Revoilà le voile

La question du hijab fait à nouveau des vagues à l’université. Crise d’identité, regain de religiosité ou retour de l’islamisme ?

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Le 26 mai, à la faculté de droit et de sciences politiques de Tunis, des étudiantes sont empêchées par un agent de l’administration d’entrer dans la salle d’examen. À cause du hijab (« voile islamique ») couvrant leurs têtes et leurs épaules. Par peur de rater leur année universitaire, certaines obtempèrent. Les récalcitrantes sont conduites dans un bureau de l’administration. Il faudra l’intervention d’un groupe d’enseignants pour qu’elles soient autorisées à rejoindre leurs camarades. Plusieurs incidents du même genre ayant eu lieu au cours des dernières semaines, un mouvement de protestation se développe. Étudiants et enseignants islamistes, à nouveau très présents sur les campus, y participent, mais ils ne sont pas les seuls.
Réagissant à ces incidents qualifiés de « précédents très graves », le Syndicat général de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, affilié à l’Union générale tunisienne du travail, la centrale syndicale unique, publie le 30 mai un communiqué dénonçant le comportement « criminel » (sic) de l’agent administratif concerné et appelant les autorités à prendre des « mesures disciplinaires et légales ». Le lendemain, Mongia Abidi, la présidente de Femmes contre la torture en Tunisie, une association (non reconnue) proche des islamistes, demande à « toutes les forces libres » de « soutenir le droit des jeunes filles à choisir librement leur mode vestimentaire ». Les réactions outrées émanant de diverses organisations, d’intellectuels et de dignitaires religieux se multiplient.
Au-delà des manipulations politico-religieuses, que dit la loi ? L’article 5 de la Constitution garantit l’inviolabilité de la personne humaine et la liberté de conscience. Il protège également le libre exercice des cultes. Mais le décret 108 promulgué en 1981, au temps d’Habib Bourguiba, interdit le port de l’allibas al-taifi (« l’habit sectaire ») dans les écoles et les établissements publics. Ce texte est donc jugé « anticonstitutionnel » par ses détracteurs. En 2002, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) estimait même qu’il contribuait à « creuser l’écart entre les garçons et les filles » en entraînant l’exclusion scolaire de nombre de ces dernières. Affirmation manifestement fausse : toutes les statistiques montrent que les filles sont plus nombreuses que les garçons dans le système éducatif. Et surtout à l’université.
Par ailleurs, si le hijab continue de poser problème, c’est parce qu’il n’est pas un mode vestimentaire comme un autre, mais le symbole d’un repli identitaire, d’un durcissement de la pratique religieuse musulmane. Il prend souvent le sens d’une conquête, d’un marquage territorial : il faut qu’il soit visible partout. Dans ces conditions, il est somme toute logique que, pour en limiter l’impact symbolique, les autorités en interdisent strictement le port dans les établissements publics.
« Le hijab est un phénomène importé, étranger à nos traditions. Or nous rejetons toute forme de sectarisme, commentait Aboubaker Akhzouri, le ministre des Affaires religieuses, dans un entretien au quotidien indépendant Assabah, le 27 décembre 2005. Ce rejet s’étend naturellement au port de la horka blanche (habit porté par les hommes dans les pays du Golfe) et à celui de la barbe quand il prétend souligner « une appartenance bien déterminée », allusion aux abondantes pilosités arborées par les activistes islamistes. De manière générale, le ministre dénonce « l’influence du Machreq » sur le comportement religieux de certains de ses compatriotes, qui s’exerce par le biais de journaux et de chaînes satellitaires arabes .
Dans une déclaration publiée en août 2003, les militantes de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), peu suspectes d’allégeance au régime, exprimaient déjà leur « inquiétude » face aux progrès du hijab en Tunisie. Disparu depuis la fin des années 1950 dans sa forme traditionnelle, le voile a fait sa réapparition, trente ans plus tard, avec la montée de l’islamisme. À nouveau éliminé du paysage urbain, ou presque, au début des années 1990, il a fait son grand retour après les attentats du 11 septembre 2001 et l’intervention américaine en Irak. Devant ce phénomène totalement « étranger aux combats menés depuis la fin du XIXe siècle pour l’émancipation des musulmanes », l’ATFD s’en tient à un double refus : « ni répression ni acceptation », mais « compréhension » et mise en place de stratégies de défense contre « toute pensée hégémonique, d’où qu’elle vienne ».
L’universitaire Sana Ben Achour confirme que les jeunes filles voilées sont de plus en plus nombreuses sur les campus, mais estime qu’elles sont encore loin d’être majoritaires, peut-être à cause de la répression dont elles sont l’objet. « J’essaie d’aider mes étudiantes à assumer leur liberté dans le strict respect de la loi, dit-elle. À celles qui sont voilées, je voudrais pouvoir expliquer que le voile n’est pas un signe de liberté, mais une marque de soumission. Mais la répression sans débat préalable est improductive, d’autant que le voile est souvent dans la tête. Des filles comme des garçons. »

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