Les femmes et les enfants d’abord
À Casablanca, une association s’efforce, depuis 1985, de venir en aide aux mères célibataires.
Une villa aux murs roses dans un quartier résidentiel de Casablanca. Au rez-de-chaussée, des fourneaux et une crèche. À l’étage, une salle de restaurant où l’on sert une cuisine familiale moyennant 25 dirhams (moins de 2,5 euros). Au dernier niveau, les bureaux de l’association Solidarité féminine, fondée en 1985 par sept femmes parmi lesquelles Aicha Ech-Chenna, l’actuelle présidente. Au départ, il ne s’agissait que de venir en aide aux enfants abandonnés, mais l’objectif s’est élargi en cours de route. Aujourd’hui, l’association s’occupe aussi des mères célibataires, qui, très souvent, sont d’anciennes « petites bonnes » chassées par leur employeur après la découverte de leur grossesse. La grande majorité d’entre elles est d’origine rurale, analphabète et dépourvue de toute qualification.
Solidarité féminine ne se contente pas de leur apporter une assistance. Elle leur propose de participer, pendant trois ans, à un « projet » qui leur procurera des revenus, les responsabilisera et leur permettra de voler de leurs propres ailes. Le matin, les jeunes mamans travaillent dans l’un des deux restaurants ou des cinq « kiosques » (des sandwicheries) de l’association. L’après-midi, elles suivent des cours de broderie, de couture ou de pâtisserie. Pendant ce temps-là, leurs enfants sont gracieusement pris en charge dans une garderie.
Actuellement, l’association emploie une quarantaine de jeunes femmes. Après l’ouverture prochaine d’un centre de remise en forme, leur nombre passera à environ quatre-vingts. Problème : la loi continue de les considérer comme des prostituées, comme toute femme convaincue d’avoir eu des rapports sexuels hors mariage.
Le nouveau Code de la famille (Moudawana) adopté par le Parlement au mois de janvier apporte une innovation non négligeable. Lorsqu’une femme est en mesure de prouver qu’elle vit maritalement avec un homme (ou qu’elle est « fiancée »), le juge a désormais la possibilité d’ordonner au père présumé de subir un test ADN. « Le statut de la mère célibataire n’a pas changé ; en revanche, l’enfant a davantage de chances d’être reconnu par son père biologique », commente Aicha Ech-Chenna. Autre progrès : la mère peut déclarer son enfant à l’état civil et lui donner son nom, à condition que le père (ou un membre masculin de la famille paternelle) y consente. Dans le cas contraire, l’État fournit à l’enfant un nom de famille et, le cas échéant, fait figurer sur les registres le prénom du père présumé. Cette disposition a permis de dédramatiser la situation des enfants qui, jusqu’à présent, étaient déclarés de père inconnu.
Avec quarante ans de « terrain » derrière elle, la présidente de Solidarité est bien placée pour mesurer les évolutions en cours. En 2004, explique-t-elle, les mères célibataires ne sont plus seulement de naïves jeunes filles abusées par des beaux parleurs peu avares de promesses de mariage. « Nous avons de plus en plus souvent affaire à des jeunes femmes venant de milieux islamistes. Elles ont été mariées religieusement, mais, quand elles ont annoncé leur grossesse, leurs époux se sont débinés. Faute d’un acte légal prouvant leur union, elles se retrouvent dans la position de mère célibataire. Ce type de mariage est une mascarade dès lors qu’il n’implique pas la reconnaissance de l’enfant par le père. » Or ce sont ces mêmes islamistes qui accusent Solidarité féminine d’encourager la prostitution. « C’est un comble ! Nous nous bornons à élever leurs enfants à leur place », s’emporte Aicha Ech-Chenna.
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