Peuvent-ils changer le Congo ?

Kabila, Bemba, Pay-Pay, Ruberwa… Quel que soit le vainqueur de la présidentielle congolaise du 30 juillet, le chantier qui l’attend est immense : économie sinistrée, pauvreté, corruption, violence, régionalisme

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Encadré par l’ONU, dont c’est là l’opération la plus lourde et la plus coûteuse actuellement en cours sur la planète, surveillé par l’Eufor, première mission militaire de l’Union européenne (UE) de cette importance en Afrique, ausculté par des milliers d’observateurs et d’ONG, appuyé par toute la communauté internationale et béni d’avance par le pape en personne, le processus électoral congolais n’en suscite pas moins autant d’angoisses que d’espoirs. À quelques jours de l’ouverture officielle de la campagne, le 29 juin, et à six semaines d’un scrutin historique, la volonté des Congolais de décider enfin de leur destin, pour la première fois depuis plus de quarante ans, ne fait certes aucun doute. Mais c’est à la classe politique et aux leaders de partis que revient la responsabilité d’exprimer ce désir de démocratie dans le cadre apaisé. Or, de ce côté, le pire est à craindre.
« Il y a un climat tout à fait malsain qu’il faudra essayer de maîtriser », déclarait il y a peu le représentant spécial de l’UE pour la région des Grands Lacs, Aldo Ajello. Une inquiétude reprise et amplifiée par la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU en visite à Kinshasa le 12 juin. Motif : la surenchère de discours nationalistes et xénophobes sur le thème de la « congolité » et, surtout, l’absence de vrai débat politique, en dehors des attaques ad hominem autour du thème explosif de l’identité. Si aucun candidat n’a jusqu’ici développé le moindre programme crédible – la démagogie est assurément plus payante en termes de voix -, un seul d’entre eux présente au moins un bilan à défendre : Joseph Kabila. Un bilan en demi-teinte certes, mais qui a le mérite d’avoir apporté un semblant de paix et surtout permis que ces élections puissent enfin se dérouler.
La violence avec laquelle ses adversaires s’attaquent au « kapita médaillé des Blancs, Hippolyte Kanembe, alias joseph Kabila »* et à son pseudo mentor, le commissaire européen Louis Michel qualifié ad nauseam d’« esclavagiste sadique », de « prédateur vorace » et de « barbu diabolique » par les propagandistes d’Étienne Tshisekedi, en dit long sur leur désarroi. Porteur auprès d’une partie de la population, exacerbé par le soutien parfois trop ?visible et empressé des Belges et des Français envers ?l’actuel chef de l’État, ce discours identitaire qui vise ?à faire de Kabila un candidat étranger, exogène et offshore est gros de tous les dangers. Peu importe, semblent dire ceux qui le manipulent, pourvu qu’il soit payant !
Si le Congo a incontestablement besoin de changer jusqu’au fond de ses réflexes politiques et de sa malgouvernance endémique, ce n’est donc pas au cours de la campagne qui s’ouvre qu’on en trouvera les prémices. Point de vision d’avenir chez les candidats – si ce n’est, à très grands traits, du côté de Joseph Kabila, lequel est le seul (et pour cause) à ne pas user du poison de la congolité – et surtout absence criante, déficit abyssal d’hommes d’État. On touche là aux racines du mal congolais : une classe politique caractérisée depuis les années Mobutu par le vagabondage, l’obsession du ventre et la multiplication scissipare des partis alimentaires. Pouvoir et opposition confondus, la grande majorité des politiciens congolais forme un groupe d’hommes et de femmes déclassés et décrédibilisés qui ne s’est jamais réellement préoccupé, malgré les centaines de milliers de morts engendrés par les guerres, de la situation dramatique des populations. Leurs compatriotes, qui ont la politesse du désespoir et le cynisme des ventres creux, n’attendent plus d’eux que des miettes. Si les enjeux des élections générales du 30 juillet sont énormes, ces dernières ne peuvent donc pas être le point d’achèvement d’une culture démocratique quasi inexistante, mais tout au plus son point de départ. S’ensuivra une période à hauts risques qui durera au mieux un mois jusqu’à la proclamation des résultats et beaucoup plus (jusqu’à quatre mois) en cas de second tour. C’est cependant à ce laps de temps redouté par tous les observateurs que l’on jugera si ceux qui prétendent vouloir changer le Congo sont des hommes d’État ou des apprentis sorciers.

*Hippolyte Kanembe est l’un des pseudonymes utilisés, pour des raisons de sécurité, par Joseph Kabila pendant sa scolarité à Dar es-Salaam, en Tanzanie, au cours des années 1980. Contre toute évidence, certains de ses détracteurs soutiennent qu’il s’agit là de son vrai nom. Bref, que Joseph Kabila n’existe pas

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