Médias sous pression

Réputée la plus libre du monde arabe, la presse privée dénonce la mise au pas menée par les autorités depuis l’élection du 8 avril.

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Le 9 juin, à Djelfa : le journaliste et militant des droits de l’homme, Hafnaoui Ghoul, comparaissait devant le tribunal pour « diffamation et outrage à corps constitué ». En détention préventive depuis le 24 mai, il est condamné à deux mois de prison ferme et à 100 000 dinars (1 138 euros) d’amende. Le 14 juin, le directeur du quotidien Le Matin, Mohamed Benchicou a été condamné à deux ans de prison ferme et à 20 millions de dinars d’amende par le tribunal d’El-Harrach pour « infraction à la législation sur le contrôle des changes et les mouvements de capitaux ». En août 2003, des bons de caisse d’un montant de 11,7 millions de dinars (133 000 euros) avaient été découverts dans ses bagages, à l’aéroport d’Alger. Déjà sous contrôle judiciaire depuis 292 jours, l’auteur du pamphlet Bouteflika, une imposture algérienne est embarqué manu militari à la maison d’arrêt d’El-Harrach.
La condamnation de Mohamed Benchicou a provoqué un tollé chez les patrons de presse venus soutenir leur confrère. Qu’ils soient ou non d’opposition, la plupart des journaux en ont fait leur une du lendemain, à commencer par le quotidien arabophone El Khabar, plus gros tirage de la presse algérienne avec près de 500 000 exemplaires. Atterrée, la rédaction du Matin a de son côté fustigé « une décision grave aux conséquences incalculables » considérant qu’il s’agit là d’un « avertissement que le pouvoir délivre à tous les autres titres de la presse indépendante ». Le Syndicat des journalistes ainsi que le Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie ont lancé un appel à l’opinion publique nationale et internationale pour exiger la libération immédiate des deux journalistes, dénonçant une « instrumentalisation éhontée de la justice ». En vain…
Quelques jours plus tard, le 28 juin, c’est un autre patron de presse, Ahmed Benaoum, PDG d’Er Raï el Aam, qui est arrêté à Oran. Alors que ses trois publications, Er Raï, Le Journal de l’Ouest et Détective sont suspendues depuis août 2003, il est condamné ainsi que le directeur d’Er Raï à deux mois de prison ferme pour « outrage à corps constitué » et à 10 000 dinars d’amende.
Au cours de son premier mandat, le président Bouteflika s’est targué de n’avoir enfermé aucun journaliste. Mais il n’a pas manqué de vilipender à plusieurs reprises les médias lors de sa campagne électorale. « Le mal que cette presse a fait au pays est comparable à celui des terroristes. Nous ne pouvons dialoguer avec ceux qui versent de l’huile sur le feu… » a-t-il affirmé lors d’un meeting, le 23 mars dernier, en promettant de combattre « les mercenaires de la plume au nom de l’État et du peuple ».
En ligne de mire, plusieurs journaux privés qui avaient ouvertement fait campagne contre le président-candidat. Parmi eux, El Khabar, Le Matin, Liberté, El Watan, Le Soir d’Algérie, El Fadjr et Akhar Sâa, qui représentent plus de 80 % du tirage des quotidiens.
Sous monopole de l’État du temps du parti unique, la presse algérienne a vu fleurir de nombreux titres indépendants à la faveur du multipartisme instauré en 1989. Elle est aujourd’hui reconnue pour être l’une des plus libres du monde arabe avec ses 47 titres, dont 25 francophones, pour quelque 2 millions d’exemplaires édités chaque jour. Un peu trop libre pour certains ?
Après avoir fait ses choux gras de la violence terroriste, la presse s’est jetée corps et âme dans la bataille politique, transformant parfois ses colonnes en tribune, lors de la dernière élection présidentielle. « Il y a eu une véritable crise morale parmi les journalistes. Certains se sont laissés manipuler en faisant le jeu de tel ou tel clan », renchérit Akli Hamouni, ancien éditorialiste d’El Watan devenu directeur de la rédaction d’Algérie Actualités. Ce titre hebdomadaire devrait prochainement devenir un quotidien et a l’ambition de proposer un « traitement équitable de l’information ».
Manque d’objectivité, information manipulée, dépendance publicitaire, formation aléatoire, la presse algérienne n’est pas exempte de défauts, que certains assimilent à des écarts de jeunesse. Si les représentants de la plupart des titres ont manifesté unis pour la libération des confrères emprisonnés, la nécessité d’organiser la profession reste un voeu pieux.

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