Avec les rebelles du Darfour

L’Armée de libération du Soudan (ALS) poursuit sa lutte contre le régime de Khartoum et ses milices. Désertée par la population civile, la province du Darfour n’est plus qu’une terre de désolation. Un enjeu mineur pour lequel la communauté internationale

Publié le 19 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Le décor n’est que sable et terre aride à perte de vue. Seuls le bruit des moteurs et le grincement des essieux perturbent le silence du désert. Deux vieux 4×4 rouillés s’avancent avec, à leur bord, une douzaine de jeunes hommes armés jusqu’aux dents. Ce sont des patrouilleurs de l’Armée de libération du Soudan (ALS), de retour à leur base après plusieurs jours de mission. Ils ont sillonné la zone sous contrôle rebelle avec ordre de prêter main-forte aux rares civils qui restent en cas d’agression des Djandjawids. Pas d’incidents à déclarer pour cette fois. Malgré les cessez-le-feu successifs signés depuis deux ans, des échanges de tirs se produisent encore régulièrement dans le secteur de Furawya, au nord du Darfour, à 150 km de la frontière tchadienne. Les combattants descendent de voiture. Certains ont encore des traits d’enfants, les plus jeunes n’ont guère plus de 16 ans. La plupart ont les yeux injectés de sang et sentent l’alcool. L’un d’eux, un peu plus âgé, s’approche en faisant de grands gestes avec son couteau dans une main et sa mitraillette dans l’autre, comme pour terrasser un ennemi invisible. Il n’attend pas les questions pour raconter son histoire : « Je sais que je vais mourir, mais je n’ai pas peur de la mort. Je veux me battre pour mes droits et pour les droits des gens de ce pays. Presque toute ma famille est morte à cause des Djandjawids. Voilà pourquoi je me bats », scande-t-il entre deux crachats. Derrière lui, les plus jeunes sourient en silence en écoutant le discours bien rodé de leur aîné.
Chacun retourne ensuite à ses quartiers. Dans cette base arrière de l’ALS, on compte une soixantaine de huttes, qui abritent environ 500 hommes. La plupart sont à leur poste, à des check-points ou en patrouille. Les chefs, les porte-parole et les commandants sont là.
Kabila est un membre de la branche politique du mouvement rebelle. Il arrive tout juste de N’Djamena et va passer deux mois avec les troupes. Lorsqu’on lui parle d’indépendance pour le Darfour, il sourit : « Nous ne voulons pas de scission, nous voulons juste plus de pouvoir pour les Africains du Darfour, une sorte d’autonomie. Nous voulons les mêmes droits que les autres régions du Soudan », explique-t-il d’une voix posée, presque dans un murmure. « Si le gouvernement soudanais d’Omar el-Béchir accepte de reconnaître nos droits, s’il accepte aussi le retour de tous les réfugiés dans leurs villages en les indemnisant, s’il fait punir les criminels de guerre Djandjawids et les militaires, alors nous pouvons envisager de déposer les armes et de signer une paix définitive. »
À ses côtés, le commandant Djibril acquiesce. Il a perdu ses sept frères le même jour dans un combat terrible. Avant de rejoindre la rébellion, il avait déjà affronté les Djandjawids treize fois lorsque ceux-ci tentaient de lui voler son bétail. Pas d’idéologie, ni de politique pour lui. « Je laisse la négociation aux chefs. Moi, je dirige mes hommes en fonction des ordres que je reçois », explique-t-il en pointant du doigt son téléphone satellite Thuraya. Puis il se lève et va faire sa prière sur un tapis orienté en direction de La Mecque. Les rebelles sont musulmans comme leurs ennemis. Le conflit du Darfour n’est pas religieux. Il est ethnique entre les Africains sédentaires et les Arabes nomades.
Adam Altigani Osman est le porte-parole des rebelles de la zone de Furawya. Cet ancien professeur a rejoint la rébellion il y a deux ans. « J’ai des choses à vous montrer, explique-t-il en enroulant lentement son chèche blanc autour de sa tête. Vous devez absolument voir ça ! » Accompagné de deux hommes en armes, il monte en voiture met le cap au nord. Quelques kilomètres plus loin, il s’arrête dans un amas de ruines, un village, sans doute, autrefois. Chaque maison a été méthodiquement saccagée et incendiée. Le dispensaire et l’école n’ont pas été épargnés. « Ce sont les Djandjawids et le gouvernement d’Omar el-Béchir qui ont fait cela, enrage-t-il. Je suis en colère quand je vois tous ces ravages, car ce sont les civils qui en ont été victimes. À l’époque, il n’y avait pas de base rebelle dans le secteur. » Comme pour prouver que le gouvernement central a participé au massacre, Omar se dirige vers l’extérieur du village, où une bombe n’a pas explosé. L’engin fait environ 1,50 m de long et n’a pu être largué que depuis un avion de l’armée régulière. « Cette bombe est de fabrication russe. C’est la signature du gouvernement d’Omar el-Béchir », explique-t-il. Les Djandjawids n’ont pu agir seuls. Le gouvernement les a armés pendant des années pour contrer la rébellion. Toutes ces traces encore visibles aujourd’hui confirment les témoignages des réfugiés. Depuis deux ans, ils racontent les mêmes histoires de bombardements et de tueries. Des attaques minutieusement coordonnées.
Dans les rues du village, pourtant, pas de signes de massacres. Adam Omar nous emmène à moins de 5 km dans ce qu’il appelle la « Montagne du génocide ». Il faut monter une centaine de mètres pour commencer à voir les premiers bouts de tissus et les os éparpillés un peu partout. « Ce sont des restes de corps humains », précise Adam sur un ton monocorde. Un peu plus loin, on trouve des squelettes entiers, cinq en tout. En différents endroits, des crânes, des fémurs. Tout semble indiquer qu’une trentaine de personnes ont trouvé la mort ici. « C’étaient des civils qui fuyaient les bombardements. Ils ont été rattrapés et massacrés sur place », raconte Adam, puis il pointe du doigt un amas de terre d’où sortent quelques bouts de tissu. « Là-dessous, il doit y avoir d’autres cadavres. Au début, ils ont probablement voulu les enterrer pour dissimuler les preuves aux yeux du monde. Mais ensuite, ils ne se sont même plus donné cette peine. » Une fois encore, les témoignages des réfugiés semblent se confirmer. Adam cite ensuite d’autres villages : « Abogamara, Goz Nesm, Tawila, Jerjeza… »
Au loin, le bruit des véhicules tout-terrain résonne. Les groupes de jeunes rebelles partent de nouveau en patrouille pour plusieurs jours. Autour d’eux, un paysage aride s’étire à perte de vue. Un domaine de désolation. Au Sud-Soudan, les partisans de John Garang se sont battus pendant plus de vingt ans pour un territoire recélant du pétrole et des richesses. Ici, même si certains parlent de pétrole, il n’y a pas d’enjeu économique apparent, aucune promesse de fortune à venir. Juste une guerre oubliée par le reste du monde.

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