Virage libéral
La bonne tenue des cours du pétrole a permis de doper la croissance. Mais bien des réformes restent à faire.
Jamais l’Algérie ne s’est portée aussi bien depuis son entrée dans l’économie de marché au milieu des années 1990 : une croissance exceptionnelle de 6,8 % en 2003, la plus forte enregistrée depuis quinze ans, des réserves de change de 32,9 milliards de dollars, une hausse des revenus des ménages de 12 %, un net recul du chômage… Comme le confirment ces chiffres, le pays a opéré un redressement remarquable. Ce quasi-miracle tiendrait, en grande partie, à la réussite du Plan triennal de soutien à la relance économique (PSRE) mis en place par l’État en avril 2001. Objectif : être « un instrument d’accompagnement des réformes structurelles » pour favoriser l’insertion du pays dans l’économie mondiale.
Les autorités ont engagé 525 milliards de dinars (7,7 milliards de dollars) pour la réalisation des différentes activités. Répartis à hauteur de 210,5 milliards pour les grands travaux d’infrastructures, 114 milliards pour l’appui au développement local, 90,2 milliards pour le développement des ressources humaines, 65,3 milliards pour l’agriculture et la pêche, et enfin 45 milliards pour l’appui aux réformes, ce nouveau programme d’investissement a permis de mobiliser pas moins de 13 % du Produit intérieur brut (PIB) en plus des dépenses budgétaires normales. À la fin de décembre 2003, moins de 1 % des quelque 16 000 projets était encore en gestation, la plupart des initiatives étant déjà achevées ou en cours de réalisation. Ce qui a permis de créer près de 730 000 emplois permanents et saisonniers.
Principal bénéficiaire du PSRE, le secteur agricole a connu une croissance de 17 % en 2003 grâce aux effets conjugués des bonnes conditions climatiques et des investissements publics consentis au titre du Plan national de développement agricole (PNDA). À l’exception de la pétrochimie, le secteur de l’énergie a connu une évolution positive en termes de volume : + 8,8 % pour les hydrocarbures, + 6,5 % pour l’électricité, et + 12,1 % pour les mines, soit une croissance globale du chiffre d’affaires énergétique de 25,3 % par rapport à 2002. Les secteurs du BTP et des services affichent également une croissance respective de 5,8 % et 5,7 % en 2003.
La hausse des cours mondiaux du pétrole a influé de manière positive sur les principaux indicateurs. La balance commerciale a ainsi enregistré un excédent de près de 11 milliards de dollars en 2003, soit une augmentation de 59 % due essentiellement aux hydrocarbures, qui représentent 98 % des exportations du pays et 66 % des recettes fiscales. En conséquence, l’inflation a pu être contenue à 2,6 %, un niveau jugé « remarquable » par les économistes en raison du lancement des programmes publics d’investissement, potentiellement inflationnistes, et de l’augmentation des revenus des ménages.
Malgré ces bons résultats, la croissance, portée par le PSRE, reste fragilisée par l’environnement économique. Au-delà de la lenteur dans la mise en oeuvre des réformes, l’économie algérienne n’est pas à même de créer des dynamiques d’entreprise et de capital. Comme le note le rapport du Conseil national économique et social (Cnes) sur la conjoncture du deuxième semestre 2003, l’aide « ne permet pas de transformer les impulsions de croissance en dynamique de développement… ». Plusieurs raisons sont invoquées, dont les limites des capacités nationales d’absorption ou encore la faible implication du secteur privé.
En l’état, les contraintes au développement de l’investissement privé restent nombreuses. Outre le fait que le secteur public contrôle encore une partie importante de l’activité économique, l’accès au foncier industriel demeure problématique. Les conditions d’accès à la propriété de la terre et à son utilisation ne sont pas clairement définies, et le promoteur se retrouve face à une multitude d’institutions pour l’affectation des terrains et la gestion des espaces industriels. Cela ne facilite pas la sécurisation des activités et les investissements. Par ailleurs, l’offre étant limitée par rapport à la demande, les prix se révèlent souvent prohibitifs pour les opérateurs économiques. La libéralisation du secteur foncier, entamée il y a déjà une dizaine d’années, n’a pas permis, pour l’instant, de lever les obstacles constitués par la bureaucratie administrative. Lors de son discours d’investiture le 18 avril dernier, le président Bouteflika n’a pas manqué d’évoquer le problème, promettant « l’assainissement, le développement et la fluidification du marché foncier industriel ».
Parmi les autres contraintes au développement du secteur privé, la Banque mondiale relève les difficultés de financement, un accès limité à l’information, une insuffisance de la réglementation du travail conjuguée au manque de travailleurs qualifiés, des infrastructures inadéquates, un système juridique peu efficace, ainsi que des barrières administratives fortes. « Bien que l’économie algérienne soit gérée de manière moins administrative qu’il y a quelques années, note l’institution de Bretton Woods, l’héritage d’une planification fortement centralisée et, surtout, hautement contrôlée et bureaucratisée demeure… Les agents de la fonction publique sont sous-équipés et sous-payés, et ne disposent pas, dans l’ensemble, des possibilités qu’offrent les technologies modernes de l’information et de la communication. Cela affecte non seulement l’efficacité et les approches innovatrices, mais crée également des risques de blocage des réformes, de mauvaise gestion et de corruption. »
Pour se préparer aux effets de l’entrée en vigueur de l’accord d’association avec l’Union européenne, mais aussi à l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce, le gouvernement souhaite mieux maîtriser les données économiques. Pour le Cnes, les autorités doivent améliorer le système national d’information pour évaluer de manière fiable les politiques publiques et mieux orienter les investissements.
Pour mobiliser l’épargne des particuliers et favoriser les engagements du secteur privé, les pouvoirs publics devront également veiller à moderniser et à améliorer la transparence du système bancaire. Les banques publiques accusent toujours un retard d’adaptation inquiétant par rapport aux normes internationales avec pour corollaire de nombreux préjudices quant à la mobilisation des ressources extérieures. D’autre part, le manque de rigueur et de transparence dans les opérations de certains établissements privés remet en question la crédibilité de la place bancaire.
Si le haut niveau des réserves de change accumulées peut encore permettre le lancement d’un deuxième PSRE, la poursuite de tels investissements comporte des risques en cas de chute des prix du baril de pétrole. Inflation, modification du taux de change réel, épuisement du fonds de régulation des recettes : les coûts d’ajustement augmenteraient en conséquence. Alors que l’État reste actuellement le principal investisseur, les PSRE, PNDA et autres plans de développement continuent de peser de manière significative sur les dépenses publiques. Depuis quatre ans, le taux de croissance annuel de ces dépenses est estimé à 14 %. Les réformes en cours ont donc pour objectif de sortir le pays de l’économie d’endettement et de soutenir durablement la croissance, en impliquant plus fortement le secteur privé.
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