avaient promis 1 milliard de dollars. Comme à l’accoutumée, la consolidation de la paix et l’avancée des réformes structurelles conditionnent le déploiement échelonné de cette aide internationale.
« La moitié des pays sortant d’un conflit replongent dans la guerre dans les cinq ans qui suivent », constate le Pnud dans son dernier rapport sur le développement humain. Soucieuse de conjurer cette fatalité, l’organisation des Nations unies préconise « un engagement politique et financier pour assurer la sécurité, envisager la reconstruction à long terme et créer les conditions optimales du développement ». Espérons que l’on a bien lu ce rapport à Bujumbura et dans les bureaux des institutions de Bretton Woods.

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