Ségolène tisse sa toile

En communiquant – et en débattant – avec les citoyens via son site Internet, la probable candidate socialiste à la présidentielle de mai 2007 bouleverse les règles du jeu politique. Et accentue son avance sur les « éléphants » du parti.

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

« J’ai acquis la conviction que les citoyens [] sont des experts légitimes. Écouter pour agir juste, telle est la raison pour laquelle j’ouvre ce forum. Dans un monde de plus en plus complexe mais aussi informé, chacun détient une part de vérité. » Démocratie participative : en trois phrases, publiées en introduction de son site Internet www.desirsdavenir.org, Ségolène Royal livre le premier volet de sa méthode. Une méthode innovante qui a transformé en favorite des sondages de l’élection présidentielle de 2007 cette jolie mère de quatre enfants, socialiste, compagne de François Hollande – premier secrétaire du Parti socialiste (PS) -, ancienne collaboratrice de François Mitterrand et présidente de la région Poitou-Charentes. L’idée de demander leur avis aux électeurs n’est certes pas nouvelle. Ce qui change tout, c’est Internet, qui offre à ceux qui savent s’en servir deux atouts exceptionnels pour mener campagne : l’ubiquité et le temps réel. Être constamment présent aux côtés de tous les citoyens et prendre position sur tous les sujets.
Avec son site, Royal bouleverse les règles du jeu politique. Traditionnellement, un candidat rédige une profession de foi sous forme de livre, avant d’en débattre dans les médias, entre professionnels – journalistes et hommes politiques. Avec Internet, elle renverse la perspective : le débat direct avec ses futurs électeurs a commencé en février sur son site Web ; suivra le livre-programme, annoncé chez Flammarion pour le 24 août. Quant à ses déclarations dans les médias, elles ne sont jamais utilisées pour lancer une idée et servent à amplifier l’écho de ses propositions.
Le site www.desirsdavenir.org est un grand forum de discussion. L’équipe de Royal y avance des idées, et propose d’en débattre. Chaque internaute peut alors apporter sa pierre à l’édifice, à condition de s’être préalablement inscrit en indiquant son adresse électronique. Inutile donc, d’être membre de l’association Désirs d’avenir (cotisation : 10 euros par an), qui soutient la candidate à la candidature. Inutile, surtout, d’être membre du Parti socialiste.
Chaque thème est ouvert pour une période donnée. Puis les quarante modérateurs du site (parmi lesquels Thomas Hollande, fils aîné de Ségolène et de François) en extraient une synthèse, ou plutôt ordonnent les collaborations en les raccourcissant, et n’oublient personne, ou presque C’est le deuxième étage de la fusée. Troisième temps, le débat est rouvert autour de la synthèse. En attendant le quatrième et dernier étage : un livre-programme qui synthétisera l’ensemble des débats articulés autour de dix chapitres, traitant dix thèmes de société : institutions, emploi, famille, sécurité
Comment ne pas être consensuel lorsque vos propositions ont été formulées par votre électorat lui-même ? En fait, Royal a transformé le « consommateur expert », cher aux marques de grande consommation, en « citoyen expert », sur le conseil de son amie Nathalie Rastoin. Cette spécialiste du marketing, qui dirige la branche française du publicitaire américain Ogilvy & Mather, s’en étonne encore : « Ce qui m’épate le plus, c’est que nous ayons été les premiers à penser le faire. »
Sur le plan de la diversité, l’équipe qui anime le site est un modèle du genre. Toutes les sensibilités, couches sociales et classes d’âges y sont représentées. À sa tête, Christophe Chantepy, 46 ans (contre 52 ans à Ségolène), ancien élève de l’École nationale d’administration (comme sa patronne) et conseiller d’État. Un pur produit de l’élite méritocratique républicaine, qui dirigea le cabinet ministériel de Ségolène Royal lorsqu’elle fut ministre déléguée à l’Enseignement scolaire entre 1997 et 2000. Autre tête de pont du site, Aziz Ridouan, 18 ans à peine, jeune Français d’origine marocaine Ce génie en herbe de la Toile a déjà une solide expérience du combat « citoyen » : alors qu’il n’avait pas encore 13 ans, c’est lui qui a organisé, à coups de blogs et de courriels, la fronde contre le géant AOL, numéro un des fournisseurs d’accès à Internet, contraint de recycler ses CD publicitaires sous peine d’un boycottage massif des internautes, emmenés par Aziz.
Même audace sur le fond. Le site de Royal n’est pas seulement la caisse de résonance de ses idées ; il est aussi un formidable outil de mesure des tendances qui lui permet de surfer sur l’air du temps. Affranchie de toute logique idéologique partisane, elle se positionne sans tabou : critique des 35 heures, mise sous tutelle des allocations familiales des parents d’enfants délinquants, encadrement par des militaires des adolescents fauteurs de troubles Elle n’hésite pas à braconner sur les terres de la droite conservatrice française, à commencer par celles de Nicolas Sarkozy, dont certains avaient fait un peu vite le seul dépositaire du parler vrai. Et sa différence, son décalage, paie : à gauche, à droite, et même à l’extrême droite (81 % des électeurs du Front national de Jean-Marie Le Pen ont approuvé ses propos sur la sécurité), les Français applaudissent. Royal s’inspire aussi du Britannique Tony Blair, à qui on la compare à juste titre. Ne lui a-t-elle pas « emprunté » la formule : « Dur avec le crime, dur avec les causes du crime », devenue dans sa bouche : « Dur avec la violence, dur avec les causes de la violence » ?
Ségolène Royal, qui jure être toujours de gauche et socialiste, puise aussi à des sources plus conformes à sa place sur l’échiquier politique. Son discours est ainsi largement inspiré de La République des idées, un groupe de réflexion animé par le sociologue Pierre Rosanvallon, apôtre de la « deuxième gauche », qui entend se pencher sur les souffrances des citoyens (malaise des cadres, précarité, banlieues ghettos). Elle a d’ailleurs intitulé le premier chapitre de son « livre ouvert » sur Internet en paraphrasant le titre d’un des ouvrages publiés par le groupe de Rosanvallon. Les Désordres du travail est ainsi devenu « Les désordres de l’emploi et du travail ».
Comme tous ses adversaires, Royal a aussi son propre think-tank, animé par l’incontournable Christophe Chantepy. Les « deux Jacques » de Mitterrand, l’intellectuel Attali et le publicitaire Séguéla, nourrissent également ses réflexions. Et sur un autre plan, l’actrice Carole Bouquet, l’humoriste et comédien Jamel Debbouze et la chanteuse Diam’s apportent leur lot de paillettes.
La plus visible sur Internet, Royal n’en néglige pas pour autant les médias traditionnels : elle est chaque jour, directement ou indirectement, au centre des débats publics. Certains lui reprochaient, en avril, son silence sur le contrat première embauche ; d’autres s’étonnaient qu’elle ne réponde pas aux attaques de ses « amis » socialistes. En fait, elle ne s’exprime dans les médias que pour commenter ses propres propos. Un luxe inouï.
Quant à ceux qui l’accusaient de refuser l’affrontement, ils en sont pour leurs frais. En public, comme le 2 juin à Lille, Royal fait des miracles. Ce jour-là, elle clôt une tournée dans la très puissante fédération socialiste du Nord. Martine Aubry, baronne locale qui n’a pas digéré les attaques de Royal contre « ses » 35 heures, lui savonne la planche à mots couverts avant de céder le micro. Ségolène ne se dégonfle pas. Elle assume, elle précise, ne lâche rien. Et quitte la salle sous les vivats des militants. Aubry s’en étrangle, mais que faire ?
Qui, d’ailleurs, est encore capable d’empêcher Royal d’être adoubée en novembre, lorsque tous les militants socialistes de France seront appelés à désigner leur candidat à l’élection présidentielle de mai ? François Rebsamen, le patron des fédérations, jette désormais sur elle un regard bienveillant. Un parrainage qui compte. Mais encore une fois, son meilleur allié pourrait être Internet. Les comités locaux sont l’autre face du site www.desirsdavenir.org : ces regroupements d’internautes soutenant Ségolène Royal ressemblent à de microscopiques fédérations socialistes Les « éléphants » du PS (Jospin, Fabius, Strauss-Kahn, Delanoë) peuvent presser le pas ; la « gazelle », comme elle s’est elle-même surnommée, a encore plusieurs foulées d’avance.

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