Idrissa Seck, quartier VIP

Visites et promenades limitées, cellule sous haute surveillance, prières, lecture et écriture… Depuis deux mois, l’ancien Premier ministre mène une vie d’austérité à la maison d’arrêt de Dakar.

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Le grand portail de la prison de Reubeuss franchi, le visiteur se retrouve, cinq mètres plus loin, devant un parloir pour le moins singulier. Le grillage qui le clôture empêche de voir avec netteté le visage de l’ancien Premier ministre, Idrissa Seck, détenu depuis le 15 juillet.
Aux salutations d’usage, sa réponse fuse, invariable : « Al hamdoulillahi [« Dieu merci », en arabe]. Je souhaite que Dieu me prête vie et m’accorde la force de triompher de l’injustice qui m’a été faite. » L’homme ne se départit jamais d’un large sourire. Le rituel est rodé. Idy, comme l’appellent la plupart de ses compatriotes, en gratifie quiconque vient prendre de ses nouvelles. C’est quasiment pour lui un exercice de catharsis. Il lui permet de résister. Tout comme la prière.
Idrissa Seck se réveille tous les jours aux lueurs de l’aube. Vieux réflexe de ce musulman pratiquant qui honore au quotidien la première prière du jour. Il fait ses ablutions, s’acquitte de son devoir religieux, égrène son chapelet, lit le Coran… Puis se « branche » sur son poste transistor, écoute les nouvelles sur les radios locales et internationales. De témoignage de maton, il note toute information relative à son incarcération.
À 9 heures, son garde du corps, Vieux Sandiéry Diop, lui dépose tous les quotidiens du jour, qu’il se hâte d’éplucher. Mais aussi son petit déjeuner qui, comme tous ses repas, lui parvient dans des assiettes rangées à l’intérieur d’une caisse en bois fermée par deux cadenas dont il est seul, avec Diop, à détenir les clés. Craignant pour sa vie, Seck tient à surveiller lui-même ce qu’il mange.
Tout au long de la journée, l’ex-bras droit d’Abdoulaye Wade garde son éternel éventail en main, visiblement importuné par la chaleur en cette période d’hivernage. Pour entamer le moral de ce pensionnaire habitué à vivre sous une climatisation centrale dans sa maison du quartier résidentiel de Point E à Dakar, et au contact de la brise marine dans une résidence de repos pied dans l’eau à Saly, une station balnéaire sur la façade atlantique du Sénégal, on lui a refusé l’autorisation d’installer un ventilateur pour aérer sa cellule.
Mais il semble trouver un réconfort dans l’écriture et dans la lecture. À son chevet, quatre ouvrages : César imperator, de l’historien Max Gallo ; Ma Vie, de l’ex-président américain Bill Clinton ; Mon Histoire, de l’épouse de ce dernier, Hillary Clinton ; et Nelson Mandela, leçon de vie pour l’avenir, de l’homme politique français Jack Lang. Quatre biographies d’hommes et de femmes de pouvoir que le détenu passe de longues journées à parcourir. Faute d’autres compagnons.
Idrissa Seck vit dans un régime d’isolement total. Seul dans sa cellule surveillée en permanence par trois ou quatre gardes, il n’a aucun contact avec les autres détenus du secteur 5 (le quartier VIP de l’établissement). Ses heures de promenade (deux heures le matin et deux heures l’après-midi) sont fixées en dehors de celles des autres détenus.
Comme palliatif à l’ennui, il s’adonne chaque jour, à 18 heures sonnées, au sport. Au menu : abdominaux, étirements, appuis avant et jogging sur « le chemin de ronde », un couloir de 3 à 4 mètres de large qui ceinture l’espace clos des cellules.
Le pouvoir d’Abdoulaye Wade ne cesse de durcir les conditions de détention de l’ex-Premier ministre. Et de restreindre ses contacts avec l’extérieur.
Pour la première fois dans l’histoire de la prison de Reubeuss, ouverte dans les années 1920, un portique électronique a été installé, au lendemain de l’incarcération d’Idrissa Seck. On n’y fait passer que ses visiteurs et avocats. Soumis à l’épreuve du détecteur de métal, ces derniers se délestent de leurs montres, portables, ceintures, chaussures… avant de franchir le portique. Une avocate, Me Borso Pouye, a failli avoir une altercation avec le personnel pénitentiaire pour avoir refusé d’ôter ses boucles d’oreilles avant de pouvoir rencontrer son client.
Alors que tous les autres détenus reçoivent leurs visites les mardis et vendredis, Seck, lui, n’en accueille que les lundis matin. Et seulement dix personnes (passées depuis début septembre à six ou sept) et pour dix minutes (réduites depuis peu à cinq) par personne.
Il ne reçoit pas non plus qui il veut. Le 5 septembre, ses plus proches lieutenants (Yankhoba Diattara, Pape Diouf, Awa Guéye Kébé…) ont été empêchés d’accéder à leur mentor.
Mais le vrai casse-tête est celui de ses défenseurs sénégalais et étrangers. Visibles à gauche des parloirs, une fois le portail d’entrée franchi, deux salles construites par le barreau sénégalais servent à abriter les entretiens entre les avocats et leurs clients. « Dans la dignité et dans la confidentialité », comme le veulent les lois en vigueur.
Les avocats de Seck n’en sont pas moins fouillés, passés au portique de sécurité, suivis jusque dans la salle où ils s’entretiennent avec leur client. Ils s’en offusquent, s’en ouvrent aux gouvernements étrangers ainsi qu’aux organisations de protection des droits de l’homme tels l’Observatoire international des prisons, Amnesty International, la FIDH…
Les restrictions n’arrêtent visiblement pas la vie du détenu le plus célèbre du Sénégal. Il mange bien, prend même quelques kilos. Aucun signe de fatigue ou de stress ne transparaît sur son visage. Et, à entendre ses visiteurs les plus assidus, il a le moral. Tous les mercredis, il se fait porter sa tondeuse et son rasoir pour rester présentable.
Idrissa Seck réfléchit également, passe des heures à coucher des idées sur une pile de papiers. Qu’écrit-il ? À entendre un de ses avocats, ses notes retracent des scénarios sur l’issue de son procès et sur l’orientation à donner au reste de sa carrière politique.

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