[Chronique] Guinée-Bissau : deux fauteuils pour deux… ou trois
Contentieux électoral, État dédoublé, Cedeao dépassée : l’imbroglio bissau-guinéen a tout de ces caricatures politiques tragi-comiques que l’on croyait en voie de disparition sur le continent africain.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 6 mars 2020 Lecture : 2 minutes.
Depuis quelques semaines, il se dégage de Guinée-Bissau un double parfum de telenovela à la brésilienne et de crise postélectorale à l’ivoirienne.
Bien au-delà des sonorités portugaises, c’est la dramaturgie emberlificotée du scénario post-présidentiel qui donne à la situation bissau-guinéenne des airs de feuilleton sud-américain : une élection présidentielle entre Umaro Sissoco Embaló et Domingos Simoes Pereira ; des résultats contestés ; une prestation de serment « en force » d’Embaló, annoncé vainqueur par la Commission électorale mais non-confirmé par la Cour suprême ; un président sortant, José Mário Vaz, à l’allure de Ponce Pilate ; une guerre de tweets à l’américaine et des menaces de mort ; le choix d’un troisième chef d’État par les députés dépités, en la personne du président de l’Assemblée nationale Cipriano Cassama, investi « intérimaire » pour un mandat qui ne dépassera pas une journée ; la confrontation de deux Premiers ministres, Aristides Gomes et Nuno Gomes Nabiam ; des fonctionnaires – déjà en partie en grève – pris en étau entre les deux gouvernements et intimidés par un dispositif militaire spectaculaire…
Si l’ancien général Umaro Cissoko Embaló a prêté serment d’un hôtel de la capitale, comme Alassane Ouattara en 2010, le parallèle avec la crise postélectorale ivoirienne s’arrête au manque de certitude des observateurs et des chancelleries en matière de résultats électoraux.
« Nous sommes en Afrique ! »
Les tergiversations entre la Commission électorale et la Cour suprême engoncent les habituels censeurs internationaux dans une rhétorique sirupeuse d’appel au calme. Lundi, la Cedeao estimait tout aussi illégales les deux investitures présidentielles et brandissait la menace d’une force militaire en attente pour « rétablir l’ordre », la Guinée-Bissau ayant déjà fait l’objet du déploiement de l’Ecomib.
Robinet d’eau tiède, la France appelait à « la retenue et au respect du cadre juridique et de l’ordre institutionnel ». Mais aux dénonciations venues d’Europe, Embaló se contente d’envoyer cette sentence ambiguë : « nous sommes en Afrique ! »
Si la communauté internationale est aussi inquiète que gênée aux entournures, c’est que la Guinée-Bissau est à ce point coutumière des processus démocratiques torturés que les statistiques peinent à s’accorder.
En quarante ans, selon les sources, l’ancienne colonie portugaise aurait connu entre neuf et vingt coups ou tentatives de coup d’État. En arrière-plan de ce profil géopolitique d’un autre âge, le pays traîne la double réputation de pratiques politiciennes largement militarisées et de transit narcotique entre l’Amérique du Sud et l’Europe.
Et maintenant ? La clef devrait résider dans l’évaluation des fraudes électorales présumées et dans l’annonce, par une instance légitime, de résultats suffisamment incontestés pour être définitifs. On en viendrait presque à oublier de se demander – ou à désespérer de savoir – qui a gagné. Allô, la Cour suprême ?
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