Vers une dynastie Moubarak ?

Le remaniement du 13 juillet a vu l’arrivée aux postes clés de l’économie de jeunes technocrates proches de Gamal, le fils du raïs. Comme si on assitait à un début de passation de pouvoir entre le président et son dauphin putatif.

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 6 minutes.

Hosni Moubarak, au pouvoir depuis vingt-trois ans, détient le record de longévité à la tête de l’État égyptien depuis Mohamed Ali, qui a régné sur le pays au début du XIXe siècle. Selon la Constitution de septembre 1971, le raïs a un pouvoir quasi pharaonique, puisqu’il est à la fois chef du pouvoir exécutif, chef suprême des forces armées et gouverneur militaire au titre de l’état d’urgence en vigueur depuis l’assassinat du président Anouar al-Sadate, le 6 octobre 1981.
Mais, à 76 ans passés, l’homme n’affiche plus une bonne santé – c’est le moins que l’on puisse dire. En novembre 2003, il a été victime d’un malaise qui l’a contraint à interrompre son traditionnel discours d’ouverture de la session parlementaire du Majlis el-Chaab (Assemblée nationale). Le mois dernier, il s’est fait opérer pour une hernie discale dans un hôpital de Munich, en Allemagne. Son éloignement du pays pendant plus d’une semaine a relancé le débat sur sa succession. Car le président refuse toujours de nommer un vice-président, qui assurerait la continuité de l’État en cas de vacance du pouvoir, comme le stipule la Loi fondamentale. Avant sa récente opération, il a cru régler ce problème en signant un décret confiant les pleins pouvoirs au Premier ministre sortant Atef Abeid, un geste qui n’a pas été apprécié – c’est un euphémisme – par nombre de ses concitoyens.
Alors que le quatrième mandat du président tire à sa fin – il s’achèvera en 2005 -, ses partisans commencent à chuchoter qu’il serait le candidat idéal à sa propre succession. Au sein du Parti national démocratique (PND, au pouvoir), de nombreux militants soutiennent cependant Gamal, son fils cadet, homme d’affaires de 42 ans, qui serait le mieux placé, selon eux, pour garantir une transition sans problèmes et accomplir les réformes élaborées au sein du Comité politique du PND.
En laissant planer le doute sur ses réelles intentions – briguera-t-il un cinquième mandat de six ans, intronisera-t-il son fils ou cédera-t-il le témoin à l’un des ténors du PND ? -, Moubarak laisse la porte ouverte aux supputations de tous ordres. Car les 72 millions d’Égyptiens sont épuisés par la crise économique que traverse leur pays depuis deux ans : inflation galopante – la libéralisation du taux de change en janvier 2003 a fait perdre à la livre égyptienne le quart de sa valeur -, taux de chômage approchant 20 % et rétablissement des bons d’alimentation. Supporteront-ils plus longtemps les duperies et les faux-semblants d’un régime qu’ils jugent hermétique, incompétent, corrompu et, plus grave encore, responsable du recul de l’influence diplomatique de l’Égypte sur la scène internationale, sans parler de son inféodation à Washington ? Rien n’est moins sûr, même si, dans sa fuite en avant, le président continue de lancer, de temps à autre, des signes d’ouverture en direction des forces progressistes qui exigent plus de liberté, de participation et de réformes économiques et politiques. Loin de traduire une réelle volonté de changement, ces signes s’inscrivent dans une tactique de survie. Ils sont, au mieux, des ballons d’essai, au pire, des leurres destinés à tromper les opinions intérieure et extérieure.
Lu sous cet angle, le remaniement du gouvernement, entériné le 13 juillet par décret présidentiel, serait donc un simple tour de passe-passe par lequel le raïs cherche à masquer l’immobilisme de son régime par un ersatz de mouvement. En somme, il essaie de faire du vieux avec du neuf…
Les Égyptiens espéraient, il est vrai, plus qu’un simple remaniement. À la veille de deux rendez-vous politiques importants – élections législatives et (très probable) référendum/plébiscite sur un cinquième mandat présidentiel pour Moubarak en 2005 -, ils attendaient des changements politiques plus substantiels, comme la nomination d’un vice-président, l’institution de l’élection du président de la République au suffrage direct – selon le mode de scrutin actuel, ce dernier est désigné par un collège de grands électeurs et plébiscité par une consultation populaire -, bref l’approfondissement des réformes démocratiques… Ils n’ont eu droit finalement qu’à un grand ménage ministériel. Le remplacement au poste de Premier ministre du septuagénaire Atef Abeid, dont l’incompétence n’avait d’égal que l’impopularité, par un technocrate de 52 ans, Ahmed Nazif, réputé intègre mais dénué de toute expérience politique (voir encadré), et la reconduction de plus de la moitié de l’ancien gouvernement ne peuvent en effet être assimilés à une révolution, fût-elle de palais.
Certes, Safouat Chérif, ex-ministre de l’Information, et Youssef Wali, qui dirigeait le département de l’Agriculture, deux caciques du régime, ont été remerciés. Mais de nombreux autres symboles du système ont été maintenus, qui plus est à des postes importants ou de souveraineté. C’est le cas notamment de Mohamed Hussein Tantatoui (Défense), Habib al-Adli (Intérieur), Farouk Hosni (Culture), Mahmoud Zaqzouq (Affaires religieuses), Ahmed Chafik (Aviation civile), Sameh Fahmi (Pétrole), Osmane Mohamed Osmane (Planification), ainsi que de Mamdouh al-Beltagui, qui a troqué le portefeuille du Tourisme contre celui de l’Information. Quant à Ahmed Aboul Gheit, ex-ambassadeur d’Égypte aux Nations unies, qui a remplacé à la tête des Affaires étrangères le très effacé Ahmed Maher, il est loin de constituer une nouvelle figure.
Le seul intérêt du dernier remaniement résiderait-il dans l’arrivée à la tête des postes clés de l’économie de jeunes technocrates proches de… Gamal Moubarak ? C’est ce qu’affirment, en tout cas, la plupart des analystes égyptiens. Le président du Comité politique du PND, qui cherche à incarner l’aile jeune, libérale et réformatrice du régime, a gravi tous les échelons de la responsabilité au sein du parti au pouvoir et gagné la confiance des milieux d’affaires égyptiens et occidentaux. Serait-il en train de placer ses poulains dans les rouages de l’État, en attendant de pouvoir en prendre, un jour, lui-même, la direction ? Assistons-nous donc à un début de passation de pouvoir entre le président et son dauphin putatif ?
Oui, en ce sens que Moubarak père semble avoir cédé, à la faveur du dernier remaniement, les principaux leviers de la décision économique à son fils. Non, car le raïs tient encore en main les leviers des pouvoirs politique, diplomatique, sécuritaire et militaire. Il garde aussi la latitude de gérer la transition à la tête de l’État – puisqu’elle devrait avoir lieu un jour – comme il le souhaite, c’est-à-dire en préservant autant que faire se peut les intérêts de sa famille (et de son clan), sans hypothéquer ceux de l’Égypte. Les deux étant, dans son esprit, conciliables, à défaut d’être totalement compatibles.
Quant aux réformes politiques longtemps réclamées par l’opposition et exigées aujourd’hui par les Américains, elles pourraient attendre. « Rien ne presse, d’autant que les Frères musulmans sont à l’affût de la moindre ouverture pour se lancer à la conquête du pouvoir », ne cesse de répéter le président égyptien à ses interlocuteurs occidentaux. Lesquels se laissent volontiers convaincre. Et pour cause : les partis de l’opposition laïque comme le Wafd (la « Délégation », libéral), le Tagammou (le « Rassemblement », marxiste) et le Parti nassérien (nationaliste arabe) ne pèsent guère face au PND, qui domine la vie politique dans le pays. C’est la confrérie des Frères musulmans, fondée en 1928 par Hassan el-Banna, symbole historique de l’islam politique, qui est aujourd’hui la force la plus organisée et la mieux implantée dans le pays. Et même si elle n’a que 17 députés sur les 454 que compte le Majlis el-Chaab, et qu’elle rejette fermement la violence, elle n’en continue pas moins de prôner l’instauration d’un État islamique. Alors, entre Moubarak (père ou fils) et Mohamed Mehdi Akef, le « Guide suprême » des Frères musulmans, pour l’Occident, le choix est fait.

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