Dossier énergie : l’Afrique fait le pari de l’interconnexion

En Afrique de l’Ouest, quatorze pays se sont regroupés pour financer la construction des infrastructures de transport électrique. Un modèle d’intégration régionale qui permet, entre autres, de sécuriser les investissements des bailleurs.

Publié le 24 juin 2014 Lecture : 6 minutes.

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« En Afrique, pour une entreprise comme la nôtre, il y a du travail pour au moins une génération complète. Les besoins en construction de réseaux électriques sont énormes et les investissements n’arrivent pas à suivre », lâche Mustapha Kamar, directeur export commerce international du groupe Eiffage. Le groupe français intervient notamment au Ghana, au Burkina Faso et au Sénégal pour la construction de postes à haute tension et de lignes électriques pour un total de près de 130 millions d’euros.

Il y a deux ans, Eiffage a réalisé l’interconnexion électrique entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il attend les résultats de l’appel d’offres lancé pour construire une ligne de 225 kV entre Bolgatanga et Ouagadougou, partie d’un tronçon de 700 km reliant le sud du Ghana à la capitale burkinabè. Après des années d’études préparatoires, économiques, environnementales et des discussions politiques, le processus de préqualification est en cours, et la mise en service de la ligne prévue en 2015. Une ligne qui permettra d’achever la boucle entre le Burkina Faso, pays enclavé en manque de ressources énergétiques bon marché, et le Ghana et la Côte d’Ivoire, déjà exportatrice d’électricité.

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Un pays peut porter secours à un autre en cas de défaillance à un endroit donné.

Réticences

En Afrique de l’Ouest comme ailleurs sur le continent, les besoins en infrastructures de transport électrique sont considérables. Et des entreprises de toutes nationalités sont sur les rangs. « Compte tenu de ses richesses naturelles, le Nigeria est évidemment le pays qui détient le plus fort potentiel.

Mais ce n’est pas le seul, indique Romuald Krasensky, directeur marketing d’Alstom Grid. L’avenir d’Alstom sur cette zone dépend de la stabilité politique mais aussi de la capacité des pays de la région à sécuriser des investissements étrangers ou provenant d’institutions financières internationales. »

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Les besoins en infrastructures requièrent en effet des financements très lourds, que les États et les bailleurs avaient du mal à avancer jusqu’à ces dernières années. Des réticences levées grâce à la création de pools électriques régionaux visant à réaliser l’interconnexion entre les pays. L’un des plus dynamiques et structurés est le système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA/WAPP), qui regroupe quatorze des quinze pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et les 26 sociétés publiques et privées de production, de transport et de distribution d’électricité. Un modèle, rare, d’intégration qui fonctionne.

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À terme, l’EEEOA vise à instaurer un marché régional de l’énergie. Il estime à plus de 26 milliards de dollars (plus de 19 milliards d’euros) les financements à mobiliser pour résoudre ses problèmes énergétiques à moyen terme et interconnecter une partie des grandes villes et des capitales de la sous-région.

Prêts concessionnels

Les bailleurs qui octroient des prêts concessionnels aux États africains ou aux sociétés nationales d’électricité sont multiples : Banque mondiale, Banque africaine de développement (BAD), Banque européenne d’investissement (BEI), Union européenne, Agence française de développement (AFD), KfW (banque publique d’investissement allemande), Agence japonaise de coopération internationale (Jica), Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), ou encore China Exim Bank, qui impose des entreprises chinoises pour la construction des ouvrages. Pékin intervient tout particulièrement au Nigeria et en Guinée.

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« De nombreux pays utilisent des systèmes de connexion de petite taille et des moyens de production très coûteux. L’interconnexion permet de mettre des moyens plus performants à disposition de plusieurs pays, ce qui a une incidence sur les coûts de production, qui pourraient être divisés par deux. Elle augmente aussi la fiabilité du réseau : on peut se porter secours en cas de défaillances à un endroit donné », explique Édouard Dahomé, directeur Afrique d’Électricité de France (EDF).

En Afrique de l’Ouest, la géographie commande et esquisse ce que sera le schéma de production et de transport électrique.

Au Sud, les pays côtiers disposant de ressources hydroélectriques et fossiles, qui ont vocation à être exportateurs d’électricité : le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et la Guinée. Au Nord, les pays sahéliens enclavés, importateurs, qui perdent un peu de leur souveraineté.

Outre les projets Sud-Nord, la réalisation de l’interconnexion côtière, qui reliera un jour le Nigeria au Sénégal, est une priorité.

Le projet d’interconnexion de 225 kV entre la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée est à l’oeuvre. Une société de transport régionale, Transco CLSG, réalise et exploite cette ligne, estimée à 329 millions d’euros. Pour l’interconnexion de 225 kV entre la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau et le Sénégal, les négociations sont en cours avec les bailleurs de fonds. Le projet est estimé à 494 millions d’euros.

Cohérence

Pour Stéphane Carcas, chef de projets infrastructures à l’AFD, « il s’agit de mettre en cohérence l’interconnexion, qui rend plus dépendant, et la production intérieure, plus polluante et plus chère. Avec un risque : celui d’être trop tourné vers l’interconnexion et de négliger la construction de réseaux de distribution au niveau national ». Comme a pu le faire un temps le Mali, mais à l’inverse du Burkina Faso, qui mise à la fois sur l’interconnexion, le solaire et le développement des réseaux nationaux.

Car au sud du Sahara, la distribution en dehors des grandes agglomérations est très en retard. Entre 5 % et 15 % seulement des populations sont desservies en milieu rural. L’électrification à l’intérieur des pays reste difficile en raison de la dispersion des habitats et de la faible densité de consommation. Et les ouvrages ne sont guère rentables.

« Dans ces zones, il faudra combiner plusieurs types de solutions. Le modèle du réseau électrique centralisé qui se déploie partout comme dans les pays occidentaux n’est pas réplicable au sud du Sahara. Il faudra étendre les réseaux mais aussi inventer, développer des modèles décentralisés, c’est-à-dire basés sur une production locale pour une distribution locale », souligne Édouard Dahomé.

Smart grids

Pour améliorer la distribution, des solutions existent, comme les smart grids (réseaux électriques intelligents). « Ces technologies permettent l’extension du réseau électrique à travers la création de microgrids pouvant intégrer des solutions d’énergie renouvelable. Les infrastructures existantes favorisent ainsi un réseau plus stable et une répartition plus optimale des flux d’énergie.

Les microgrids rendent possible une gestion locale de l’électricité et la création de zones d’électrification sécurisées pour l’alimentation de clients prioritaires comme les hôpitaux, les écoles, les administrations », précise Romuald Krasensky.

Néanmoins, même quand les lignes de distribution sont construites, le coût de branchement du foyer au poteau électrique reste très onéreux pour les ménages africains. Pour y remédier, les gouvernements africains devront faire des efforts. La Côte d’Ivoire a ainsi décidé fin mai de réduire de 150 000 à 1 000 F CFA (de 228 à 1,52 euro) la somme à verser à la Compagnie ivoirienne d’électricité lors de la souscription d’un abonnement. Le gouvernement vise l’accès de tous les Ivoiriens à l’électricité en 2020. Contre un sur quatre aujourd’hui.

L’Éthiopie au coeur du réseau est-africain

En Afrique de l’Est, l’Eastern Africa Power Pool (EAPP) prévoit de multiplier par sept la capacité électrique installée d’ici à 2030 et de mettre en place un réseau interconnecté régional dont le coeur sera l’Éthiopie, premier producteur d’électricité de la région. Grâce aux projets hydroélectriques, ce dernier devrait disposer d’une capacité électrique de plus de 25 000 MW à l’horizon 2030, contre 2 180 MW en 2013. La principale interconnexion reliera l’Éthiopie au Kenya sur 1 100 km, pour délivrer d’abord 400 MW et permettre le transport de 2 000 MW lorsque les autres pays seront raccordés.

Cette autoroute de l’électricité, dont le marché a été remporté par State Grid Corporation of China, est estimée à 1,26 milliard de dollars (926 millions d’euros). L’interconnexion régionale comprend aussi une ligne Kenya-Tanzanie de 400 kV, une ligne de 500 kV reliant l’Éthiopie au Soudan et une ligne à partir des chutes de Rusumo, pour relier la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. Des projets qui devraient être lancés entre 2015 et 2016.

À partir de là, des lignes alimenteront le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda, la RD Congo, le Soudan et Djibouti. « Nous projetons de produire assez d’énergie pour exporter vers l’Afrique du Nord et l’Europe à travers une connexion avec Djibouti », confiait en avril Azeb Asnake, directrice générale exécutive de la société nationale publique d’électricité de l’Éthiopie.

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