« Ils avaient la Bible et nous la terre… »

Le malentendu colonial, de Jean-Marie Teno (sorti à Paris le 14 septembre)

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Les documentaires du Camerounais Jean-Marie Teno sur l’Afrique moderne et les problèmes qu’elle affronte ne laissent jamais indifférent. Notamment, sans doute, parce qu’ils sont réalisés un peu à la manière sinon d’une enquête policière, du moins d’une instruction judiciaire. Une fois son sujet défini, le cinéaste part sur le terrain caméra au poing et pose des questions brûlantes, émet des hypothèses dérangeantes, suit des pistes prometteuses, tout en commentant lui-même de sa voix chantante l’avancée du dossier. L’important n’est pas de découvrir le ou les « coupables » – en général, ce sont soit les Européens qui ont envahi l’Afrique et continuent de l’asservir, soit les divers pouvoirs qui maltraitent les populations depuis la fin de la colonisation -, mais de montrer pourquoi et comment leurs « forfaits » ont été commis.
Ce projet pédagogique prend parfois la forme d’une enquête dans laquelle le réalisateur se met en scène lui-même. C’était le cas, par exemple, dans Chef !, où il évoquait en 1999 quelques conséquences fâcheuses de certaines formes d’exercice du pouvoir au Cameroun, ou, plus encore, dans le récent et superbe Mariage d’Alex, où il faisait voir, en 2002, quels ravages peut provoquer la polygamie dans un couple jusque-là binaire. Mais il arrive que le réalisateur préfère s’en tenir à un genre plus classique dans lequel son intervention sera moins visible, l’essentiel étant de faire parler des témoins ou des « experts » compétents et de présenter des documents intéressants.
Le Malentendu colonial appartient à la seconde catégorie. Son propos central consiste à s’interroger sur la genèse et le développement de l’entreprise coloniale en examinant comment elle a été préparée, aidée ou légitimée par le travail d’évangélisation des missionnaires. Jean-Marie Teno revisite plus particulièrement l’histoire de la mission de Rhénanie. Ce voyage géographique et dans le temps, de Wuppertal, où commence le film, jusqu’en Afrique australe, permet de mettre au jour les liens entre l’oeuvre des missionnaires et celle des colons allemands. Un lien d’autant plus problématique que le comportement de ces derniers, dans cette région, aboutira à d’horribles massacres qui préfigureront ceux des futurs nazis : c’est en Namibie, à la veille du génocide des Hereros au début du xxe siècle, que serait apparu pour la première fois le terme – et la réalité qu’il recouvre bien sûr – de « camp de concentration ».
Une phrase percutante du premier président du Kenya indépendant, Jomo Kenyatta, paraît illustrer assez bien le phénomène de la collusion mission-colonisation : « Lorsque les premiers missionnaires sont arrivés en Afrique, ils avaient la Bible et nous la terre. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés. Quand nous avons rouvert les yeux, nous avions la Bible et eux la terre. » La dénonciation de la colonisation, pense Teno, est encore plus parlante si on se souvient du prétendu message civilisateur que les Européens disaient apporter sur le Continent et dont la religion n’était qu’un élément. Comme le remarque un universitaire camerounais dans le film, « on peut pardonner aux Occidentaux d’avoir un temps enlevé les terres, mais pas d’avoir enlevé le mental ».
Le Malentendu colonial n’est pas un film manichéen : même s’il soutient avec force un point de vue, il n’interdit pas au spectateur de se forger le sien. Notamment parce qu’il donne la parole à tous les « acteurs » concernés, à commencer par les responsables des missions et d’anciens missionnaires. Il ne s’agit pas, pourtant, du film le plus abouti de l’auteur. Le déroulement de l’enquête est un peu brouillon, peut-être parce que celle-ci aborde trop de sujets. De plus, Jean-Marie Teno, homme de tempérament s’il en est, atteint à son meilleur quand il intervient directement dans ses documentaires en revendiquant haut et fort un regard subjectif sur la réalité qu’il filme. Quand, comme dans ce film, il adopte un style plus « objectif », il perd de son originalité et, paradoxalement, de sa force de conviction.

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