Ce que le coronavirus va changer pour les musulmans
Mosquées fermées, pèlerinages annulés, rassemblements suspendus… Face à la propagation du Covid-19 et en dépit de certaines réticences, les responsables religieux musulmans sont forcés de s’adapter.
Les images saisissantes de l’esplanade de la Kaaba vide ont fait le tour du monde. Le lieu le plus saint de l’islam, la Grande mosquée de la Mecque, a été temporairement fermé le 5 mars pour lutter contre la propagation du coronavirus, qui a déjà fait près de 4 000 morts. Une mesure inédite, accompagnée d’autres décisions : fermer les mosquées saintes de La Mecque et Médine entre les services d’al Ichaa et d’al Fajr, et suspendre la Omra, le « petit pèlerinage », jusqu’au 15 avril au moins.
En Iran, où le Covid-19 a déjà fait près de 300 morts, des dizaines de milliers de mosquées sont restées fermées vendredi dernier. Et aux Émirats, le conseil de la fatwa — instance officielle —, a émis un avis : il est haram d’aller à la mosquée si l’on est malade.
Au Maroc, la décision de suspendre la Omra est accueillie avec « compréhension », confie une source au ministère des Habbous (affaires islamiques). Mais si la question de fermer l’accès aux prières collectives se pose dans les couloirs des ministères concernés, « leur annulation n’est pas encore à l’ordre du jour », admet un membre du ministère de la Santé. Il assure toutefois que les mesures sanitaires seront prises avec l’ «aval» des autorités religieuses.
AP Photo/Amr Nabil/SIPA
Mosquée de Paris fermée
Pourtant, la prière représente bien un moment favorable à la contagion du virus. « Une mosquée, c’est un lieu de grande promiscuité. Au début de son prêche, l’imam demande aux fidèles de se rapprocher, épaule contre épaule. En pleine crise du coronavirus, mieux vaut éviter les afflux de fidèles », assure Hafiz Chems-Eddine, recteur de la Grande Mosquée de Paris, à laquelle sont affiliées 300 autres mosquées de France.
Face à l’épidémie, il a pris ce lundi 9 mars la décision de fermer les portes du lieu de la Grande Mosquée de Paris, qui accueille jusqu’à 10 000 fidèles pour la prière de vendredi, ainsi que tous les lieux de culte qui peuvent accueillir plus de 1000 personnes, « jusqu’à nouvel ordre ».
« Les plus hautes autorités religieuses s’accordent sur ce point : notre religion nous enjoint avant tout de combattre le virus », explique-t-il, rappelant que le corpus des hadith prophétiques permet de privilégier les vertus de l’action en faveur de la préservation de la santé à la prière collective.
Même son de cloches du côté de la Fédération des musulmans de France (MF, ex-UOIF) : « Les enseignements de l’islam permettent la suspension temporaire d’une pratique religieuse collective ou individuelle en cas de danger sanitaire avéré. »
Dans les lieux de culte restés ouverts, les responsables constatent que l’afflux a déjà baissé aux horaires de prières. Néanmoins, ils invitent les fidèles à prendre certaines mesures de précaution. Le CFCM préconise ainsi le retrait « des lieux d’ablutions des mosquées les serviettes à usage multiple». Et en Tunisie, le ministère de la Santé conseille aux fidèles d’amener leur propre tapis pour prier.
Les autorités religieuses du monde entier s’accordent à dire qu’il n’y a aucun mal à prier chez soi en cas d’épidémie
Des précautions déjà en place à la mosquée de Cergy, une des plus grandes d’Île-de-France. « On redouble de vigilance en matière de propreté et de mise à disposition de savon. Et l’imam consacre une partie de ses prêches à la prévention. La plupart des fidèles y sont réceptifs », assure une bénévole.
Négociations
Cependant, ces arguments semblent encore peu recevables dans d’autres pays. A l’instar du Sénégal, où le responsable de la communication de la grande mosquée Massalikoul Jinaan de Dakar, Mor Daga Sylla, estime qu’« il n’est pas question d’annuler la prière pour l’instant, au contraire. La prière est très importante et représente une autre manière de lutter contre l’épidémie ». Il se félicite même de la fréquentation des fidèles, vendredi 6 mars dernier.
Pourtant, le pays compte, à ce jour, quatre cas de coronavirus; et le ministre sénégalais de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr a rencontré les responsables religieux et sollicité leur soutien dès l’apparition des premiers malades. Mais si les dignitaires religieux enjoignent les fidèles de respecter les mesures d’hygiène édictées par le gouvernement, ils leur demandent aussi de continuer à fréquenter les mosquées.
- mosquée Massalikul Jinaan à Dakar, lors de la prière du vendredi, le 6 mars 2020." width="960" height="720" />
- DR – Mor Daga Sylla
D’ailleurs, bien que certains événements publics, comme la journée nationale de salubrité du 7 mars, ont été annulés, le magal mouride de Porokhane s’est bien tenu le 5 mars dernier.
« Le coronavirus n’est pas perçu comme une menace directe », déclarait quelques jours plus tôt Cheikh Ahmet Tidiane Sy Al Amine, à la tête du Cadre unitaire de l’islam, une association qui représente les différentes confréries. « Le religieux et le politique ne sont pas liés par une relation hiérarchique», lance-t-il, sceptique quant à une éventuelle interdiction des pèlerinages.
Mais le diagnostic d’un nouveau cas ce mercredi 11 mars à Touba, ville sainte de la communauté mouride, risque de changer la donne. « Il faut que le Sénégal arrête l’ensemble des événements religieux, nous allons poser le problème et prendre une décision en ce sens », a affirmé mardi le ministre de la Santé lors d’un point presse.
Moussems annulés
De son côté, le gouvernement marocain a décidé mercredi d’annuler les moussems, fêtes traditionnelles à caractère spirituel, souvent liées aux confréries. Alors que sept jours plus tôt, une circulaire gouvernementale diffusée en prévision du ramadan annonçait l’annulation des rassemblements, « à l’exception des moussems». Entre temps, le pays est passé de deux à six cas connus de personnes touchées par le coronavirus.
Des événements très populaires se retrouvent donc compromis, comme le rendez-vous annuel de la Boutchichiya, qui voit affluer pour Laylat Qadr — la nuit du 26e au 27e jour du ramadan — jusqu’à 150 000 fidèles du pays, mais aussi d’Algérie, de France ou du Sénégal. L’annonce a été faite par le ministère des Habous et des Affaires islamiques, qui explique sa décision par « les orientations de la charia sur la protection des âmes et des corps».
Des informations circulant sur les réseaux sociaux, relayées au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, alertaient également sur l’annulation en juillet du Hajj par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une décision qui ne revient nullement à l’organisation internationale, mais aux autorités saoudiennes.
Plus de 60 000 fidèles auraient déjà annoncé leur venue, dont une moitié de Marocains. El Qods Voyages, un voyagiste du royaume spécialisé dans le tourisme religieux, a enregistré ses premières annulations. Les agences de voyage sont également en ordre de bataille pour proposer aux clients des remboursements pour la Omra.
À près d’un mois du ramadan, les fidèles s’interrogent : comment sera célébré ce mois particulier ? Quid des prières du Tarawih, pratiquées le soir dans les mosquées tout au long du ramadan ? « Le désarroi de la communauté est palpable », concède Hafiz Chems-Eddine. « C’est une période très importante pour les musulmans, car c’est le mois où ils peuvent se rapprocher du spirituel. Il est nécessaire de trouver des réponses à leurs interrogations.»
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