Bédié objectif présidence

Que peut faire l’ancien chef de l’État pour revenir au pouvoir ? Avec qui ? Quels moyens ? Comment ? Une certitude : après un an d’exil volontaire, il est rentré au pays, remonté à bloc pour en découdre avec Laurent Gbagbo.

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 8 minutes.

Et si Henri Konan Bédié réussissait le coup de João Bernardo « Nino » Vieira en Guinée- Bissau ? Un retour au pouvoir par les urnes, six ans après en avoir été chassé par les armes… Le 11 septembre dernier, les militants du vieux Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ont vu débarquer à l’aéroport d’Abidjan un Bédié en grande forme, tout sourires et beaucoup plus décontracté qu’à son habitude. Alors, ils se sont mis à y croire. Un espoir qui pourrait être ravivé par la mise en cause de la médiation sud-africaine lors d’un huis clos du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Organisé à New York le 14 septembre au soir, en marge du sommet des Nations unies, Thabo Mbeki y a été vivement pris à partie par certains de ses pairs, accusé de s’être aligné sur le thèses de son homologue ivoirien Laurent Gbagbo. Un échec pour lui ? En tout cas, un désaveu de plus dans la recherche d’une solution négociée à la crise qui dure depuis trois ans, jour pour jour. Malgré de notables avancées, dont la moindre n’est pas la possibilité pour Alassane Ouattara de se porter candidat à la magistrature suprême, le coup est rude. D’autant plus que tout le monde y croyait, car l’Afrique du Sud y avait mis la volonté, les moyens et la détermination.
Retour donc à la case départ, avec une nouvelle donne qui ne met pas nécessairement Gbagbo en position de force. Mais en attendant que le processus soit relancé et qu’une nouvelle date soit arrêtée pour la présidentielle, le Tout-Abidjan du PDCI est à la fête. Au lendemain de l’arrivée de Bédié, à la maison du PDCI, un millier d’entre eux ont fait une ovation à leur champion quand il a lancé : « Non à la prolongation du mandat de M. Gbagbo au-delà du 30 octobre. Pas un jour de plus ! » À ses côtés, Henriette Diabaté, la numéro deux du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, approuve d’un hochement de tête. « N’zueba est de retour ! » crient quelques militants. N’zueba signifie « la rivière », en baoulé. Donc l’eau. L’abondance. « D’ailleurs, quand il a pris la parole, ça a commencé à goutter », dit un de ses inconditionnels…
A priori, l’ancien chef de l’État ivoirien part à la bataille électorale avec un gros handicap. En inventant le concept de l’ivoirité dans les années 1990, il a braqué le nord contre le sud de la Côte d’Ivoire. Beaucoup lui reprochent donc d’avoir provoqué le coup d’État militaire de 1999. Cela dit, ses successeurs ont aggravé la division du pays. « Du temps de Bédié, ça n’allait pas. Mais avec Gbagbo, le pays est complètement gâté », dit un commerçant d’Adjamé, un quartier populaire d’Abidjan. Et aujourd’hui, le chaos donne une seconde chance à l’ancien chef de l’État. « Quand il était au pouvoir, les routes n’étaient pas défoncées et les hôtels étaient pleins d’investisseurs et de touristes », reconnaissent de nombreux Abidjanais. Nostalgie, nostalgie… Plus le temps passe, plus les années Bédié apparaissent, aujourd’hui, comme une période de paix et de relative prospérité. « Le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu », glisse le président du groupe parlementaire PDCI, Gaston Ouassénan Koné, citant Félix Houphouët-Boigny.
C’est sans doute la raison pour laquelle aucun des lieutenants d’Henri Konan Bédié n’a réussi à prendre son fauteuil de président du PDCI. L’ancien secrétaire général de la formation, Laurent Dona Fologo, pouvait légitimement briguer le poste. Après le putsch de décembre 1999, il avait assuré l’intérim avec habileté et courage, pendant vingt-deux mois. Au congrès d’avril 2002, il a donc défié ouvertement le chef. Mais il n’a pu faire plus de 15 % des voix. Autres prétendants : le candidat – par défaut – du parti à la présidentielle d’octobre 2000, l’ex-ministre de l’Intérieur Émile Constant Bombet, et l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines Lamine Fadika. Le succès ne leur a pas souri, loin s’en faut. D’ailleurs, pour la prochaine présidentielle, aucun ne s’est porté candidat à l’investiture du parti avant la date butoir du 31 juillet dernier. Quant à Charles Konan Banny, le gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), il laisse encore planer le doute sur ses ambitions politiques. Mais s’il se présente, ce ne sera pas sous les couleurs de l’ex-parti unique. Malgré l’ardeur et la mobilisation de ses proches. Peut-être se réserve-t-il pour une éventuelle période de transition…
En fait, depuis qu’il a repris les rênes du parti en 2002, les cadres sont dans la main de l’ancien président. Celui-ci a pratiqué un maillage méthodique du territoire et a choisi avec soin tous les délégués départementaux. En 2002, on le disait mal en point et il « tenait » déjà plus de 80 % du parti. Que dire de sa mainmise sur les instances aujourd’hui ? La preuve, ces dernières semaines, toutes les « conventions éclatées » du parti l’ont investi pour la prochaine présidentielle à une écrasante majorité. Maintenant, il reste à huiler la grosse machine électorale PDCI. La révision générale aura lieu lors d’une grand-messe : la convention nationale où sera adoubé le champion. Pourquoi pas à Yamoussoukro, le jour du centième anniversaire de la naissance de Félix Houphouët-Boigny, le 18 octobre prochain ? Le parti ferait coup double : un rassemblement de tous les houphouétistes – et, au-delà, de tous les déçus de Laurent Gbagbo et le lancement de la fusée Bédié. Laquelle a élu domicile dans une villa du quartier résidentiel de Cocody, avec une garde rapprochée de Casques bleus jordaniens, de Sud-Africains, ainsi que d’éléments de l’armée nationale formés en Afrique du Sud, et se déplace en voiture blindée.
Pour engager la future bataille électorale, l’homme de Daoukro, son village natal, a pris soin de renouveler sa garde rapprochée. Les vieux amis restent, bien sûr. Gaston Ouassénan Koné tient le groupe parlementaire face aux tentatives de débauchage de députés PDCI. L’ancien président du Conseil constitutionnel Némin Noël – peut-être le plus intime des membres de l’entourage – et l’ex-ministre de l’Agriculture, Lambert Kouassi Konan, sont de tous les déplacements du patron, ou presque. Mais de nouveaux visages apparaissent. Il s’agit d’élus locaux qui sont restés fidèles à Bédié pendant l’épreuve et ont tenu le parti à bout de bras entre 1999 et 2002. Aujourd’hui, certains héritent d’un ministère, comme Ahoussou Jeannot Kouadio à l’Industrie ou Kouassi Kobenan Adjoumani aux Ressources halieutiques… D’autres donnent leur pleine mesure dans le gouvernement du parti, comme Dao Henriette chez les femmes, et le très combatif Kouakou Konan Bertin – « KKB » – à la tête de la jeunesse du PDCI. Autre figure de proue de la jeune génération, Atsé Jean-Claude a créé le Forum des jeunes du PDCI.
Il y a également le secrétaire général, Alphonse Djédjé Mady. Soupçonné un temps d’être trop tiède à l’égard du pouvoir à cause de son origine bétée – comme Laurent Gbagbo -, il s’est définitivement imposé lors de la grande manifestation de l’opposition, le 25 mars 2004. « Ce jour-là, en accusant le pouvoir d’instaurer une dictature, Djédjé Mady est passé à l’offensive et a mis fin à près de cinq ans de torpeur et de traumatisme au sein du parti », confie un observateur de la vie politique ivoirienne. Mieux, l’ancien médecin urologue du Centre hospitalier universitaire de Cocody, qui, à Abidjan même, a dénoncé avec vigueur la sanglante répression – 120 morts et 20 disparus, selon l’ONU -, est devenu tout naturellement le porte-parole du G7, la coalition de l’opposition ivoirienne.
Restent deux écueils pour le candidat Bédié. D’abord, son alliance, depuis le mois de mai dernier, avec le RDR d’Alassane Ouattara au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Une alliance stratégique accompagnée d’une double plate-forme de conquête du pouvoir et de gouvernement. Hors micros et caméras, les deux partis se sont déjà entendus dans les moindres détails sur la quasi-totalité des postes de responsabilité. Cette alliance peut désorienter des électeurs traditionnels du PDCI au sein de la communauté akan, au centre du pays. C’est du moins le calcul politique d’un Laurent Gbagbo ou d’un Laurent Dona Fologo. Mais à l’inverse, le soutien affiché du dissident Fologo à la politique du FPI de Laurent Gbagbo choque nombre de militants PDCI attachés à l’autonomie politique du vieux parti d’Houphouët, et peu portés à oublier l’inlassable guérilla que leur a menée l’actuel chef de l’État.
Autre écueil, le long séjour d’un an que Bédié vient d’effectuer en France. De quoi nourrir la propagande du pouvoir sur « le parti de l’étranger ». Même si la réalité est tout autre. Avec leurs maires et leurs conseillers généraux élus en 2001, le PDCI et le RDR sont bien mieux implantés sur le territoire ivoirien que le Front populaire ivoirien (FPI, de Gbagbo). Cela dit, après les affrontements sanglants de novembre 2004 avec les soldats français, Bédié le francophile peut perdre des voix à Abidjan. Les « Patriotes » en sont persuadés. À l’inverse, l’opposition peut rallier les voix des Ivoiriens – moins bruyants, mais probablement plus nombreux – qui regrettent le départ des Français et la perte consécutive de nombreux emplois. Sur la scène internationale, l’amitié de Jacques Chirac peut aussi être un atout. Cette amitié, l’ancien président ivoirien a su la cultiver pendant sa traversée du désert. Jusqu’à la rupture de novembre 2004, Laurent Gbagbo a bien essayé de se rapprocher du chef de l’État français aux dépens d’Henri Konan Bédié. Pour cela, il a même sollicité les services d’un ancien sénateur français, Jean-Pierre Camoin. Mais un jour, celui-ci a fini par lâcher : « Décidément, il n’y a rien à faire. Chirac préférera toujours Bédié. »
À 71 ans, l’enfant de Daoukro, gonflé à bloc, joue sa dernière carte. Et ne néglige rien pour enfin revenir. Dans cinq ans, il aura dépassé la limite d’âge – 75 ans – imposée par la Constitution de 2000. À l’état-major du PDCI, certains se prennent à rêver qu’un accord secret a été conclu entre Bédié et Ouattara. La présidence pour le premier et une super-primature pour le second pendant une période de transition ouvrant la voie, dans un second temps, à l’élection du chef du RDR. Mais il n’est pas sûr que ce scénario soit du goût des partisans d’Alassane Ouattara… Quoi qu’il en soit, l’alliance Bédié-Ouattara est à prendre au sérieux. Elle paraît plus solide que le tandem Gbagbo-Ouattara des années 1990. Cette fois – et l’expérience aidant -, chaque membre de l’attelage est persuadé que personne ne peut gagner seul la présidentielle en Côte d’Ivoire et que le rassemblement est la condition sine qua non de la victoire. Maintenant, il reste à faire le plus dur après la fin de la médiation sud-africaine : des élections libres et ouvertes à tous les Ivoiriens, sans listes électorales tronquées et sans bourrages d’urnes….

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