Faut-il avoir peur de la nouvelle Europe ?

Réductions des aides, réorientation des investissements et des flux commerciaux, concurrence accrue : Tunis craint les conséquences de l’élargissement de l’Union européenne.

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Elargie, le 1er mai 2004, à dix nouveaux États, pour la plupart d’Europe centrale et orientale, ainsi que Malte et Chypre, l’Union européenne (UE) compte désormais 25 nations et plus de 465 millions d’habitants. Pour les « pays partenaires méditerranéens » (PPM), comme la Tunisie, qui lui sont liés par des accords d’association, cet élargissement offre a priori des avantages : « accès à de nouveaux marchés, attraction des investissements privés et intégration à une zone de prospérité partagée », pour emprunter la phraséologie des fonctionnaires de Bruxelles. Il n’en suscite pas moins quelques inquiétudes. Les PPM ont consenti d’énormes sacrifices, en ouvrant notamment leurs marchés à la concurrence étrangère et en lançant des programmes de mise à niveau de leurs industries. Alors que leurs réformes ne sont encore qu’à mi-chemin, ils sont déjà confrontés à des difficultés dues à l’élargissement : réduction des aides financières et réorientation des investissements directs étrangers (IDE) et des flux commerciaux vers les nouveaux États membres.
Pour la Tunisie, ces difficultés seront d’autant plus difficiles à surmonter qu’elles coïncident avec le démantèlement, à partir du 1er janvier 2005, des Accords multifibres (AMF), qui accordent aux produits textiles tunisiens un accès privilégié au marché européen, et son corollaire, le renforcement de la concurrence internationale dans le secteur du textile-habillement, qui représente plus de la moitié des exportations « made in Tunisia ».
Intervenant à l’ouverture du séminaire sur « l’Union européenne élargie et la Tunisie », organisé par la délégation de la Commission européenne en Tunisie, le 9 juillet, à l’hôtel Renaissance, dans la banlieue nord de la capitale, Saïda Chtioui, secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, a tiré la sonnette d’alarme : « L’appui financier généreux de l’UE aux nouveaux États membres va renforcer considérablement leur compétitivité par rapport aux partenaires maghrébins et aggraver ainsi la disparité des niveaux de développement entre les deux rives de la Méditerranée. » La responsable tunisienne a plaidé ensuite pour l’accroissement de l’aide financière de l’UE à son pays, la création d’un mécanisme d’appui aux IDE européens destinés aux pays sud-méditerranéens et la création d’une banque euro-méditerranéenne pour la reconstruction et le développement.
Après avoir rappelé l’engagement très ancien de son pays en faveur d’un ancrage stratégique à l’espace européen, Saïda Chtioui a plaidé également pour que la politique de l’UE en direction des pays sud-méditerranéens soit respectueuse « de la souveraineté et des spécificités » de ces pays, « particulièrement pour la coopération renforcée dans les domaines politique, de justice, d’affaires intérieures et de rapprochement législatif et réglementaire ». Traduire : l’UE n’a pas à dicter à ses partenaires du Sud la cadence de leurs réformes politiques.
« Ce ne sont pas seulement les fonds publics de l’UE qui ont accéléré le développement des pays de l’Europe centrale et orientale, mais les flux de capitaux privés étrangers attirés par les économies largement libéralisées de ces pays », a déclaré Joe Borg, ancien ministre des Affaires étrangères de Malte et nouveau membre de la Commission européenne, dans une intervention axée sur les opportunités que l’Europe élargie offre à ses partenaires du Sud. Pour attirer davantage d’IDE, les pays du Sud devraient donc, selon lui, approfondir leurs réformes économiques et politiques et avancer sur la voie de la bonne gouvernance.
« L’élargissement n’est pas une porte qui se referme. Il est, plus exactement, l’expression d’un besoin d’ouverture à de nouveaux voisins », a aussi expliqué Joe Borg, avant d’ajouter, sur un ton rassurant : « la Tunisie doit être capable de développer ses exportations vers l’Europe centrale et orientale, mais aussi d’attirer des touristes. Pour cela, elle doit faire un effort en direction de ces pays pour mieux connaître leurs besoins et mieux y promouvoir ses produits. »
C’est justement sur ce thème de l’« accès au marché » que Chedly Ayari, professeur d’économie à l’université de Tunis, a axé sa contribution au séminaire. Les échanges commerciaux de la Tunisie avec les dix nouveaux membres de l’UE sont modestes (seulement 173 millions d’euros en 2003). De même, la balance commerciale de la Tunisie avec ces pays est déficitaire (- 107 millions d’euros au cours de la même année). « Avec l’élargissement de l’UE, ce flux commercial ne pourra que s’accroître, et dans les deux sens », a noté le conférencier.
Chedly Ayari a relevé un autre enjeu : l’Allemagne absorbe près de la moitié des échanges des nouveaux membres de l’Union. Si ce tropisme germanique perdure, les parts de marché de la Tunisie sur le marché allemand – qui absorbe 18 % des exportations du pays – risquent de se rétrécir comme peau de chagrin. Autre indicateur qui devrait inquiéter les Tunisiens : leurs parts sur le marché européen (qui représente 80 % de leurs exportations) sont restées stables – autour de 0,6 % entre 1995 et 2001 – alors que celles des nouveaux membres de l’UE ont augmenté de manière sensible. Ainsi, par exemple, les parts de la Hongrie sont passées de 1,4 % à 2,4 % et celles de la République tchèque de 1,7 % à 2,4 %. Si cette tendance se renforce, les exportateurs tunisiens ont de quoi s’inquiéter. Pis : le trade diversion (« détournement du trafic commercial ») pourrait se faire à leurs dépens.
En guise de conclusion, l’ancien ministre de l’Économie a appelé à une « initiative Est-Sud » ou « 10 + 10 », qui réunirait les 10 nouveaux États membres de l’UE et les 10 PPM. Objectif : renforcer la coopération entre les deux ensembles, notamment dans le secteur des technologies de pointe, où leurs expériences et expertises respectives pourraient être complémentaires dans le cadre du grand marché euro-méditerranéen.

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