Coronavirus : « Si on passait à l’étape suivante, l’Afrique serait vite dépassée »

Alors que l’épidémie de Covid-19 vient d’être considérée comme une « pandémie », le Dr Michel Yao, responsable des opérations d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Afrique, insiste sur la nécessité de réhabiliter les structures de prise en charge des malades sur le continent.

Dans un hôpital au Zimbabwe, le 5 mars 2020. © Tsvangirayi Mukwazhi/AP/SIPA

Dans un hôpital au Zimbabwe, le 5 mars 2020. © Tsvangirayi Mukwazhi/AP/SIPA

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Publié le 11 mars 2020 Lecture : 6 minutes.

Alors que la Côte d’Ivoire vient d’annoncer qu’un malade du coronavirus a été identifié sur son sol, portant à douze le nombre de pays touchés sur le continent, l’Afrique reste globalement très peu impactée par l’épidémie. Les autorités sanitaires restent toutefois très vigilantes et l’Organisation mondiale de la santé (OMS, dont la zone « Afrique » exclut le Maroc, la Tunisie, le Libye, l’Égypte, le Soudan, l’Érythrée et la Somalie) coordonne la lutte et tente d’aider chaque pays à se tenir prêt et, le cas échéant, à réagir à l’arrivée de la maladie.

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Originaire de Côte d’Ivoire et formé au Canada, le Dr Michel Yao est aujourd’hui à la tête des opérations d’urgence de l’OMS en Afrique et a notamment été impliqué dans la lutte contre les récentes épidémies d’Ebola. Il dirige et centralise aujourd’hui les efforts menés pour éviter que le coronavirus ne se répande sur l’ensemble du continent.

Jeune Afrique : Si l’on compare le développement de l’épidémie observé en Chine et dans d’autres parties du monde, à quel stade se trouve l’Afrique aujourd’hui ?

Michel Yao : Si l’on se fie à ce qu’on a vu ailleurs, nous sommes dans la phase de confinement, celle où on essaie de détecter tout ce qui pourrait introduire la maladie et d’isoler ce qu’on appelle les cas « clusters » [regroupements de cas dans un territoire délimité], de prendre les mesures pour éviter une propagation. C’est la première phase.

Le scénario de développement observé ailleurs se reproduira-t-il fatalement en Afrique ?

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Non, je pense qu’on peut l’éviter et c’est notre priorité depuis le début. Le continent a une grande expérience de la gestion des épidémies, et nous avons beaucoup appris de la façon dont la maladie s’est développée en Chine : nous connaissons le profil des personnes atteintes, les groupes de malades (80 % de cas de gravité mineure, 15 % de cas sévères et 5 % de cas critiques, souvent des personnes âgées et souffrant de problèmes chroniques).

Nous avons tous les atouts pour mieux nous préparer à l’arrivée du virus, faire de la pédagogie, prendre des mesures. Aujourd’hui, il y a des cas sur le continent, mais nous avons encore la possibilité de réagir comme il le faut.

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La Chine a-t-elle bien géré cette crise vis-à-vis du continent africain ? 

Tout n’est peut-être pas parfait, mais l’essentiel a été fait. Quand on regarde la taille de la population et les liens de la Chine avec la plupart des pays africains, on se dit que les mesures de confinement ont sans doute évité énormément de « cas exportés ». Sans cela, le virus serait probablement arrivé plus tôt en Europe et en Afrique. De plus, le partage des informations scientifiques a vraiment bien fonctionné.

La Chine a donc donné un délai à l’Afrique pour se préparer ?

Oui. Malheureusement, tous les pays n’en ont pas profité car ils n’ont pas tous donné la priorité à ce problème. La partie d’analyse a bénéficié d’un effort : une trentaine de laboratoires se sont mis à niveau en un mois. Je vois en revanche moins de progrès dans les structures de prise en charge des malades. Nous devons nous préparer à réagir rapidement, comme les Chinois l’ont fait.

Le continent est-il prêt à faire face à cette épidémie ?

Le Kenya a par exemple réhabilité très rapidement les structures existantes pour traiter le coronavirus, mais d’autres pays n’ont que 10, 20 lits disponibles maximum… Maintenant, imaginons que le virus se développe et qu’on doive traiter 1 000 cas. On sait que sur ce total, on aura 140 malades sévères, et 50 en état critique. A-t-on cette capacité, en Afrique, dans nos hôpitaux de référence ? Sachant qu’en plus ces malades ne doivent pas être mélangés avec d’autres ?

Le 27 février, un cas de contamination au nouveau coronavirus a été confirmé à Lagos, au Nigeria. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le 27 février, un cas de contamination au nouveau coronavirus a été confirmé à Lagos, au Nigeria. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Dans certains pays, on pourra gérer un cas ou deux, mais si on passait à l’étape suivante, l’Afrique serait vite dépassée. C’est donc l’appel que lance l’OMS actuellement : il faut se préparer mieux, réhabiliter des structures pour accueillir les malades.

Il faut aussi se pencher sur les dispositifs de « protection, contrôle et prévention des infrastructures » (PPI), des équipements de protection avec lesquels le personnel médical doit se familiariser. On ne le fait pas de façon courante en Afrique. Certains ont appris à le faire lors d’épidémies d’Ebola, mais pas tous.

N’est-il pas trop tard pour prendre ces mesures ?

Non, il est encore temps. Aujourd’hui il n’y a que douze pays touchés sur le continent. Mais il faut aller vite.

Partagez-vous l’idée selon laquelle le problème du coronavirus est plus lié à sa contagiosité qu’à sa dangerosité ?

Oui, le problème c’est la contamination rapide, par voie aérienne. Notre crainte majeure, c’est que des cas se déclarent dans un quartier d’habitat précaire et fortement peuplé.

Dans ce genre de scénario, si la capacité de prise en charge n’est pas à la hauteur, le bilan pourrait être très lourd. Et ce d’autant plus qu’il y aurait un effet pervers : on aurait moins de ressources pour prendre en charge d’autres maladies comme le paludisme, assurer les soins maternels ou infantiles… C’est la crainte : que le système soit débordé et que cela ait des effets collatéraux, notamment sur les malades du paludisme.

Mais il ne faut pas non plus sous-estimer le coronavirus : la létalité d’une maladie varie en fonction de la prise en charge des malades, si bien que ce qui peut paraître banal en Europe peut avoir un impact bien plus significatif en Afrique. Il faut se méfier des comparaisons.

Certains médecins critiquent les préconisations en matière d’identification des cas de coronavirus. Ils les trouvent trop vagues, peu opérationnelles…

La définition a évolué. Dans les premiers temps, c’est vrai, l’idée était de ne pas risquer de passer à côté d’un cas et donc la définition était large. Mais ensuite, on l’a modifiée. Par exemple, maintenant qu’il y a une intensification des contaminations locales, on ne s’appuie plus sur la notion de séjour dans une zone infectée ou de voyage en Chine. On se fie davantage aux symptômes.

Plusieurs grandes institutions internationales ont annoncé le déblocage de plusieurs milliards de dollars. Est-ce une bonne nouvelle ? Est-ce utile ?

Oui, c’est utile. Nous avons l’expérience de ce genre de contributions, notamment en RDC lors d’épidémies d’Ebola, où la réaction avait été en partie financée par la Banque mondiale.

Mais pour que ce soit vraiment utile, il faut aussi qu’il y ait un plan en face, qu’on ait établi un programme qui comprenne la construction ou l’achat d’équipements, de la formation, du contrôle aux points d’entrée… Cet argent pourrait servir, en partie, à construire des structures destinées à accueillir les personnes atteintes de maladies contagieuses comme le choléra ou Ebola. C’est une opportunité pour agir à la fois à court et à long terme.

A l'hôpital Milpark de Johannesburg, le 11 mars 2020. © Denis Farrell/AP/SIPA

A l'hôpital Milpark de Johannesburg, le 11 mars 2020. © Denis Farrell/AP/SIPA

On dit aussi que la communication, l’information des populations est une priorité…

C’est un point essentiel face à ce type de maladie. Cela permet de faire participer les populations à la lutte, d’impliquer les communautés. Si nous faisons face à une contamination massive, 80 % des personnes atteintes ne devront pas aller à l’hôpital mais rester chez elles, et ce sera à chaque communauté de le gérer. Là encore, nous avons beaucoup appris d’Ebola.

On entend régulièrement parler d’équipes de chercheurs découvrant des médicaments qui semblent efficaces. Suivez-vous cela de près ?

L’OMS s’intéresse à tous ces travaux, bien sûr, mais aujourd’hui il est trop tôt. Le processus de validation d’un traitement est long. Cela dit, quand les tests semblent concluants, il arrive qu’on recommande l’utilisation « compassionnelle » d’un médicament avant même son homologation. Cela a été fait pour Ebola.

Certains estiment que s’il y a à ce jour si peu de cas en Afrique, c’est peut-être tout simplement que beaucoup n’ont pas été identifiés. Qu’en pensez-vous ?

Avec le dispositif mis en place et le scénario actuel, je pense qu’il serait difficile de rater des cas, à moins qu’il ne s’agisse de formes vraiment mineures. Partout en Afrique, les gens sont informés. Je ne vois donc pas comment on pourrait rater un « gros » cas.

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