« Nous voulons la justice, pas la vengeance »

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Avec la capture de Saddam Hussein, un sombre chapitre de notre histoire se referme. Il nous reste à en écrire un nouveau, fait d’espérance et de paix. Nous autres Irakiens sommes enfin libres de promouvoir une ère de paix et de prospérité pour nous-mêmes, nos enfants et les générations futures. Pour que ce projet ambitieux voie le jour, nous devrons faire preuve de patience et de sagesse, et accepter de nous livrer à un examen de conscience.
L’arrestation de Saddam Hussein constitue déjà un acte déterminant pour la formation de notre identité nationale. Sa comparution devant un tribunal irakien permettra de mesurer la réalité de notre État de droit. Elle permettra surtout aux Irakiens de se pencher sur leur passé et d’en tirer les leçons. Avec la chute de Saddam, la réconciliation nationale et la justice doivent être instaurées en Irak. Le monde a les yeux tournés vers nous.

Soyons clairs. Les Irakiens ont hâte de punir les criminels qui les ont opprimés, qui ont décimé leurs familles et dévoyé les institutions. Mais si nous voulons que justice soit rendue, nous ne réclamons pas la vengeance. Nous avons trop souffert sous le joug de ceux qui exerçaient un pouvoir sans partage. C’est la raison pour laquelle le Conseil de gouvernement transitoire a décidé de constituer des tribunaux chargés de juger ceux qui se sont rendus coupables de crimes odieux contre les Irakiens durant les trente années de
pouvoir du parti Baas. Leurs procédures seront transparentes et fondées sur le respect de la loi. Les Irakiens auront ainsi l’assurance que leur nouveau système judiciaire protège les victimes et punit les criminels en toute équité. Nous savons tous qui sera le premier jugé.
Malheureusement, l’actuelle « débaasification », consistant à évincer tous les Irakiens qui avaient rejoint le Baas pour obtenir un emploi, est menée sans discernement. Elle ne contribue ni à la reconstruction économique ni à la stabilité politique. Elle n’est pas davantage propice à la justice et à la réconciliation nationale. Pis encore, cette politique qui s’applique sans nuance et ne s’inscrit dans aucun cadre légal risque de subvertir l’État de droit avant même que celui-ci s’enracine dans notre pays. La « débaasification » de l’économie va constituer un dangereux précédent, préjudiciable aux intérêts du peuple irakien et à ceux qui veulent aider l’Irak. L’un de ses objectifs consiste en effet à inscrire sur une liste noire les hommes d’affaires (irakiens ou étrangers) qui traitaient en toute légalité avec le régime de Saddam. Loin d’un système transparent qui protégerait les plus faibles, celui en cours actuellement fonctionne à l’image d’une officine où un petit groupe d’individus munis de lettres de cachet disposent de pouvoirs extrajudiciaires.
De tels procédés favorisent la corruption. Ils peuvent susciter toute une culture allant de la dénonciation calomnieuse au copinage, sapant l’autorité de la justice et faussant le jeu de la libre-concurrence.
Les Irakiens doivent bénéficier des mêmes avantages que les sociétés libérales et démocratiques : disposer d’une justice transparente, fondée sur le respect de la loi, inspirant confiance dans les institutions par le châtiment des coupables, la protection des victimes et la promotion de la réconciliation nationale.

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Il y a vingt ans, alors que nous vivions à Londres, mon épouse et moi avons été grièvement
blessés par des sbires que Saddam Hussein avait envoyés pour nous tuer. J’ai passé un an à
l’hôpital. Nous aurions pu chercher à nous venger de cet odieux criminel. Au lieu de cela,
il y a quelques semaines, un tribunal de Bagdad a franchi une première étape en inculpant
Saddam Hussein par contumace pour cette tentative de meurtre. À présent, mon épouse et
moi-même attendons patiemment, à l’instar de nos compatriotes, que toutes les preuves des
crimes commis par cet homme soient rassemblées et rendues publiques, et que justice soit
enfin rendue.
La vengeance, y compris celle qui se manifeste par une « débaasification » à tout-va a déjà coûté cher à l’Irak. Du jour au lendemain, la majeure partie des cadres de l’administration a été licenciée. De nombreux fonctionnaires honnêtes ont été renvoyés injustement chez eux sans un sou. Or sans une administration efficace, les hommes d’affaires ne disposent pas du cadre juridique minimal nécessaire à l’exercice de leur activité. Dans un seul mouvement, nous avons aussi renvoyé dans leurs foyers 400 000 soldats entraînés, pour la plupart des patriotes. Le vide ainsi créé a profité aux rebelles, aux terroristes et aux criminels de droit commun. Récemment, des centaines voire des milliers d’enseignants ont été congédiés car ils avaient été membres du Baas. Or pour devenir enseignant ou chef d’établissement, une personne honnête et travailleuse n’avait d’autre choix que d’adhérer au parti au pouvoir. Le seul crime de ces gens est d’avoir voulu nourrir leur famille.

Si nous voulons faire de notre Irak bien-aimé un pays stable et prospère, nous ne pouvons
laisser de côté nos compatriotes les plus compétents. Nous ne pouvons nous permettre de faire sombrer des milliers de familles dans la misère. Surtout, nous ne pouvons plus laisser ceux qui sont au pouvoir disposer d’une autorité sans bornes pour porter des accusations, jeter en prison ou procéder à des purges. L’avenir de notre pays dépend de l’établissement d’un système juridique clair, permettant de distinguer les vrais criminels du régime de l’immense majorité des Irakiens qui n’avaient rejoint les rangs du parti Baas que pour assurer leur survie.

* L’actuel Premier ministre irakien a publié ce texte dans le Washington Post le 28 décembre 2003. Il était alors membre du Conseil de gouvernement transitoire.

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