Kadhafi et son pré carré africain

Sur un plan, au moins, le « Guide » n’a pas changé : l’argent est son arme fatale. Pour en recevoir, désormais, il n’est plus besoin de se proclamer révolutionnaire. Il suffit de se rendre chez lui et de faire allégeance.

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Il est sans doute des soutiens plus présentables en termes de reconnaissance internationale, mais, par les temps qui courent, celui qu’affiche Mouammar Kadhafi à son égard ne peut que réchauffer le coeur de Laurent Gbagbo. Recevant le 10 septembre à Syrte quatre journalistes ivoiriens, le « frère Guide » de la Jamahiriya a été on ne peut plus direct : « Moi, je suis avec le président Gbagbo, a-t-il martelé. Personnellement, je pense qu’il est un dirigeant révolutionnaire. On partage la même vision. Quand il y a un dirigeant révolutionnaire dans le monde, dans le Tiers Monde plus particulièrement, il y a toujours des forces réactionnaires, des forces racistes et impérialistes qui prennent le parti de ses opposants contre lui. Regardez ces prises de position à l’encontre de Mugabe, de Gbagbo ou de la Libye ! » Et de formuler ce conseil pressant à l’égard des musulmans ivoiriens, majoritairement hostiles au pouvoir en place à Abidjan : « Il n’est pas de leur intérêt de faire bande à part, il n’est pas de leur intérêt d’offrir aux forces étrangères l’occasion de pénétrer dans le pays, il n’est pas de leur intérêt d’assister à la partition de la Côte d’Ivoire. »
Qu’on se le dise, donc : la lune de miel que vit un Kadhafi totalement normalisé dans ses relations avec l’Occident ne l’empêche pas de parrainer le clan des régimes réprouvés, contestés, au ban de la bonne gouvernance. Ni les convictions ni le langage du colonel ne sont certes nouveaux – y compris à l’égard de Laurent Gbagbo, qu’il a toujours peu ou prou soutenu -, mais au moins ont-ils le mérite de la constance.
À la différence du Kadhafi d’hier, celui d’aujourd’hui ne distribue plus d’armes à ses frères et clients d’Afrique subsaharienne, mais des conseils paternels et des médiations aléatoires. Entre le Tchad et le Soudan, entre la Côte d’Ivoire et le Burkina (dont les deux présidents sont, dit-il, ses « amis », une amitié commune dont il se sert pour résoudre leur problème, lui qui se considère comme « le dénominateur commun » entre Gbagbo et Compaoré), entre l’Éthiopie et l’Érythrée, etc. Marginalisé dans le monde arabe, c’est sa manière à lui d’exister, d’être utile et de jouer dans la cour des grands. Une position confortée, alimentée, irriguée par cet autre grand fleuve artificiel de la Libye que sont les pétrodollars. Sur ce plan, Kadhafi n’a pas changé : l’argent est son arme fatale.
Pour en recevoir désormais, il n’est plus besoin de se proclamer révolutionnaire, encore moins de promettre l’application chez soi des préceptes du Livre vert. Il suffit de se rendre à Syrte, de faire allégeance au maître des lieux, de solliciter ses avis et de dire toute la déférence qu’il vous inspire. Pour avoir négligé ces règles élémentaires de savoir-vivre, autant que pour avoir noué des relations diplomatiques avec Israël, l’ex-président mauritanien Ould Taya s’était ainsi fait de Mouammar Kadhafi un ennemi constant. « Maaouiya doit savoir qu’il est notre débiteur, nous confiait ainsi il y a quelques mois Ali Abdessalam Treiki, le « monsieur Afrique » de Kadhafi. Nous avons prêté beaucoup d’argent à la Mauritanie à l’époque où il fallait soutenir sa monnaie. On peut effacer cette dette ; mais on peut tout aussi bien en exiger le remboursement immédiat avec tous les intérêts. » La chute d’Ould Taya, le 3 août, dont on imagine qu’elle a réjoui le colonel, est venue interrompre cet étranglement programmé.
Avec l’âge, le « frère Guide » devient de plus en plus sensible aux marques de considération, aux formes et aux apparences. Pour avoir omis de le consulter avant de renverser le président Patassé, le Centrafricain François Bozizé, qui fut longtemps un habitué de Tripoli, a été battu froid par Kadhafi pendant plusieurs mois. « Le problème n’est pas que tu aies fait un putsch, lui dira plus tard, sur le ton du reproche, Mouammar Kadhafi. Le problème, c’est que tu ne m’en as pas informé. » Bozizé, depuis, a fait amende honorable, et tout va pour le mieux entre Bangui et Tripoli. Désormais initié, le chef de l’État centrafricain a rejoint ses pairs tchadien, nigérien, malien, sénégalais, burkinabè, togolais, béninois et autres, tous familiers du voyage de Syrte et tous experts dans les mille et une manières de flatter le grand frère sous sa tente. Et d’en tirer profit.

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