Heures de fièvre à Conakry

La flambée du prix du riz, l’aliment de base de la population, a déclenché des émeutes. Alors que la révolte gronde, le pouvoir semble déboussolé.

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Cela ne s’est jamais vu en Afrique de l’Ouest. Des attaques de civils contre des semi-remorques dans les quartiers de Coléah, Mafanco, Madina… Des barricades sur les routes pour bloquer des véhicules et les vider de leur cargaison. Des rafales tirées en l’air par des militaires impuissants à arrêter une population surexcitée et déchaînée. Un mort à Bonfi, victime d’une balle perdue. Des tirs à l’arme automatique d’éléments de la brigade spéciale « antigang » déployés sur les principales artères de la capitale. Le chef de l’État conspué par la foule à Gbessia alors que son cortège est pris dans un embouteillage… Conakry a frôlé l’insurrection au cours de la première quinzaine de juillet. Les habitants de tous les quartiers de la ville, principalement les jeunes, sont spontanément partis à la chasse aux camions de riz, scandant le même cri : « Nous avons faim. »
Deux facteurs conjugués ont eu raison de la patience des Guinéens, connus pour leur extraordinaire capacité à encaisser les coups, en dépit de la dégradation continue de leurs conditions de vie. D’abord la grave dépréciation du franc guinéen (GNF) qui a fait grimper de façon vertigineuse le prix du sac de riz de 50 kg, le faisant passer de 27 000 GNF à 60 000 GNF (de 11 à 24,85 euros) en moins de six mois. Une hausse qui a rendu cet aliment de base inaccessible à la population, dans un pays où le salaire moyen des fonctionnaires de hiérarchie A – la plus élevée – tourne autour de 120 000 GNF (49,72 euros).
Ensuite la décision prise par le chef de l’État, en mars dernier, d’écarter tous les opérateurs économiques privés pour s’occuper lui-même de l’importation du riz, au motif que les commerçants sabotaient son régime par des hausses intempestives et injustifiées du prix de cette denrée. Joignant le geste à la parole, le président Conté négocie avec l’ambassade du Japon à Conakry, et obtient l’autorisation de décaisser 13 milliards de GNF (5,4 millions d’euros) du Fonds de contrepartie japonais déposé sur un compte de la Banque centrale. Un argent tiré de la vente de biens nippons en Guinée et destiné à financer des projets de développement dans le pays.
Le chef de l’État se procure des cargaisons de riz qu’il confie aux maires et chefs de quartier avec une instruction ferme : vendre aux habitants de leur localité au prix de 26 500 GNF (11 euros) le sac de 50 kilos. Le retour du commerce d’État et du « rationnement » de l’ère Sékou Touré, en somme.
Le système ne tarde pas à montrer ses limites. Les maires et chefs de quartier reçoivent discrètement des propositions d’achat allant jusqu’à 35 000 GNF (14,50 euros) le sac, de la part de « négociants » qui ont flairé là une occasion de faire des profits dans le « business du riz ». Cent tonnes disparaissent ainsi dans la nature. « Le riz de Conté » se retrouve entre les mains de ceux à qui il était interdit de l’importer, et qui le cèdent au compte-gouttes pour 60 000 GNF (24,85 euros) le sac.
La pénurie organisée de la sorte provoque des émeutes qui ébranlent le régime. Celui-ci réagit, le 6 juillet. Conté convoque les 98 chefs de quartier de la zone spéciale de Conakry et les maires des cinq communes de la capitale pour leur annoncer leur suspension. Mais aussi son désengagement de la distribution du riz au profit des commerçants. Le 10 juillet, le gouvernement rend publique sa décision de subventionner le produit à raison de 11 000 GNF (4,56 euros) par sac.
Le problème reste toutefois entier. Avec une tonne de riz aujourd’hui vendue entre 300 et 310 dollars sur le marché international, l’apport de l’État ne suffira pas à faire baisser le prix de façon significative. Et les choses risquent d’empirer dans les semaines à venir, du fait de la dégringolade continue du franc guinéen.
Après le riz, le carburant. Le 11 juillet, de longues files de voitures se forment devant des stations-service. Ce dernier problème est structurel. La Guinée ne peut stocker, faute d’infrastructures, plus que les besoins mensuels du pays en essence et en gasoil. La subvention du carburant coûte à l’État 10 milliards de gnf par mois. Mais les caisses du Trésor public sont vides. La Banque centrale est à sec, ayant même épuisé les réserves de change. Signe de la pénurie de devises : un haut fonctionnaire de cet établissement a joint l’homme d’affaires El Hadji Mamadou Sylla, qui séjournait à Paris, début juillet, pour lui demander d’avancer… 200 000 euros destinés à régler « une dépense publique urgente ».
Comment l’État pourra-t-il continuer à contenir le prix à la pompe ? Nul ne le sait. Comme sous un effet domino, les prix de tous les produits de première nécessité s’emballent. Au grand dam du chef de l’État débordé qui, le 6 juillet, s’est attaqué aux cimentiers : « Celui qui augmente le prix du ciment sans mon accord quitte le pays. »
La Guinée est « suspendue ». Les commerçants assurent leurs arrières. Les investisseurs éventuels et les bailleurs de fonds étrangers attendent… Bref, c’est l’incertitude.

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