RER D

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

L’affaire, certes, est « regrettable à tous égards », mais, non, Jacques Chirac « ne regrette pas » de s’être précipité pour dénoncer une agression antisémite qui, en définitive, n’en était pas une. Il n’y a donc aucune excuse, aucun mea-culpa à formuler vis-à-vis de tous ceux que les accusations imaginaires de Marie-Léonie L. ont pu blesser et stigmatiser. Mieux valait se tromper que de paraître indifférent. Fermez le ban. Ainsi se clôt, sur quelques phrases présidentielles prononcées lors de la rituelle interview du 14 juillet, une hystérie collective qui a saisi la France, ses politiques et ses médias pendant trois jours d’été.

À l’origine, le témoignage effrayant d’une jeune femme accompagnée de son bébé, agressée en pleine matinée sur la ligne de banlieue du RER D par six jeunes africains – d’origines maghrébine et subsaharienne -, à la fois antisémites, sexistes et quasi infanticides. À l’arrivée : les aveux d’une mythomane manipulatrice, qui font qu’on se demande encore a posteriori comment chacun d’entre nous a pu la prendre un instant au sérieux. Entre ces deux pôles : une faillite politico-médiatique inquiétante et révélatrice.
Premier niveau de responsabilité : les policiers chargés de l’enquête. Ce sont eux qui, sur la base de l’unique témoignage de Marie-Léonie, informent, le vendredi 9 juillet en début de soirée, l’Agence France-Presse de l’existence et des détails de la pseudo-agression. Eux aussi qui « autorisent » leur ministre de tutelle, Dominique de Villepin – et, par contrecoup, Jacques Chirac lui-même -, à réagir les premiers dans la nuit : selon le ministère de l’Intérieur, la crédibilité de la victime paraissait alors hors de doute (à condition que le doute ait effleuré la police).
Second niveau : les politiques. De droite comme de gauche, du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin au président de la région Île-de-France Jean-Paul Huchon (« ces jeunes sont notre terrible héritage, ils sont notre faute »), tous ont rivalisé de démagogie compassionnelle. Dérive d’un mode de gouvernement axé sur l’émotion, primat de l’instantanéité sur la réflexion comme si la valeur d’une indignation dépendait non pas de sa validité mais de sa promptitude : l’emballement incontrôlé de la quasi-totalité de la classe politique française pendant trois jours – à l’exception notable, et sans doute involontaire, d’un certain Nicolas Sarkozy – s’explique à la fois par l’effet de sidération réciproque médias/politiques, mais aussi par un autre élément moins « dicible ». L’agression imaginaire avait un caractère antisémite à ce point exemplaire qu’il importait avant tout de ne pas donner à croire qu’on la minimisait.
Troisième niveau : les médias. « Train de la haine », « méthodes de nazis », « abrutis et petites frappes » -, le florilège de ce qui s’est dit et publié entre le 10 et le 13 juillet est cruel.

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On a ainsi vu ou lu des spécialistes disserter gravement sur la « fusion entre l’antisémitisme d’extrême droite avec ses croix gammées et celui qui s’exprime chez les jeunes issus de l’immigration » (Le Monde), voire affirmer que ces mêmes Beurs avaient « hérité de cette vision méprisante des juifs diffuse dans la culture de leurs parents » (ibidem). D’autres estimer que ces « nazis de banlieue », selon l’expression de la Licra, rejouaient des scènes d’« épuration ethnique soft… qui ont vidé l’Afrique du Nord de ses communautés étrangères » (Libération). L’ambassadeur d’Israël en France, Nessim Zvili, est venu expliquer à la télévision que si cette affaire avait fait la une des journaux de son pays, c’est aussi parce qu’elle sanctionnait l’échec du modèle français d’intégration. Aucune distance donc, aucun recul critique, aucune comparaison – si ce n’est avec… les sévices de la prison d’Abou Ghraïb -, aucun souvenir d’autres affaires récentes du même type dont l’issue aurait dû inciter à la prudence, comme celle du rabbin Fahri et du poignardé d’Épinay. Aucune excuse, enfin, de la part des médias, si ce n’est celles, courageuses, formulées par Libération. Peu importe que l’histoire fût vraie, elle était vraisemblable. Comme pour les politiques, la hantise d’apparaître en retard d’une condamnation dans une affaire touchant à l’antisémitisme a fait le reste.
On pourrait dire après tout, et sans doute à juste titre, que dans une affaire de ce genre mieux vaut se tromper en fustigeant trop tôt que de réagir trop tard. C’est ce principe de précaution salutaire qui sous-tendait le « je ne regrette pas » de Jacques Chirac. Mais comme on aimerait que ce zèle préventif joue aussi en faveur d’une communauté, celle des musulmans blancs et noirs de France, dix fois plus nombreuse que celle des Français de confession juive ! Est-ce le cas ? C’est loin d’être sûr. Quand un hebdomadaire à grand tirage fait sa couverture sur « L’argent de l’islam », oserait-il titrer sur « L’argent du judaïsme » ? À l’évidence, non. Quand un éditeur respectable tel que Plon traduit et vend à 80 000 exemplaires un brûlot islamophobe d’une violence inouïe comme La Rage et l’orgueil d’Oriana Fallaci (« Les fils d’Allah se multiplient comme des rats »), se permettrait-il de diffuser Le Protocole des sages de Sion, cet infâme libelle antisémite ? Certes non.

Quand une revue aussi sérieuse que Lire publie les propos insultants du romancier Michel Houellebecq (« La religion la plus con, c’est quand même l’islam »), l’imagine-t-on une seconde imprimer les mêmes éructations concernant la religion juive ? Exclu. S’il est une chose que l’affaire du RER D vient une nouvelle fois de démontrer, c’est que la communauté qui, en France, est la plus aisément prise à partie sur les plans émotionnel, éditorial et intellectuel, est la communauté musulmane. Si Marie-Léonie, la mythomane du vendredi 9 juillet, s’appelait Malika et qu’elle était venue déposer plainte pour avoir été agressée par une bande de jeunes extrémistes arabophobes, nul doute que le week-end aurait été bien plus tranquille…

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