L’Afrique délaissée à Bangkok

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

« Soyons clairs. Le sida est bien plus qu’une crise sanitaire : c’est la menace la plus grave qui ait jamais pesé sur le développement. » Lors de la cérémonie d’ouverture de la XVe Conférence internationale sur le sida, qui s’est tenue à Bangkok du 11 au 16 juillet, Kofi Annan ne s’est pas embarrassé de fioritures. Le secrétaire général des Nations unies, qui inaugurait pour la première fois l’événement, a déploré dans son discours l’inertie de la classe politique internationale, estimant que la présence des ministres de la Santé n’était pas suffisante. Selon lui, « les plus hautes autorités de chaque État devraient être présentes ».
Car si lors de la précédente conférence, à Barcelone en 2002, les ressources faisaient défaut, désormais, les fonds existent. Et c’est aux responsables politiques de les utiliser à bon escient.
Certes, les 12 milliards de dollars qui seraient nécessaires pour lutter contre la maladie en 2005 ne sont pas réunis. Mais entre le Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose, les 15 milliards promis sur cinq ans par George W. Bush dans le cadre du « Pepfar » (President Emergency Plan for Aids Relief), les programmes de la Banque mondiale ou l’action de fondations privées comme celles de Bill Gates, Nelson Mandela ou Bill Clinton, jamais autant d’argent n’aura été disponible : 6 milliards de dollars pour 2005.
Sans doute est-ce la raison pour laquelle cette conférence a pris un tour éminemment politique. En l’absence de découverte ou d’avancée scientifique majeures, toute l’attention s’est concentrée sur l’épidémie et les mesures prises pour enrayer sa progression. La Thaïlande, pays hôte, a été félicitée pour avoir su l’endiguer alors qu’elle se propageait à toute vitesse, au début des années 1990, parmi les prostituées. Il n’empêche : la situation de l’Asie suscite les plus vives inquiétudes.

Objet principal du rapport de l’Onusida publié le 6 juillet, le continent asiatique, qui abrite 60 % de la population mondiale, est sous la menace d’une explosion épidémique. Comme il accueillait la conférence, son cas a été examiné avec une attention particulière. Au détriment de l’Afrique, où vivent pourtant 70 % des 38 millions de séropositifs de la planète.
Pour Michel Sidibé, directeur du département Appui aux pays et aux régions à l’Onusida, « les enjeux de la lutte se sont déplacés sur des aspects économiques ou liés à la sécurité, et l’Afrique est mise de côté ».
Le dynamisme économique du continent asiatique n’explique pas à lui seul les raisons d’un intérêt aussi soutenu. L’efficacité de ses acteurs économiques et de ses dirigeants est également très appréciée des bailleurs de fonds. Amadou Diarra, directeur Asie du laboratoire pharmaceutique Bristol Myers Squibb, qui occupait auparavant les mêmes fonctions au bureau Afrique, cite l’exemple du Congo-Brazzaville. Il y a dix ans, ce pays comptait 100 000 séropositifs, tout comme l’Indonésie aujourd’hui. Il y a deux ans, Djakarta a décidé de réagir. Résultat : aujourd’hui, plus de 3 000 malades sont sous antirétroviraux (ARV). Or, au Congo-Brazza, non seulement les séropositifs sont plus nombreux qu’il y a dix ans, mais le nombre de personnes traitées reste inférieur à 3 000.
Cette lenteur à mettre en place des programmes et à utiliser les fonds disponibles est l’une des principales lacunes au sud du Sahara. Au point que les donateurs perdent confiance. Certes, 60 % des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida sont encore allouées aux pays africains. Mais jusqu’à quand ? À une activiste ougandaise qui s’étonnait auprès de Richard Feachem, directeur du Fonds mondial, du non-versement de la somme promise, ce dernier a rétorqué : « Demandez des comptes à votre ministre des Finances, car cela fait longtemps que la somme a été transférée à votre pays. »

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Cette absence de traduction des décisions en actions pourrait signer l’arrêt de mort du continent. Comme le souligne Amadou Diarra, « le niveau de développement en Asie est plus élevé qu’en Afrique. Les pays asiatiques peuvent donc encore, en agissant dès maintenant, retourner la situation. »
Au sud du Sahara, il semble que ce soit malheureusement trop tard. En particulier au Malawi, au Lesotho ou au Swaziland, où 25 % à 40 % de la population est séropositive.
Mais décidément, à Bangkok, ce n’était pas la priorité. Lamizana Traoret, la ministre burkinabè des Affaires sociales, a regretté que « les Africains ne se soient pas fédérés pour acquérir un poids plus important et se faire entendre à la conférence ». Sous l’égide de l’Union africaine, par exemple. Encore eût-il fallu que les organisateurs pensent à inviter une délégation pour représenter cette organisation. Un oubli sans doute lourd de sens…

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