Habiba Djahnine

Organisatrice de rencontres cinématographiques

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Cette jeune Algérienne a deux amours : le cinéma et la poésie. Elle a publié un premier recueil intitulé Outre-mort tout en co-organisant les Rencontres cinématographiques de Béjaïa.

La première chose qui frappe quand on rencontre Habiba Djahnine, c’est la détermination farouche inscrite dans les traits de son visage. Le menton volontaire, le regard ardent, Habiba est une passionnée. Qu’on lui parle de poésie ou de cinéma, et ses yeux s’animent. Comme dans son adolescence, lorsqu’elle couchait ses premiers vers sur ses cahiers d’écolière. Comme dans son enfance, quand les douze membres de la famille Djahnine se réunissaient devant le petit écran pour une séance de cinéma italien.
Née il y a trente-six ans dans la Mitidja, Habiba a grandi à Béjaïa, en Kabylie. Élevée par une mère lettrée et un père autodidacte, elle confie avoir eu une vie familiale très intense. « Il y avait toujours une énergie incroyable dans la maison, mais aussi à l’extérieur, raconte la jeune femme. Nous avons créé un ciné-club avec ma soeur aînée pendant que deux autres faisaient du théâtre. »

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Jusqu’à ses 18 ans, Habiba reste en Kabylie, où elle se sent à l’étroit. Une fois le bac en poche, c’est à Alger qu’elle se rend pour vivre ses premières expériences politiques, syndicales et féministes. « Lors des émeutes d’octobre 1988, j’étais dans la rue », raconte-t-elle. Sans perdre de vue ses études scientifiques, la jeune fille part s’installer à Constantine, où elle devient chroniqueuse pour un journal. Au même moment, la menace islamiste se précise. Les intégristes ne tardent pas à la prendre pour cible, non seulement pour son militantisme syndicaliste, mais aussi pour son audace : toutes les semaines, la jeune femme ose animer un ciné-club féminin à la cinémathèque de la ville…
Les premiers attentats la ramènent brutalement à la réalité. Habiba finit par rallier Tizi-Ouzou, où l’attend Nabila, la grande soeur, « mon alter ego », comme l’appelle sa cadette. Mais cette dernière se cherche. L’assassinat du journaliste Tahar Djaout l’affecte profondément. Seul le désert peut lui apporter une plénitude, croit-elle alors. « Je suis partie sur un coup de tête, avec mon sac à dos, se souvient Habiba. Pendant plus d’un an, j’ai vécu entre Timimoun et Adrar, dans le Sud. C’est là que j’ai repris l’écriture. »
Lui ayant rendu visite, sa soeur Nabila finit par la convaincre d’organiser pour l’été suivant à Tizi-Ouzou un festival de cinéma intitulé « Images et imaginaires de femmes dans le cinéma algérien ». « C’était de la folie pure, note amèrement Habiba. On ne s’en rendait pas compte. Bien sûr, nous avons eu du public, mais je m’en veux de ne pas avoir senti que la situation était aussi grave. »
Par deux fois, Nabila, alors présidente de l’association Cris de femmes, échappe à des attentats. Mais, quelques mois plus tard, elle est assassinée à bout portant à la sortie de son travail. Elle avait 29 ans. « D’un seul coup, le rêve s’est arrêté », lâche Habiba. Au-delà du chagrin, la jeune femme doit s’occuper de ses frères et soeurs, tous « blessés à vie ». Avec un rare courage, elle poursuit études, travail et voyages. Inlassablement, elle cherche à apprendre, à comprendre pourquoi et comment l’Algérie en est arrivée là. Juste pour ne pas haïr. Mais le malheur la rattrape. Ivres de chagrin, ses parents meurent l’un après l’autre avant que l’un de ses frères se suicide.
Profondément marquée par la tragédie, Habiba part s’établir en France. Elle y rencontre les membres de l’association Kaïna Cinéma, un collectif de professionnels dont l’objectif est d’instaurer des échanges entre l’Algérie et les pays d’Europe méditerranéenne. Dès lors mûrit le projet de Rencontres cinématographiques à Béjaïa, dont la première édition se tiendra à l’été 2003 avec l’association bougiote « Project’Heurts ». « Nous n’avions aucun soutien du ministère de la Culture ou de la wilaya, se souvient Habiba, mais nous avons réussi à monter les rencontres grâce à Boudjemâa Kaareche, alors directeur de la cinémathèque d’Alger. Comme la première édition était réussie, nous avons pu organiser la deuxième du 30 mai au 4 juin 2004, en gardant toujours une dimension pédagogique, d’écoute et d’information. »

Venus de tout le pays, de jeunes animateurs de ciné-clubs ont ainsi participé aux ateliers de formation dirigés par des professionnels français et algériens. Dans le même temps, des projections de courts- et longs-métrages permettaient à chacun de débattre avec les réalisateurs. « Nous tenons beaucoup à cet esprit de partage », souligne Habiba Djahnine. Forte du succès de cette deuxième édition, Habiba ambitionne désormais de monter des Ateliers Varan pour le public bougiote, tout en nourrissant un autre projet, beaucoup plus personnel : celui de tourner un film sur sa soeur.

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