[Tribune] Comment le coronavirus et la guerre des prix du pétrole peuvent affecter le Nigeria
Le Nigeria est particulièrement vulnérable à une période prolongée de prix bas du pétrole – mais il devrait en profiter pour déréglementer le secteur de l’aval pétrolier et revoir son compte d’excédent de brut.
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Rolake Akinkugbe-Filani
Experte des secteurs de l’énergie et de la finance, spécialiste de l’Afrique subsaharienne et des marchés émergents.
Publié le 16 mars 2020 Lecture : 3 minutes.
Le prix du pétrole brut brent est tombé à environ 33 dollars le baril lundi 9 mars, la pire chute de ce type en une journée depuis 1991. L’Arabie saoudite, et son ancien allié non-Opep (Opep+), la Russie, n’ont pas pu s’accorder le 6 mars sur des réductions de production de pétrole.
Au début de cette année, le prix du baril de brut était tombé à près de 45 dollars, le plus bas niveau depuis des années. Maintenant, le coronavirus, qui a réduit la demande chinoise de pétrole jusqu’à 20 %, vient ajouter de l’huile sur le feu.
Le prix de référence du brut dans le budget nigérian est de 57 dollars
Pour le Nigeria, membre de l’Opep, la voie à suivre pour augmenter rapidement la production est limitée par des problèmes opérationnels, réglementaires et d’infrastructures. Si la croissance du PIB non pétrolier s’est améliorée ces dernières années, près de 90 % des recettes de devises du Nigeria proviennent toujours des exportations de pétrole.
Le prix de référence du brut dans le budget nigérian est de 57 dollars. Goldman Sachs table sur un baril de brent à 30 dollars pour les deuxième et troisième trimestres de 2020, et, selon la plupart des estimations, le reste de l’année sera morose.
L’économie nigériane ne s’est jamais complètement remise de l’effondrement des prix du pétrole de 2014-2015. Le naira est toujours une pétrodevise classique, intrinsèquement liée aux prix mondiaux du pétrole.
La Banque centrale du Nigeria (CBN), qui peut puiser dans ses réserves pour soutenir la monnaie nationale, a fixé un niveau plancher de 30 milliards de dollars de réserves de change avant d’envisager une dévaluation. Le Nigeria en est dangereusement proche.
De la crise sanitaire à la crise économique
Environ 9 000 milliards de dollars de valorisation boursière se sont volatilisés en neuf jours, début mars, à cause du coronavirus. Une chute des réserves de change, de 38 à 30 milliards de dollars, peut se produire de manière tout aussi dramatique.
Si la stratégie de la CBN échoue et que le Nigeria arrive à manquer de réserves, le naira pourrait se déprécier, ce qui permettrait aux spéculateurs d’intervenir. Les réserves de change brutes du Nigeria se situent à un niveau similaire à celui de 2014-2015, lorsque les prix du pétrole avaient également chuté. Par comparaison, elles étaient de 53 milliards de dollars en 2008, au plus fort de la crise financière mondiale.
Or le pays avait tout de même payé un lourd tribut économique. Une dévaluation du naira entraînerait une augmentation des coûts d’importation des matières premières et des intrants pour la production, ce qui entraînerait, en fin de compte, un renchérissement du prix des biens pour les consommateurs, dont le pouvoir d’achat serait davantage érodé.
Une régulation nécessaire de l’énergie
Tous les indicateurs budgétaires du Nigeria pour 2020, à savoir un volume de production pétrolière de 2,18 millions de barils par jour, un prix de référence de 57 dollars, un taux de change de 305 nairas par dollar américain, un taux de croissance du PIB de 2,93 % et un taux d’inflation de 10,81 %, semblent désormais hors de portée et entraîneront très probablement une réduction des dépenses prévues en 2020.
Il n’y a pas de solution miracle. Mais pour le Nigeria le moment est peut-être bien indiqué pour éliminer une partie du gaspillage observé. Le pays doit déréguler le secteur de l’énergie, notamment les subventions à l’essence (28 milliards de dollars entre 2006 et 2018), qui favorisent les rentes et ont alimenté les inefficacités dans la distribution pétrolière.
Des enjeux électoraux
Les prochaines échéances électorales ayant lieu en 2023, il n’y a probablement pas de meilleur moment que ce contexte de bas prix du pétrole pour réexaminer cette question. Une déréglementation avant la fin de 2020 donnerait à l’administration actuelle l’occasion de démontrer les avantages à long terme d’un marché pétrolier libéralisé, sans la pression politique liée au relèvement des prix du carburant.
Il est nécessaire également de réformer la gouvernance du Compte des excédents de brut (ECA) du pays, dont le solde est passé de 20 milliards de dollars en janvier 2009 à environ 70 millions aujourd’hui. Et de donner la priorité aux investissements qui ont des avantages économiques et infrastructurels à long terme, tels que ceux effectués en faveur de l’Autorité nigériane pour les investissements souverains.
Article paru initialement dans The Africa Report
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