Une terre, deux peuples et un mur
La Haute Cour de Tel-Aviv contestait déjà le tracé de la « barrière de protection » en territoire palestinien occupé. L’avis de la Cour internationale de justice remet en question le principe même de son édification.
Le coup de semonce a été tiré du coeur même des institutions israéliennes : le 30 juin dernier, sur la plainte de plusieurs conseils de villages palestiniens coupés en deux par les bulldozers, les trois juges de la Haute Cour de justice de Tel-Aviv ont demandé à l’armée de « revoir sa copie ». C’est-à-dire de réviser, sur une quarantaine de kilomètres, au nord-ouest de Jérusalem, le tracé de la barrière de sécurité que celle-ci construit depuis deux ans pour protéger Israël des attaques terroristes en provenance de Cisjordanie.
« En séparant les habitants de leurs terres, l’armée viole leurs droits selon la loi humanitaire internationale », avaient écrit les juges suprêmes israéliens qui recommandaient que « tout soit entrepris » pour minimiser les souffrances supportées par les Palestiniens du fait de l’édification d’une clôture de séparation. Cette dernière devenait illicite dès lors qu’elle cessait de respecter une juste proportion entre les impératifs de la sécurité – seuls jugés « légaux » – et les atteintes causées au cadre de vie des Palestiniens.
Salué par le camp de la paix dans le monde entier et par l’opposition travailliste en Israël, cet arrêt avait cependant déclenché les sarcasmes d’une presse palestinienne qui affirmait être restée sur sa faim : « La Cour suprême sioniste a donc considéré que le mur raciste – qu’elle appelle « séparation antiterroriste » – portait préjudice aux Palestiniens. Tiens donc… » (Al Hayat al-Jadida). En effet, si certains abus particulièrement flagrants et certaines fautes de parcours avaient été corrigés par une Cour visiblement soucieuse de se montrer à l’écoute des plaignants, les juges n’avaient pour autant aucunement remis en question le principe même de la barrière. Ils ne contestaient pas l’existence d’une nouvelle frontière « de fait », matérialisée, plusieurs kilomètres parfois à l’intérieur du Territoire palestinien occupé, par une clôture de barbelés et de béton truffée d’appareils de détection électronique, seulement trouée par de rares portails permettant aux heureux bénéficiaires de laissez-passer (toujours révocables) de rejoindre leurs champs, de se rendre à leur travail, à l’hôpital, ou de conduire leurs enfants à l’école.
Bien qu’il ait été vexé d’avoir à se plier aux remontrances de la Cour, le gouvernement d’Ariel Sharon s’est donc efforcé de faire contre mauvaise fortune bon coeur : « Le fait qu’Israël change le tracé à la suite d’une décision interne montre que nous n’avons pas besoin d’une intervention extérieure », a grincé le chef de sa diplomatie Sylvan Shalom.
Moins de deux semaines plus tard, le 9 juillet, une nouvelle condamnation est pourtant tombée sur les promoteurs du « mur » – un terme désormais explicitement validé par la juridiction internationale -, tandis que Yasser Arafat a pu saluer, sans réserve cette fois, « une victoire pour le peuple palestinien. […] Le mur de Berlin est tombé, le mur de Sharon tombera ! » L’avis rendu – à l’unanimité moins une voix : celle d’un juge américain – par la Cour internationale de justice de La Haye (Pays-Bas) est en effet particulièrement sévère pour Israël.
Comme la carence du Conseil de sécurité lui en ouvrait la possibilité, l’Assemblée générale des Nations unies avait posé à la Cour, en décembre 2003, une question d’une simplicité inhabituelle : « Quelles sont les conséquences de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé […] compte tenu des règles et des principes du droit international ? »
La réponse de la Cour a elle aussi le mérite de la clarté : « Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux violations du droit international dont il est l’auteur ; il est tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur, […] de démanteler immédiatement l’ouvrage construit dans le territoire palestinien occupé et de priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent. […] La Cour constate par ailleurs qu’Israël a l’obligation de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées. […] Il est en conséquence tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis. » Cette sentence est sans doute la plus dure jamais prononcée par une institution internationale à l’encontre de l’État d’Israël depuis sa création.
Derrière la condamnation du mur, c’est en effet l’ensemble de la politique d’occupation israélienne des territoires conquis par la force qui est mise en cause. La Cour doute du « caractère provisoire » d’une occupation qu’elle qualifie plutôt de « tentative d’annexion » : comment expliquer, sinon, l’existence de ces « doigts » (l’expression est celle en usage à Tel-Aviv) enfoncés en territoire palestinien afin de faire en sorte que les « ongles » (les colonies de peuplement israéliennes) restent, pour les quatre cinquièmes d’entre eux, situés du « bon côté » du mur ? Comment justifier les incroyables méandres du tracé de ce dernier, autrement que par la volonté de modifier la composition démographique du territoire palestinien en provoquant le départ forcé de milliers de ses habitants, contraints à un nouvel exode pour ne pas se trouver coincés dans des « zones fermées » entre un mur infranchissable et une frontière – la Ligne verte – étanche, autant d’enclaves économiquement dévastées où la simple survie devient une gageure ?
Les juges n’admettent pas davantage les « arguments sécuritaires » d’Israël, déclarant « n’être pas convaincus » que la construction d’un mur s’imposait du fait « des impératifs militaires ou des nécessités de sécurité nationale ou d’ordre public ». Ce n’était en tout cas, à leurs yeux, pas « le seul moyen de protéger les intérêts d’Israël contre le péril dont il s’est prévalu ». Plus grave encore : le droit de l’État hébreu à la légitime défense, autour duquel s’articulait l’essentiel du plaidoyer pour la construction du mur qu’Israël avait communiqué par écrit à la Cour de La Haye, se trouve être contesté dans cet arrêt. Non sans perversité, la Cour note que la Charte des Nations unies « reconnaît l’existence d’un droit naturel de légitime défense en cas d’agression armée d’un État contre un autre État ». Or « Israël exerce son contrôle sur le territoire palestinien occupé » et, « comme il l’indique lui-même, la menace qu’il invoque pour justifier la construction du mur trouve son origine à l’intérieur de ce territoire… » C.Q.F.D. !
C’est bien sûr cette partie du jugement qui a suscité l’indignation la plus vive dans la presse israélienne, elle aussi unanime : au nom de la légalité internationale et de la morale universelle, la Cour de La Haye a refusé à Israël, pour la première fois, son « droit sacré » de combattre le terrorisme. « Le mur vous fait souffrir mais, sans lui, nous mourons ! » réplique-t-on ici aux défenseurs des droits de l’homme qui n’acceptent pas de voir appliquée « l’exception terroriste » aux habitants du territoire palestinien occupé. Le ralentissement du rythme des attaques, consécutif (ou concomitant) à la construction des premiers segments du mur, semble bien prouver en effet que sa présence est efficace, ce qui revêt une importance particulière à la veille – supposée – de l’évacuation de Gaza par les Israéliens. Ariel Sharon, commentant l’attentat suicide qui a tué une jeune femme et fait une vingtaine de blessés à Tel-Aviv, deux jours après l’énoncé du verdict, s’est indigné de ce « premier meurtre commis sous le patronage de l’avis de la Cour internationale de justice ! ». La colère n’égarait pas le Premier ministre israélien au point de lui faire oublier qu’il ne s’agit effectivement que d’une condamnation platonique sans force exécutoire.
Outre son impact sur l’opinion internationale, une telle consultation ne peut en effet prétendre qu’à fournir aux instances des Nations unies des éléments juridiques qui les aident à étayer de futures décisions portant sur le même sujet. La résolution, imminente, que prononcera l’Assemblée générale des Nations unies à la demande de l’Autorité palestinienne ne constituera sans doute pas une surprise et il y a de bonnes chances qu’elle exige à son tour le démantèlement du mur. Le Conseil de sécurité, seul organe dont les décisions sont coercitives, ne sera pas, quant à lui, sollicité par les Palestiniens avant la présidentielle américaine de novembre prochain, pour ne pas accorder à George W. Bush le bénéfice électoral d’un veto annoncé… Voilà pourquoi l’ancien Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, le rival de Sharon au Likoud, s’est accordé le plaisir de défier l’organisme représentatif de 191 pays dans le monde : « Ils peuvent décider tout ce qu’ils veulent. Ils peuvent dire que la terre est plate. Cela ne rendra pas cette décision légale, pas plus que cela ne la rendra vraie, ou juste ! »
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