3 questions à Patrick Labaste

Économiste en chef du secteur agriculture, département Afrique de la Banque mondiale

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : L’industrie de transformation agroalimentaire en Afrique a connu échec sur échec. Pourquoi ?
Patrick Labaste : Le constat me semble un peu sévère. Il y a en Afrique des industries de première transformation. C’est le cas notamment dans les secteurs du café, de l’hévéaculture, du cacao. Au moment des indépendances, une politique industrielle très volontariste a été mise en uvre. Il y a eu beaucoup de déceptions dans les pays qui avaient été le plus en pointe comme le Ghana, le Nigeria et la Côte d’Ivoire, car l’industrialisation n’a pas créé un développement auto-entretenu. Il faut dire que le succès ne se décrète pas, même si les mesures incitatives sont importantes. Ces expériences, trop étatistes et dirigistes, n’ont pas fonctionné.
Quels sont les secteurs qui ont tiré leur épingle du jeu ?
Le vrai succès en matière agricole en Afrique francophone se trouve dans le développement de la filière cotonnière. De 3 % des parts de marché au niveau mondial, l’Afrique, tirée par le Burkina et le Mali, est passée à 15 %. Pour autant, cette progression ne s’est pas accompagnée de tentatives industrielles fructueuses. Celles-ci sont restées marginales Parmi les succès, je pourrais citer la transformation de l’hévéa en Côte d’Ivoire, celle du cacao dans le même pays, bien que les événements n’aident pas à la lisibilité, ou encore l’industrie du jus de fruit au Kenya, avec une entreprise comme Del Monte. Sinon, il est vrai qu’il y a eu des échecs, comme celui de la conserve d’ananas en Côte d’Ivoire, et qu’il n’y a pas eu beaucoup de développement en matière d’industrie de transformation secondaire. Aujourd’hui, on constate néanmoins un retour du discours en faveur de l’industrialisation, mais il est important que ce soit le secteur privé qui investisse.
Pourtant, alors que les services, notamment ceux de la téléphonie mobile, sont en plein boom, ne serait-il pas plus judicieux d’abandonner toute velléité de développer une industrie en Afrique ?
Je ne le crois pas. Il ne faut pas abandonner l’agro-industrie car l’idée de remonter la chaîne de valeur pour capter une part des bénéfices du commerce mondial reste pertinente. Je pense, en revanche, qu’il faut décharger ce thème de son contenu affectif, qui pousse certains à y voir un signe d’indépendance, et se contenter de regarder la réalité économique. Le succès de l’agro-industrie dépend d’une myriade de facteurs, qui doivent tous êtres réunis : améliorer l’environnement des affaires, abaisser le coût des facteurs de production et affronter le problème de la zone franc qui a tendance à renchérir le coût des produits d’Afrique francophone. Enfin, remplacer un monopole public par un monopole privé est pire que le statu quo, comme le rappelle l’échec qu’est en train de connaître le repreneur des trois huileries Huicoma au Mali. Il aurait mieux valu, comme l’avait souligné la Banque mondiale à l’époque, vendre les usines séparément.

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