Hydraulique : les bailleurs ouvrent les vannes

Face à la hausse du coût des hydrocarbures, les projets de barrages reçoivent de plus en plus de financements. Un marché dominé par les groupes internationaux mais où quelques rares entreprises africaines arrivent à percer.

Barrages Inga I et Inga II, en RD Congo. La troisième phase du projet a reçu le soutien de la Banque mondiale et de la BAD. © Jean-Luc Dolmaire/J.A.

Barrages Inga I et Inga II, en RD Congo. La troisième phase du projet a reçu le soutien de la Banque mondiale et de la BAD. © Jean-Luc Dolmaire/J.A.

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Publié le 24 juin 2014 Lecture : 5 minutes.

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L’Afrique est décidément le continent de tous les paradoxes. Près de six Africains sur dix n’ont toujours pas accès à l’électricité, alors que le potentiel hydroélectrique non exploité du continent est le plus important au monde. Celui-ci représente 12 % du potentiel global, rapporte l’étude « L’énergie en Afrique à l’horizon 2050 », réalisée conjointement par l’Agence française de développement (AFD) et la Banque africaine de développement (BAD). Un potentiel essentiellement localisé en Afrique centrale. Dans la seule RD Congo, le fleuve éponyme pourrait produire 110 000 MW, soit l’équivalent de la production moyenne de 100 réacteurs nucléaires.

Nil, Sénégal, Niger, Zambèze… Toutes les régions d’Afrique subsaharienne possèdent des ressources suffisantes pour développer des installations hydroélectriques. « Pourtant, en termes de production, le continent reste à la marge. Il ne produit qu’une part infime de l’énergie hydroélectrique mondiale et n’utilise que 5 % de son important potentiel », selon l’étude.

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Gigantesque

Comment expliquer ces contradictions ? « Il a longtemps été très difficile de trouver des financements pour ce type de projets, explique Alex Rugamba, directeur du département énergie, environnement et changement climatique à la BAD. Il faut trouver le bon modèle, car les pays et leurs services publics disposent de capacités financières et techniques insuffisantes. »

Comme souvent, les constructeurs chinois tiennent le haut du pavé.

L’exemple le plus marquant est le barrage du Grand Inga, en RD Congo. La première pierre d’Inga III (la troisième phase du projet) devrait être posée en octobre 2015. Cet édifice gigantesque disposera d’une capacité de 4 800 MW mais, à terme, le Grand Inga aura un potentiel de 40 000 MW. De quoi fournir de l’électricité à la moitié du continent.

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Ce qui est en passe de se concrétiser a été imaginé dès les années 1970. Mais il aura fallu attendre l’arrivée de l’Afrique du Sud dans le tour de table, fin 2013, pour que le projet se débloque enfin. Sur les 4 800 MW, près de 50 % seront alloués à la nation Arc-en-Ciel, dont la croissance risque d’être freinée en raison d’une production électrique insuffisante.

Depuis la signature d’un accord entre les deux pays, les bailleurs de fonds sont désormais prêts à financer en partie Inga III : 68 millions de dollars (50 millions d’euros) ont été débloqués par la BAD, et 73,1 millions de dollars par la Banque mondiale. Aussitôt, des entreprises d’envergure internationale se sont donc mises sur les rangs : les chinois Sinohydro et China Three Gorges Corporation ; les espagnols ACS, Eurofinsa et AEE ; et le consortium coréo-canadien Daewoo-Posco-SNC/Lavalin.

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« Les propositions de financement en partenariat public-privé vont être déterminantes pour la réalisation du projet », indique la BAD. « C’est le mode de financement idéal, car les coûts d’investissement seraient autrement plus difficiles à mobiliser dans le contexte actuel de la RD Congo », souligne Alex Rugamba.

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Car la perception du risque pour investir en Afrique reste encore déterminante. « Nos institutions, nos opérateurs de services publics ou nos gouvernements doivent faire en sorte de rassurer les investisseurs, explique Hubert Danso, vice-président et directeur général d’Africa Investor. Les tarifs de rachats doivent être prévisibles sur le long terme. » Pour attirer les investisseurs internationaux dans les services publics à la hauteur de ce qui se fait déjà pour les infrastructures privées, telles que les télécoms, « les gouvernements doivent s’engager à ne pas modifier ces éléments », poursuit-il.

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Si les barrages représentent des investissements importants, ils « offrent une électricité moins chère que celle des centrales thermiques soumises à l’augmentation du coût des énergies primaires », rappelle un responsable africain de la Société financière internationale (IFC). Ce spécialiste estime par ailleurs que, si les bailleurs internationaux accueillent plus favorablement les projets de centrales hydroélectriques ces dernières années, « c’est aussi parce qu’ils se tiennent à l’écart des centrales au charbon sous la pression des ONG ».

Appétits

Le Grand Inga n’est pas le seul projet actuellement sur la table. « Depuis 2007, la BAD a financé dix projets hydroélectriques dans onze pays d’Afrique », détaille Alex Rugamba. L’institution panafricaine participe ainsi au projet régional de Rusumo Falls, qui approvisionnera la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi en électricité, ou encore au projet Itezhi Tezhi, en Zambie. Et cinq autres barrages devraient sortir de terre d’ici à 2015.

Des perspectives qui aiguisent les appétits des constructeurs internationaux. Comme souvent, ce sont les groupes chinois qui tiennent le haut du pavé. En Côte d’Ivoire, le barrage de Soubré, financé en partie par un prêt de 364 millions d’euros de la China Exim Bank, est construit par Sinohydro. Au Cameroun, le barrage de Lom Pangar est érigé par China International Water & Electric Corp. C’est aussi ce dernier qui bâtit la centrale hydroélectrique de Kaléta, en Guinée.

Quelques entreprises africaines réussissent néanmoins à tirer leur épingle du jeu. Les barrages de Samendéni et de la Comoé, au Burkina Faso, ont ainsi été confiés à la Société générale des travaux du Maroc. On peut également citer l’égyptien Orascom Construction Industries, qui participe, avec le français Vinci, à la construction du nouveau barrage d’Assouan en Égypte.

Entreprises internationales

Mais les grandes réalisations restent l’apanage des grandes entreprises internationales. L’italien Salini construit la centrale de Bujagali en Ouganda et, surtout, le mégabarrage de la Renaissance en Éthiopie. Un projet qui n’a pourtant reçu le soutien ni de la BAD, ni de la Banque mondiale, ni de la Banque européenne d’investissement. En cause notamment : le conflit qu’il crée avec l’Égypte, en aval du Nil, et des études d’impact environnemental et social considérées comme insuffisantes.

« Nous devons offrir des réponses aux préoccupations environnementales locales, tenir compte des effets du changement climatique et de l’utilisation des sols sur l’approvisionnement en eau, et veiller à ce que les populations locales en bénéficient véritablement », rappelle le directeur du département énergie de la BAD. Principale critique : ces infrastructures ne bénéficient pas aux habitants. « Le développement des centrales hydroélectriques sur nos fleuves ne suffira pas, a lancé Donald Kaberuka, président de la BAD. Toutes les sources énergétiques devront être utilisées. »

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