Réconciliation et grands chantiers

La réélection d’Abdelaziz Bouteflika le 8 avril dernier a fortement secoué la classe politique. L’opposition reste tétanisée. La population, elle, attend la concrétisation des promesses faites par le chef de l’État.

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

Il était le seul à croire la performance possible : réunir près de 85 % des suffrages dès le premier tour de la présidentielle du 8 avril. Abdelaziz Bouteflika mesure toute la responsabilité qu’implique une telle popularité, qui peut-être mise sur le compte du bilan d’un mandat marqué par d’indéniables réussites, mais aussi sur des promesses électorales précises, datées et chiffrées. Pour son nouveau mandat, le président a mis la barre très haut : deux millions de chômeurs en moins, un million de logements supplémentaires, la poursuite de la stratégie d’investissements publics dans les infrastructures de base et dans le développement local, et une croissance soutenue, avec un taux moyen de 7 % par an. « Irréalisable » crient les uns, parmi lesquels l’Association professionnelle des architectes, qui ne cache pas son scepticisme à propos des capacités du gouvernement à tenir ses engagements dans le secteur du bâtiment.
« Dans nos cordes », a assuré le Premier ministre Ahmed Ouyahia, patron du Rassemblement national démocratique (RND), le parti membre du trio composant l’alliance présidentielle avec le Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique) et les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas). Il s’agissait de défendre son programme de gouvernement face aux députés et sénateurs, en fait celui de Bouteflika. Ce dernier reste persuadé qu’il est capable de tenir, dans les temps, tous ses engagements. D’où peut-il tirer ses certitudes ? De ses 85 %.
L’opposition, une grande partie des titres de la presse indépendante et de nombreuses personnalités politiques ayant affiché leur hostilité à la candidature de Bouteflika sont encore tétanisées par l’ampleur de leur défaite du 8 avril. Les adversaires du président ne sont même pas arrivés à tirer profit de la condamnation à deux années de réclusion de Mohamed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin et auteur du pamphlet contre le président (Bouteflika, une imposture algérienne, éditions Le Matin) en ne mobilisant que quelques dizaines de manifestants. Il y a eu plus de protestataires à Paris qu’à Alger.
Les arouch, ces comités de villages représentant la protestation kabyle, voient leur influence décliner, la population locale étant lassée par les conclaves nombreux et stériles. La société civile est sous l’effet de l’embellie financière. Jamais les pouvoirs publics n’ont été aussi généreux en subventions. La solidarité nationale est relancée et la zakat (impôt faisant partie des cinq dogmes de l’islam) et mise à contribution dans la lutte contre la pauvreté.
Quant aux spéculations autour des relations entre le président et la haute hiérarchie militaire, le chef de l’État a levé toutes les ambiguïtés, le 4 juillet, dans l’enceinte du ministère de la Défense, aux Tagarins, quartier situé sur les hauteurs d’Alger, lors d’une cérémonie de promotion d’officiers supérieurs. Après avoir rendu un hommage appuyé à l’armée pour ses succès dans la lutte antiterroriste, il a tenu à rappeler son statut de chef suprême des forces armées et a précisé ses projets pour l’institution militaire. Une professionnalisation, signifiant à terme la fin de la conscription, une modernisation et une adaptation aux nouvelles réalités géostratégiques, avec, à la clé, un développement du partenariat et de la coopération dans un cadre euro-méditerranéen, voire atlantique.
Décor idéal pour un début de mandat ? L’effet du 8 avril n’a évidemment pas balayé tous les problèmes. Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a encore été capable de frapper, au coeur de la capitale, un site industriel stratégique le 21 juin, en faisant exploser la centrale électrique du Hamma. La Kabylie vit toujours un détestable statu quo. La propension chez les jeunes de transformer la moindre doléance en émeutes est assez alarmante.
Bouteflika se félicitait du fait que la justice de son pays n’ait jamais mis un journaliste en prison sous sa présidence. Elle vient d’en mettre trois d’un coup : en mai, un correspondant local, Hafnaoui Ghoul ; et en juin, Mohamed Benchicou, le directeur du quotidien Le Matin, et Ahmed Benaoum, PDG du groupe de presse Er Raï el Aam. Cela aura certainement des conséquences sur l’image du chef de l’État en Europe, incontournable partenaire du développement, mais où une réputation de dictateur est si vite acquise. Toutefois, cette menace doit être relativisée, les dirigeants et ministres occidentaux ayant multiplié les voyages à Alger depuis le 8 avril.
Dans le propre camp présidentiel, les choses ne semblent pas tout à fait claires. Le FLN ne cesse de reporter les assises du huitième congrès. Cette inévitable psychothérapie de groupe devrait accoucher d’une nouvelle direction qui devra, nécessairement, accompagner le programme du chef de l’État. Ali Benflis, rival malheureux de Bouteflika et secrétaire général démissionnaire du FLN, s’est complètement retiré de la scène politique et donc de la préparation du congrès. Cependant, les séquelles de l’épisode Benflis ne sont pas près de s’effacer, et le parti n’est pas totalement sorti de sa convalescence d’après-élection.
Si le Rassemblement national démocratique (RND), autre courant nationaliste au sein de l’alliance, ne soulève aucune inquiétude particulière, les islamistes du MSP risquent de poser quelques soucis à Bouteflika sur certains chantiers, notamment celui de la révision du code de la famille. Ou sur la question de l’état d’urgence que « Boutef » désire maintenir en raison de la situation sécuritaire, et que le MSP souhaite lever pour renforcer les libertés publiques. Toutefois, Bouteflika a montré par le passé qu’il ne se sentait jamais l’otage des partis ayant soutenu sa candidature. N’a-t-il pas nommé Ali Benflis Premier ministre en août 2001 alors que le FLN n’était que la troisième force politique au Parlement ? Le Premier ministre actuel n’est-il pas secrétaire général du RND, un parti dont la représentation à l’Assemblée nationale est inférieure à celle du FLN ? C’est pourquoi un MSP imprévisible ne perturbe pas outre mesure le président de la République. Qu’est-ce qui l’inquiète alors ?
« Il a réussi à convaincre les Algériens de choisir son programme et la réconciliation nationale, analyse un de ses proches collaborateurs. Maintenant, il faut les mobiliser pour la mise en oeuvre. » Il a d’ores et déjà opté pour un pacte économique et social, pour une période de trêve de trois ans entre partenaires sociaux. Syndicats et patronat semblent disposés à négocier ce pacte (voir p. 58) qui entrerait en vigueur dès 2005. Maintenant, il s’agit de se faire entendre par les jeunes pour qu’ils cessent de rêver de l’eldorado des pays riches ou encore à l’accumulation des richesses par le truchement de l’économie informelle, notamment le trabendo (voir pp. 54-55). L’accès aux crédits bancaires, le règlement du problème du foncier pour les investisseurs et l’amélioration de la gestion des ressources humaines constituent autant de chantiers urgents pour impliquer une jeunesse certes conquise par l’homme du 8 avril, mais réputée rétive à émettre des chèques en blanc. C’est pourquoi le président a chargé Ahmed Ouyahia de travailler sans relâche à la préparation du second Plan de soutien et de relance économique (PSRE) pour la période 2005-2007. Doté d’un budget de près de 10 milliards de dollars (679 milliards de dinars), il se veut plus ambitieux que le premier, qui a bénéficié de 7,7 milliards de dollars (525 milliards de dinars).

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