Maroc : Driss Bencheikh reprend du service
Nommé à la tête de Wafa Assurance, l’ancien patron de Centrale laitière aura une double mission : maintenir le leadership national de la société et poursuivre son expansion sur le continent.
Mardi 3 juin. Le conseil d’administration de Wafa Assurance examine les résultats des quatre premiers mois de la compagnie. À l’ordre du jour, un point exceptionnel : la démission de Ramsès Arroub, polytechnicien de 48 ans, PDG de la société depuis 2007.
Inattendu, le départ de cette grosse pointure est accepté « avec regret » par les administrateurs, qui nomment séance tenante Driss Bencheikh à ce poste. Un autre poids lourd, qui connaît bien la Société nationale d’investissement (SNI, holding royal) – maison mère de Wafa Assurance – pour avoir dirigé Centrale laitière entre 2004 et 2013. Cette dernière, qui constituait l’un des fleurons du groupe dans le secteur agroalimentaire, a été cédée en février 2013 au groupe français Danone.
Depuis, Bencheikh n’avait pas de fonction officielle, le management de la centrale ayant été transféré dès le mois de mars à ses nouveaux propriétaires. Cette nomination signe donc son retour aux affaires. « Driss Bencheikh a été appelé le jour même et a rejoint le conseil d’administration qui a vite entériné sa nomination. Il faisait l’unanimité », confie une source proche du dossier.
Il est l’un des hommes de confiance de Hassan Bouhemou, le très puissant PDG du holding royal SNI.
Choux gras
Sans attendre, l’homme revêt son nouveau costume d’assureur en chef du holding. Le conseil à peine terminé, il visite les lieux, fait connaissance avec les cadres de la compagnie, puis se rend dans les filiales. Mais ce n’est que le lundi suivant qu’il prend officiellement ses fonctions et commence à étudier les premiers dossiers laissés par son prédécesseur, Ramsès Arroub.
Ce dernier lui lègue une compagnie bien gérée, leader dans son secteur sur le marché marocain, et dont le cours en Bourse a doublé en moins de cinq ans. En quelques années, Ramsès Arroub en a fait le premier assureur du pays, avec une part de marché de 26 %. Il a également réussi une première implantation en Tunisie en 2013, où sa filiale a pu arracher 7 % de part de marché en quelques mois seulement.
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Son départ a fait les choux gras de la presse et alimenté les rumeurs les plus folles. Comme celle, récurrente, qui le dit atteint d’une maladie grave. « C’est assez drôle. Ramsès Arroub vient à peine de participer à un Iron Man au Mexique. Et il l’a accompli en douze heures top chrono. Seule une personne en très bonne forme physique peut venir à bout d’une telle compétition. Certainement pas un malade », raconte, amusé, un proche de l’ancien président. Avant de poursuivre : « La vérité est ailleurs : Ramsès était déchiré entre son travail à Casablanca et sa famille à Paris. Il faisait des allers-retours en permanence. Il voulait partir depuis un an déjà. »
Bulldozer
Si la démission soudaine de Ramsès Arroub a créé le buzz dans le monde des affaires casablancais, son remplacement par Driss Bencheikh n’a rien de surprenant. Depuis que le « bulldozer » avait quitté Centrale laitière, tout le monde guettait son retour. La presse marocaine le voyait à la tête d’Attijariwafa Bank, d’autres le plaçaient aux commandes de Marjane-Acima, l’empire de grande distribution du groupe royal… Mais c’est finalement Wafa Assurance qu’il a intégré.
Une nomination qu’il doit à son brillant parcours dans la finance et l’industrie, mais aussi, selon certains, à sa proximité avec Hassan Bouhemou, le très puissant PDG du holding royal SNI. « C’est l’un des hommes de confiance de Bouhemou. Dans les réunions, les conseils d’administration, leur complicité était indéniable », confie un ancien du groupe.
Une proximité et un respect qu’il a conquis grâce à son charme de « grand séducteur », mais aussi et surtout grâce à son travail. Driss Bencheikh, tous les cols blancs casablancais s’en souviennent, c’est l’homme qui a redonné des couleurs à la Bourse de Casablanca, qu’il a dirigée entre 2001 et 2004. C’est aussi lui qui a redressé Centrale laitière, firme en perte de vitesse face à la concurrence féroce des coopératives.
Bio express
1963 – Naissance à Casablanca
1984-1988 – Maîtrise en mathématiques à Paris-Dauphine et diplôme en stratégie financière au Conservatoire national des arts et métiers, Paris
1988 – Analyste financier, Hamant-Carmignac
1989-90 – Auditeur, PriceWaterCoopers Maroc
1991-1993 – Dirige plusieurs sociétés dans le textile
1994 – Directeur général adjoint de Maroc Inter Titres (BMCE)
1996 – Secrétaire général de la Bourse de Casablanca
2001 – Présidence du directoire de la Bourse de Casablanca
2004-2013 – PDG de Centrale laitière (BMCE)
Lobbying
De 2004 à 2013, date de son départ, la société a doublé son chiffre d’affaires, et sa part de marché a atteint plus de 60 %, soit près de 10 points de plus que dix ans avant.
« Centrale laitière était invendable il y a huit ou neuf ans. Grâce à une politique marketing agressive, une stratégie de distribution intelligente et du lobbying politique aussi, Driss Bencheikh a su rendre belle la mariée. Si SNI a pu décrocher 6,1 milliards de dirhams [542,4 millions d’euros] pour les 37,8 % de parts cédées, c’est un peu grâce à lui », explique un analyste financier.
Une performance d’autant plus appréciable que l’homme cumulait son rôle de PDG de Centrale laitière avec plusieurs autres fonctions managériales, puisqu’il présidait en même temps aux destinées de cinq autres filiales agroalimentaires de l’ex-ONA : Bimo, Sotherma, Leader Food, Fromagerie des Doukkala et… Lesieur Cristal. Une autre « promise » qu’il a dirigée entre 2010 et 2013, et qu’il a embellie pour sa cession au groupe français Sofiprotéol.
« Bencheikh a une grande capacité de travail. Il sait aller à l’essentiel sans se perdre dans l’accessoire. Sans compter son talent pour déléguer à ses collaborateurs, leur offrir des challenges, et rétribuer les bons résultats. C’est une qualité très rare chez nos managers », signale l’un de ses anciens collaborateurs.
Matheux
Né à Casablanca en 1963 d’un père douanier et d’une mère au foyer, Bencheikh est un pur produit de l’école publique. Il a fait partie au début des années 1980 d’une dizaine d’élèves sélectionnés pour poursuivre leurs études en France, aux frais de l’État.
« C’était un matheux, un grand bosseur, un peu timide et réservé, comme le sont les premiers de la classe », témoigne un ancien camarade de classe du lycée Moulay-Idriss-1er, à Casablanca. Formé à l’université Paris-Dauphine, puis au Conservatoire national des arts et métiers, en France, Bencheikh – qui a débuté sa carrière dans la finance en tant qu’analyste des marchés à terme – revient donc à ses premières amours : les maths, les statistiques, les probabilités… Tout ce qui fait le métier d’assureur.
Son principal défi aujourd’hui est de maintenir le leadership de Wafa Assurance sur le marché local, et de poursuivre sa stratégie d’expansion en Afrique. Un processus que son prédécesseur Ramsès Arroub avait enclenché en 2013, avec l’implantation réussie en Tunisie mentionnée précédemment, et un faux pas en Côte d’Ivoire, où il a joué de malchance car sa cible, la compagnie ivoirienne Safa, a été incendiée quelques jours avant que la transaction soit achevée.
Ce n’est un secret pour personne, Wafa Assurance veut être présente partout où Attijariwafa Bank est active. Un modèle de bancassurance très cher à Mohamed El Kettani, PDG d’Attijari, que ce dernier devra désormais déployer en duo avec Driss Bencheikh.
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