[Tribune] Du bon usage de la fiscalité pour protéger les forêts
En complément de la réglementation et des dispositifs volontaires, la fiscalité écologique offre aux producteurs l’opportunité de recourir aux outils économiques pour favoriser la transition écologique et modifier les comportements. Elle pourrait également permettre de sauver les forêts…
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Alain Karsenty
Chercheur, unité Green, département Environnements et sociétés du Cirad
Publié le 19 mars 2020 Lecture : 4 minutes.
La fiscalité écologique a pour objectif exclusif de changer les comportements en incitant producteurs et consommateurs à adopter des pratiques favorables à l’environnement.
L’exemple emblématique est la taxation des émissions de gaz à effet de serre. Puisque le but est de les réduire, la fiscalité écologique va rapporter beaucoup d’argent au début, puis son rendement va décliner au fur et à mesure que les émissions vont diminuer. Une taxe écologique « parfaite » est une taxe dont les recettes s’éteignent progressivement.
Les écosystèmes forestiers constituent des atouts inestimables pour l’adaptation aux changements climatiques
Mais les producteurs et les consommateurs ne seront en mesure de modifier leurs pratiques que s’il existe des alternatives à leur portée (par exemple, des transports en commun efficaces).
Les revenus issus de la fiscalité écologique doivent précisément servir à épauler l’investissement public et privé pour construire ces solutions. Plus les alternatives seront disponibles, plus les taxes pourront s’accroître pour accélérer les changements. Cette problématique est bien connue dans les domaines de l’énergie et des transports.
Mais la fiscalité écologique n’a pas encore été mise au service de la protection des forêts, soumises à des pressions croissantes du fait de l’agriculture et de l’exploitation anarchique du bois.
Pourtant, les enjeux en matière de perte de biodiversité, d’émissions de carbone et de ressources pour les communautés qui dépendent des forêts sont immenses. Et les écosystèmes forestiers constituent des atouts inestimables pour l’adaptation aux changements climatiques, du fait notamment de leur rôle dans le cycle de l’eau.
Des propositions originales pour mobiliser la fiscalité en appui à la lutte contre la déforestation peuvent être avancées. L’une concerne l’exploitation du bois dans les grandes forêts équatoriales, une autre vise à favoriser l’agriculture « zéro déforestation ».
La troisième suggère de moduler les droits de douane à l’importation des produits agricoles sur le marché européen. Ces trois mesures s’appuient sur l’existence de certifications indépendantes apportant des garanties jugées suffisantes sur les pratiques de production.
Les certifications ne sont pas une panacée, mais elles évoluent avec les nouvelles exigences des consommateurs. Et elles s’appuient sur des vérifications par des tierces parties.
Bois certifié
En Afrique centrale, la certification de « bonne gestion forestière » ne progresse plus. Le commerce du bois s’est tourné vers l’Asie, et les marchés intérieurs grossissent avec l’étalement urbain.
Le bois certifié n’étant pas vendu plus cher sur ces marchés, pourquoi, dès lors, investir pour obtenir un label ? Une solution serait de réduire les taxes pour les entreprises forestières certifiées afin que l’incitation à une gestion responsable ne dépende plus de marchés écologiquement peu exigeants mais soit suscitée par les politiques publiques.
Les États accepteront-ils de sacrifier de précieuses ressources fiscales ? Notre hypothèse est que des bailleurs de fonds internationaux pourraient s’engager à compenser le manque à gagner qui résulterait de cette mesure incitative.
Les pays producteurs pourraient adopter un système de bonus-malus fiscal pour favoriser le « cacao durable »
En Afrique de l’Ouest, la culture du cacao a été le principal moteur de la déforestation en Côte d’Ivoire et au Ghana. Mais les exportations pourraient souffrir de la volonté des pays européens de lutter contre la « déforestation importée » en étant plus sélectifs sur leurs importations agricoles.
Pour pallier ce problème, les pays producteurs pourraient adopter un système de bonus-malus fiscal pour favoriser le « cacao durable », tracé et certifié « zéro déforestation ». La baisse des taxes des uns (les producteurs de cacao durable) sera alors financée par la hausse des taxes des autres, le mécanisme étant ainsi budgétairement neutre.
Le but est de réduire la part du cacao à l’origine indéterminée (dont une partie est illicite car issue d’aires protégées) et d’inciter les opérateurs économiques à s’approvisionner auprès de producteurs certifiés pour bénéficier d’une baisse des taxes à l’exportation.
Leur intérêt sera de mieux rémunérer ces derniers pour disposer d’un maximum de cacao durable et bénéficier du bonus fiscal correspondant.
Enfin, l’Union européenne (UE) devrait mettre sa politique commerciale au service de ses ambitions écologiques. Aujourd’hui, de nombreux produits sont exemptés de droits de douane à l’entrée dans l’UE (soja, cacao…) ou faiblement taxés (huile de palme). Bruxelles devrait augmenter le niveau de ces droits pour les productions « à risque » qui ne seraient pas labellisées « zéro déforestation ».
Comme, dans un premier temps, il y aura moins de produits importés certifiés que de produits conventionnels, il y aura plus de recettes fiscales. Il serait alors judicieux, tant pour des raisons d’équité que de diplomatie, d’affecter ces recettes au financement de projets de soutien aux petits producteurs dans les pays en développement, pour les aider à faire évoluer leurs pratiques et à accéder à la certification. On retrouve là le principe de la construction d’alternatives associé à une fiscalité écologique qui ne soit pas « punitive ».
S’appuyer sur des certifications indépendantes est-il synonyme d’un abandon par les États de leurs prérogatives ? Nous ne le croyons pas.
Un gouvernement n’a pas à choisir une certification en particulier, mais à établir une liste des critères que les labels doivent contenir pour bénéficier de l’incitation fiscale. À travers des spécifications bien pensées, les États peuvent « gouverner » les certifications tout en respectant leur indépendance, fondement de leur crédibilité aux yeux des acheteurs.
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