Aggrey Klaaste

L’ancien rédacteur en chef du Sowetan est décédé le 19 juin à Johannesburg.

Publié le 19 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

A 63 ans, le mince et élégant « docteur » Klaaste a pris une retraite définitive après avoir dirigé la rédaction du Sowetan pendant plus de quatorze ans. Dès son arrivée, en 1988, il mit immédiatement en oeuvre le concept d’« édification de la nation » (Nation Building), qui fut, dans un premier temps, à l’origine d’attaques virulentes tant de la minorité blanche que de l’ensemble des partis et des organisations d’émancipation des Noirs.

Comme journaliste au World (interdit en 1977) et au Post, qui devint le Sowetan en 1981, le jeune diplômé en business administration de l’université de Witwatersrand (Wits) a longuement étudié la société sud-africaine. Sa mesure des dommages profonds causés par l’apartheid et le constat qu’il dresse de la désagrégation des valeurs morales de la population noire engagent Aggrey Klaaste à tenter de réparer les dégâts. Dès 1988, avec le Nation Building, il oriente la politique du journal vers les populations les plus fragiles dans le but de « rétablir les valeurs morales et familiales ».
Pour cela, il soutient et valorise « les petites gens qui soulèvent des montagnes ». Ici, une mère seule qui, pour ses dix enfants, crée une crèche et une école ouverte à tous (lui-même avait sept soeurs et frères). Là, un mineur qui a perdu ses deux mains dans une explosion et construit, pour ses voisins, des maisons dans le township. « Nous savions que, le jour venu, les Noirs arriveraient au pouvoir. Il fallait aider notre communauté à se préparer », expliquait-il.
Le distingué docteur Klaaste aimait à raconter qu’il était venu au journalisme grâce… à l’alcool ! Il avait commencé à boire… avec des journalistes en 1958 pendant son séjour à « Wits » avant qu’elle ne soit interdite aux Noirs en 1960. Peut-être pour se donner le courage d’affronter « une mer de Blancs » dont certains attaquaient physiquement les étudiants de couleur. Son rêve de promouvoir une nouvelle identité des populations victimes de l’apartheid n’excluait pas de collaborer avec des Blancs. Cette position constante l’opposa longtemps à l’ANC (African National Congress) et surtout à la très « africaniste » Black Consciousness (BC) qui maintenaient que toute aide des Blancs, d’où qu’elle vienne, était exclue. Entre les menaces de la BC et une arrestation à la demande du gouvernement, il fallut à Aggrey Klaaste plus que du courage : la certitude que son action ouverte en faveur de l’éducation, du code de la famille, de la communication sur des réalisations concrètes, mais aussi sur la démystification de la technologie, la création de mutuelles pour les plus âgés ou l’organisation de chorales gigantesques sponsorisées allaient porter leurs fruits. Ses premiers appuis furent inattendus : les prisonniers politiques détenus à Robben Island (le pénitencier situé à douze kilomètres du Cap dans lequel Nelson Mandela passa vingt-sept années) lui envoyèrent de nombreux courriers de soutien.

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Lorsqu’il le reprend, en 1988, le Sowetan est « un journal de cuisine ». Aggrey Klaaste en fera le premier quotidien sud-africain en portant le tirage à plus de 180 000 exemplaires quotidiens lus par près de 2 millions de lecteurs (essentiellement masculins). La position très prudente du Sowetan lui permit de ne pas être interdit au moment de la répression des années 1980 et à son rédacteur en chef de ne pas être de nouveau arrêté. En ne soutenant pas directement l’ANC ou la BC, Aggrey Klaaste glissait avec humour que « le Sowetan n’avait sans doute pas attiré l’attention des services de sécurité ! »
Après avoir accueilli le président Mandela dans sa maison de Meadowlands à Soweto (« un événement incroyable »), Aggrey Klaaste a reçu de son vivant les plus hautes distinctions journalistiques et les hommages les plus élogieux de la nation Arc-en-Ciel qu’il a contribué à édifier, par sa volonté de n’exclure personne, l’attention portée à sa communauté et sa position avisée.

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