La police française et les Sarrasins

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Hier, c’était la « zone », refuge des ouvriers « rouges », des ruraux exilés et des étrangers, quand les bidonvilles encerclaient les beaux quartiers du centre. Puis, l’au-delà du boulevard périphérique s’est hérissé de « grands ensembles », « barres », « ZUP » et autres « cités » qui se sont progressivement remplis au fil des vagues de l’immigration.
Malgré les rapports alarmants amoncelés, depuis plus d’un demi-siècle, sur les bureaux des députés et des ministres, les opérations préélectorales de « réhabilitation » ou de « reconquête du cadre bâti », les campagnes de « promotion de l’habitat social », « d’aménagement des espaces publics » et de « désenclavement des îlots sinistrés », la construction de villes nouvelles (Sarcelles, Évry, Marne-la-Vallée…), pour réintégrer dans l’espace urbain ces « villes bannies de la ville », le bilan n’est pas glorieux. La périphérie des principales agglomérations de l’Hexagone, que ce soit à Lyon, à Marseille ou dans la région parisienne, constitue autant de foyers de chômage aggravé, de délinquance et de marginalité. L’insécurité y tient la vedette, et la lecture des graffitis remplace celle des journaux. Il semblerait que les municipalités, comme les animateurs de centres sociaux et même les forces de l’ordre soient souvent contraints de baisser les bras devant la domination des gangs de « dealers », joliment qualifiés de « sauvageons » ou de « caillera » (« racaille », en verlan). Quant aux habitants, ils subissent. Ou, quand ils le peuvent, ils déménagent.

Aujourd’hui, la police ne se contente plus d’effectuer des « descentes » sporadiques, toutes sirènes hurlantes, pour faire régner un semblant de paix dans ce chaos urbain : elle s’est emparée du problème des banlieues en vue de l’analyser elle-même et, sans doute, d’imposer aux politiques sa propre stratégie. Ainsi, au début de juin dernier, la Direction centrale des renseignements généraux (RG), chargée de centraliser les informations destinées au gouvernement, a-t-elle remis au ministre français de l’Intérieur un rapport concernant 630 quartiers dits « sensibles », représentant une population de près de deux millions d’habitants qui ont fait l’objet, depuis plusieurs mois, d’une surveillance particulièrement attentive.
Les « flics » de la section « dérives urbaines » n’y sont pas allés par quatre chemins : dans près de la moitié des quartiers pris pour cible, ils ne se privent pas de nous dire que « ça craint »… Qu’on en juge : les enquêteurs ont dressé une liste de huit critères qui figurent, en quelque sorte, autant de barreaux de l’échelle qui plongerait dans l’enfer des violences urbaines. Si un quartier les rassemble tous, il est au fond du trou. Dans le cas contraire, on pourra encore espérer y rétablir une certaine qualité de vie.

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Parmi ces symptômes d’une « ghettoïsation » pernicieuse qu’ont traqués nos chercheurs en uniforme, on trouve : la présence de commerces ethniques, la multiplication de lieux de culte musulman, un tissu associatif communautaire ou encore le port d’habits orientaux et religieux ! En bref, le risque zéro serait incarné par une banlieue dans laquelle la jeunesse catholique, de race blanche de préférence et exclusivement vêtue de tee-shirts Walt Disney partagerait son temps entre le McDo et le club de foot. Sinon, on doit craindre l’enchaînement fatal : l’existence, au sein des écoles, de « classes regroupant des arrivants non francophones », « la difficulté à maintenir une présence de Français d’origine » (de souche ?) et, comme il va de soi, des graffitis antisémites et anti-occidentaux.
Que voilà donc un rapport « sans tabou », où le véritable ennemi est appelé par son nom ! Il ne s’agit pas seulement des prédicateurs salafistes et des islamistes (ceux-là ne disposent d’ailleurs, dans le questionnaire de cette enquête, d’aucune « entrée » particulière), mais bien des musulmans dans leur ensemble, soupçonnés tout à la fois de « repli communautaire », de « survivances culturelles » et de propager un racisme dont ils prétendent par ailleurs – mais là n’est pas l’objet de ce travail être les victimes.

Ce rapport des RG, même s’il a été abondamment commenté dans la presse française, avait pour vocation de rester confidentiel. On perçoit mal, en effet, la valeur pédagogique de la diffusion d’un tel document, tant dans la communauté immigrée que dans une population ainsi confirmée dans ses hantises identitaires. En revanche, placardé dans les commissariats de la périphérie, on ne doute pas qu’il fournira d’utiles directives aux unités d’élite !

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