Peuple menacé d’extinction

Sommées de choisir entre la maternité ou le travail, les femmes font de moins en moins d’enfants. Résultat : le pays se vide de sa population.

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Autres temps, autres problèmes. Hier encore, les Allemands étouffaient dans des frontières par trop étroites. Pendant des siècles, ils trouvèrent un exutoire en Europe de l’Est. Puis, faute de colonies sur les autres continents, ils émigrèrent par millions aux États-Unis. Au recensement de 2000, 42,8 millions d’Américains revendiquaient une ascendance allemande, ce qui en faisait le premier groupe ethnique, devant les Irlandais (30,5 millions). Nombreux furent aussi les citoyens de l’ancien empire germanique à s’installer en Amérique latine, tout particulièrement en Argentine.
Si, aujourd’hui, l’Allemagne se vide de sa population, c’est parce qu’elle ne fait plus d’enfants. Elle n’est certes pas un cas unique en Europe, où le taux de natalité moyen est tombé à 10 pour 1 000 habitants en 2005, l’Afrique se situant à 38 pour 1 000, l’Asie à 20 pour 1 000, les Amériques à 19 pour 1 000. De tous les pays riches, elle est cependant celui qui connaît le plus faible taux : 9 pour 1 000 habitants en 2005, contre 14 pour 1 000 aux États-Unis, 13 pour 1 000 en France et 12 pour 1 000 au Royaume-Uni. Seul le Japon fait aussi mal, si l’on peut dire. La différence est que la mortalité est sensiblement plus basse sur l’archipel nippon (8 pour 1 000 d’un côté, 10 pour 1 000 de l’autre).
Depuis 1991, le nombre des décès dépasse celui des naissances. Longtemps, l’immigration a comblé le déficit. Ce n’est plus le cas. En 2005, la population, qui s’élevait à environ 82,5 millions, a diminué de 50 000 personnes. À ce rythme, selon les prévisions des Nations unies, elle baissera de 12 millions d’habitants d’ici à 2050. « Baby-Schock. Nous, Allemands, sommes menacés d’extinction », titrait il y a quelques mois le quotidien Bild.
Dénatalité et vieillissement sont évidemment étroitement liés. Avec 18 % de personnes de plus de 64 ans, l’Allemagne vient en deuxième position dans le monde après le Japon (20 %). En 2050, plus de la moitié de la population aura dépassé 50 ans, avec l’espoir de vivre au moins jusqu’à 80 ans. Le problème des retraites deviendra difficilement gérable. Aujourd’hui, les salaires de deux actifs financent la pension d’un retraité. Dans trente ans, le rapport sera de 1 pour 1.
Les responsables politiques ont tardé à prendre la mesure du phénomène de décroissance démographique. Le chancelier Helmut Schmidt ne déclarait-il pas dans les années 1970 : « Dans ce monde de catastrophes, mieux vaut ne pas avoir d’enfants » ? Si la nouvelle chancelière Angela Merkel tient un discours différent, elle ne peut pas s’ériger en modèle, puisque, divorcée et remariée, elle n’a pas d’enfant. « Privilège » qu’elle partage avec plus de 40 % des femmes de plus de 35 ans possédant un diplôme universitaire. Autre chiffre significatif : 22 % des Allemandes de 50 ans et plus n’ont pas connu la maternité, contre seulement 8 % de Françaises.
Pourquoi un tel écart entre deux pays dont le niveau de développement socio-économique est somme toute très proche ? De nombreuses études montrent que la société allemande est devenue particulièrement hostile aux enfants : ils font trop de bruit, ils coûtent cher Mais la politique de la famille y est pour beaucoup. En France, l’argent public est utilisé en grande partie à construire des infrastructures d’accueil pour les enfants – sans compter les aides fiscales pour la garde à domicile – afin de permettre aux mères de poursuivre leur activité professionnelle.
De l’autre côté du Rhin, tout est fait pour encourager les femmes à rester à la maison : les subventions, mais aussi les horaires scolaires, les cours finissant à 13 heures. Les femmes sont sommées de choisir : jouer les nourrices ou aller au bureau. Le résultat : un indice de fécondité de 1,3 enfant par femme, alors qu’il est supérieur à 1,9 chez les voisins français. Et rien ne laisse penser à un redressement de la natalité à court terme. Des enquêtes ont montré que si les Européens souhaitent en général avoir une progéniture plus nombreuse, ce n’est pas le cas des Allemands
En fait, le modèle de la mère au travail a du mal à s’imposer dans une société demeurée très conservatrice et où le vieil adage Kinder, Kirche, Küche (« enfants, église, cuisine ») reste ancré dans les mentalités. En Allemagne, comme d’ailleurs en Italie ou en Grèce, pays dont le profil démographique est comparable, les femmes sont certes émancipées. C’est le reste de la société qui ne l’est pas.

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