Que reste-t-il aux grandes ?

Après avoir vacillé sous les assauts des monospaces et des 4×4 routiers, les berlines traditionnelles repartent à la conquête du public sous des traits différents, dans le sillage de la nouvelle Mercedes.

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Voilà dix ans à peine, leur long capot et leur fière malle arrière étaient encore le symbole de l’opulence sur quatre roues. Mais les moeurs automobiles ont changé. Les familles aisées qui roulaient dans de grandes berlines ont trouvé leur bonheur à bord d’un monospace : davantage de place pour les enfants et les bagages, à encombrement égal. Et ceux qui achetaient une grande berline pour clamer leur réussite sociale préfèrent aujourd’hui toiser le reste de la population automobile du haut de leur 4×4 routier. Jadis reine du genre automobile, la grande berline traditionnelle est aujourd’hui en voie d’extinction. Comme en France par exemple, où il n’y a plus guère que les notaires et les cortèges à rouler en berline haut de gamme, noire de préférence : le marché s’est effondré, passant de 200 000 voitures vendues en 1990 à 40 000 quinze ans plus tard. Et la règle selon laquelle tout constructeur généraliste doit coiffer sa gamme d’une grande berline semble aujourd’hui désuète. Fiat et Ford n’ont plus ce genre de modèle en magasin. Lancia s’apprête à retirer discrètement sa Thesis du marché, trois ans à peine après son lancement. Citroën, à l’inverse, reviendra en novembre avec la C6 dans une catégorie qu’elle a désertée depuis la fin de carrière de la XM, en 1999. Tandis que Renault se demande si le jeu en vaut encore la chandelle. Le constructeur français avait commercialisé 800 000 Renault 25 dans le monde lors des années 1980. Puis 300 000 Safrane la décennie suivante. La Vel Satis ne franchira pas la barre des 100 000 exemplaires durant sa carrière. Renault n’en fait pas un drame : la réussite de l’Espace, son grand monospace, compense très largement l’échec de la Vel Satis.
Dans ces conditions, des constructeurs comme Mercedes ou BMW pouvaient légitimement nourrir quelques inquiétudes. Chez eux, la grande berline n’était pas le sommet de la pyramide, là où les ventes sont rares. Elle était le socle de leur réussite, presque leur signature. Et la voie de secours empruntée par les constructeurs généralistes leur était interdite : après s’être livrés à une course à la puissance pour mieux célébrer les vertus dynamiques de leurs berlines, ils ne pouvaient trouver leur salut du côté des pacifiques monospaces, sorte de géants doux du genre automobile. Mercedes, le premier, a trouvé la parade en 1998 avec le Classe M : un break surélevé à quatre roues motrices. La firme de Stuttgart mariait ainsi les qualités sur lesquelles elle a bâti sa réputation – comportement dynamique, brio des moteurs, luxe intérieur – avec les nouvelles aspirations du public envers les véhicules à habitacle haut perché. BMW lui a emboîté le pas deux ans plus tard avec le X5. Un genre automobile était né, lointain héritier du Range Rover : les 4×4 à vocation routière, appelés SUV (Sport Utility Vehicles) aux États-Unis. Certes, les SUV défient le sens commun : à quoi bon greffer une transmission intégrale (à quatre roues motrices), lourde et vorace en carburant, sur des voitures destinées à ne jamais quitter l’asphalte ?
BMW ne s’est pas arrêté en si bon chemin et a créé une véritable gamme X qui vient en parallèle de ses berlines traditionnelles. Le X3 est arrivé en 2004. Un X6, tout-terrain aux allures d’un coupé quatre portes, est prévu pour 2006. Un X1, émanation 4×4 de la Série 1 et futur rival du Toyota Rav4 trois portes, prendra la route avant la fin de la décennie. Mercedes et BMW ont ainsi joué sur deux tableaux pour compenser le déclin des berlines : diversification avec les SUV, approfondissement de l’offre avec une gamme débutant à un niveau de prix moins élevé qu’auparavant (BMW Série 1, Mercedes Classe A). Leurs résultats commerciaux prouvent le bien-fondé de cette stratégie : les ventes mondiales des deux constructeurs ont plus que doublé en l’espace de dix ans. Mercedes est passé de 582 000 véhicules en 1995 à 1 209 000 en 2004. Même trajectoire pour BMW : 575 000 véhicules en 1995, 1 210 000 l’an passé. Et la progression devrait se poursuivre en 2005 puisqu’une projection faite à partir des comptes à mi-année annonce 1,35 million de ventes pour BMW, et 1,25 million pour Mercedes.
Dans l’affaire, BMW est parvenu à dépasser son éternel rival. Mais Mercedes prépare sa riposte : le Classe R, qui tiendra la vedette du Salon de Francfort avant d’être lancé début 2006. Le Classe R, c’est un nouveau jalon dans l’histoire de l’automobile. Un véhicule à la croisée de plusieurs catégories, puisque les inventions sont désormais rares. Mais un véhicule destiné à faire des émules, tant il répond aux aspirations du public. Car le Classe R est en quelque sorte la réponse des grandes berlines aux monospaces et aux SUV, une évolution obligatoire du genre pour s’adapter aux moeurs de l’époque. Il possède à la fois la ligne effilée d’une berline, l’arrière coupé court d’un break, la transmission intégrale d’un SUV et le volume habitable d’un monospace. Sa longueur (4,92 m en version courte) et surtout son empattement (3,22 m) lui permettent d’accueillir six personnes à bord, chacune disposant d’un siège individuel. Quand les deuxième et troisième rangs sont intégralement rabattus, le Classe R offre un coffre plat au volume abyssal : 1 950 dm3 ou 2 385 dm3 selon la version. À son bord, le conducteur est haut perché, puisque le Classe R mesure 1,66 m sous la toise. C’est moins qu’un monospace (1,73 m pour le Renault Espace), mais nettement plus qu’une berline (1,45 m pour la Mercedes Classe E). Enfin, le mode 4×4 est facultatif, car le Classe R sera proposé en deux configurations : transmission intégrale ou roues arrière motrices.
Une grande berline qui prend de l’altitude et du volume, Renault y avait déjà pensé avec la Vel Satis (1,57 m de hauteur) en 2002. Dommage que le constructeur français ne soit pas allé au bout de sa démarche : la Vel Satis ne possède que deux rangées de sièges et ne dispose pas d’une transmission intégrale. Pis encore, elle présente un défaut rédhibitoire aux yeux d’une clientèle soucieuse d’afficher un certain rang social : ses traits sont patauds. Mercedes a repris et prolongé l’idée, avec le Classe R, véhicule qui s’inscrit au point de convergence entre tous les désirs, toutes les modes. Il n’est pas beaucoup d’autres voies à suivre pour les berlines traditionnelles. Soit elles s’affinent encore davantage, au point de devenir des coupés à quatre portes, comme la sublime Mercedes CLS. Mais elles visent alors une clientèle forcément étroite. Soit elles s’inscrivent dans le sillage de la Mercedes Classe R, gagnent en hauteur comme en espace intérieur tout en gardant des lignes tendues, et peuvent alors plaire à un public plus large : les familles aisées.
BMW l’a bien compris, quoique avec un temps de retard sur Mercedes, comme à l’époque du Classe M. : la BMW V5 est attendue pour 2008. Avec au programme habitacle haut, six places à bord, deux types de transmission au choix (intégrale ou propulsion), et une silhouette dynamique… L’exemple de la Mercedes Classe R et de la BMW V5 le prouve : parce qu’elles incarnent à la fois plaisir de conduite, valeurs familiales et prestige social, les grandes berlines ont encore de beaux jours devant elles. À condition de s’adapter à l’évolution des goûts du public, au lieu de la subir comme elles l’ont fait ces dernières années.

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