Internet : les premiers empereurs

Adulés telles des stars du rock, les principaux acteurs nationaux du Web nourrissent des ambitions à la mesure d’un marché en pleine explosion. Rencontre avec de jeunes millionnaires très branchés.

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Avant même que le sommet annuel de l’Internet n’ouvre ses portes à Hangzhou, le 10 septembre, Charles Zhang, le très chic fondateur du portail Internet Sohu.com, discutait avec ses admirateurs dans le hall de l’hôtel Hyatt, devant une foule de journalistes et de cameramen. Peu après, deux autres vedettes du Web chinois, William Ding, PDG de Netease.com, 34 ans, et Ma Huateng, fondateur de Tencent.com, 34 ans lui aussi, se sont frayé un chemin jusqu’à la grande salle de bal de l’hôtel, poursuivis comme deux stars du rock. La veille, Jack Ma, fondateur d’Alibaba.com et organisateur du sommet, avait, lui, fêté son quarantième anniversaire. Parmi les convives, Jerry Yang, cofondateur de Yahoo!, et Bill Clinton, invité à prendre la parole dans le cadre du forum.
Dans un pays où l’utilisation du Net explose et où un autre Bill – Bill Gates – est très largement admiré, rien d’étonnant à ce que six cents personnes environ se massent dans un salon de l’hôtel Hyatt, un samedi après-midi, simplement pour écouter quelques-uns des jeunes millionnaires du Web national parler de l’avenir du secteur. « Voilà les légendes vivantes de l’Internet chinois », a lancé l’un des participants, Ho Ben, 28 ans, par ailleurs directeur général d’une entreprise de jouets qui vend ses marchandises sur la Toile via Alibaba.com, le plus important site de vente en ligne chinois dédié aux professionnels. Et d’ajouter : « Je suis un grand admirateur de ces gars non seulement parce qu’ils ont changé nos vies, mais aussi parce qu’ils ont rendu notre travail plus facile. »
Ma a rassemblé quelques-unes des plus grandes entreprises chinoises du Net pour faire un point sur l’état du secteur. Et cette année, il semble que le petit monde des nababs du Web a de quoi se réjouir : les grandes sociétés Internet et les firmes américaines de capital-risque se bousculent au portillon pour investir en Chine. La plus grosse affaire remonte au début du mois d’août, quand Yahoo! a accepté d’investir 1 milliard de dollars dans le site Alibaba.com, né il y a six ans et dont le siège est à Hangzhou. Les dirigeants de Yahoo! ont même accepté, dans le cadre du partenariat, de transférer les activités de Yahoo!-China à Ma, considéré comme l’un des pionniers du Net chinois. En août également, Baidu.com, le plus gros moteur de recherche du pays, a effectué une entrée remarquée sur le Nasdaq. Jamais, depuis l’explosion de la bulle Internet en 2000 et 2001, une introduction en Bourse n’avait connu un tel succès dès le premier jour. eBay n’est pas en reste : le numéro un mondial de la vente aux enchères en ligne s’est porté acquéreur de son plus gros pendant chinois, Eachnet.com, et a promis d’investir 100 millions de dollars dans le pays cette année.
Mais ce sont les études évaluant à plus de 100 millions le nombre d’internautes dans l’empire du Milieu – un chiffre qui le place en deuxième position derrière les États-Unis – qui ont embrasé les esprits. Avec une utilisation du Web qui s’accroît à un rythme phénoménal – il n’y avait qu’un peu plus de 2 millions d’internautes en 1998 -, les sociétés de capital-risque fondent sur la Chine, espérant y trouver le prochain Yahoo!, Google ou eBay.
Seule ombre au tableau : le sommet a été quelque peu terni par des informations parues la semaine précédente selon lesquelles Yahoo! aurait fourni à Pékin des informations qui lui ont permis de condamner à dix ans de prison un journaliste accusé d’avoir ébruité des « secrets d’État » sur un site étranger. Jerry Yang, cofondateur de Yahoo!, a refusé d’en dire plus sur cette affaire impliquant un journaliste de 37 ans qui, selon les documents du tribunal, aurait envoyé des courriels anonymes à un site Internet basé en Amérique. « Je n’apprécie pas ce qui s’est passé, mais nous avons dû nous soumettre à la loi chinoise », s’est-il contenté de déclarer pendant la conférence. Des zones d’ombre subsistent également sur la question de savoir si les grandes entreprises occidentales de l’Internet aident Pékin à contrôler et à censurer le contenu des sites chinois, à mettre la main sur des dissidents politiques ou à arrêter des opposants au régime. La conférence n’a guère fait la lumière sur cette question. D’autant que l’intérêt du public s’est essentiellement porté sur les discussions concernant les nouvelles stratégies de profits – voire certains problèmes de société, comme celui de savoir si les jeunes Chinois étaient devenus accros aux jeux vidéo en ligne. Plusieurs participants, dont Ding, qui fut autrefois l’homme le plus riche du pays, ont déclaré qu’ils coopéraient déjà avec le gouvernement pour combattre la dépendance à ces jeux.
Si la majorité des grands acteurs de la Toile chinoise étaient présents, dont Wang Yan, PDG de Sina.com, l’un des principaux portails Internet du pays, ce n’est le cas d’aucun cadre de eBay et de Baidu, ce qui n’a guère surpris. En Chine, eBay est en effet confronté à une concurrence acharnée de Taobao.com, une filiale de Alibaba. Quant à Baidu, dans lequel Google a une petite participation, il est désormais considéré comme le concurrent le plus sérieux de la nouvelle alliance Alibaba-Yahoo!. Microsoft est actuellement en procès avec le même Google devant un tribunal de Washington. La firme de Bill Gates accuse l’un de ses anciens cadres chinois d’avoir violé la clause de non-concurrence qui figure dans son contrat en rejoignant son principal rival, au début de l’année. Jack Ma a d’ailleurs dû rappeler qu’il avait invité les grands acteurs du secteur à Hangzhou pour participer à des débats « pacifiques ». Le flamboyant Ma, qui mesure seulement un peu plus de 1 mètre 50, est l’un des plus anciens nababs du Net chinois. Il est aussi l’un des plus riches. Après son deal avec Yahoo!, son entreprise personnelle, Alibaba.com, est aujourd’hui évaluée à 4,2 milliards de dollars, ce qui en fait la société chinoise de la Toile la mieux valorisée sur les marchés. Ancien professeur d’anglais, Jack Ma est aussi très habile pour attirer les annonceurs sur Alibaba.
Le sommet a bénéficié d’une importante couverture médiatique et attiré une foule de banquiers, de businessmen, de producteurs de cinéma, et tous ceux qui ont pris le train du Web en marche. Pendant les pauses, cameramen et fans déchaînés poursuivaient littéralement les intervenants, au point que plusieurs d’entre eux ont choisi de se réfugier aux toilettes. Mais sur l’estrade, les entrepreneurs chinois ont reconnu qu’ils rencontraient de nombreux obstacles pour faire de leurs sociétés des entreprises rentables et les mener vers le succès. Ils ont également déclaré que la concurrence était intense et que les systèmes de paiement en ligne posaient des problèmes. Tout en reconnaissant bien sûr que leurs firmes avaient mûri au cours des cinq dernières années, les rivalités féroces s’étant muées en accusations virulentes, voire en batailles juridiques sur la propriété intellectuelle. « Il y a quatre ans, nous étions naïfs. Il y avait des affrontements terribles, a conclu Jack Ma. Mais aujourd’hui, nous sommes tous des survivants. Et donc tous beaucoup plus sereins. »

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