Paré pour sa défense

Missiles, avions de chasse, drones, hélicoptères, navires de guerre, sous-marins, tanks La République islamique dispose d’un arsenal impressionnant. Et dissuasif.

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

L’Iran est une puissance militaire redoutable, qui ne le cède au Moyen-Orient qu’à Israël. Tel est le jugement de la plupart des observateurs occidentaux. Contrairement à l’État hébreu, cependant, il n’a pas eu accès aux armes américaines, ni d’ailleurs à la plupart des armes occidentales, depuis le renversement du shah, il y a vingt-sept ans. Et contrairement à Israël aussi, l’Iran n’a pas de bombes nucléaires, du moins pas encore. Néanmoins, militairement, il n’est en aucune manière en retard ou sans défense.
Grâce essentiellement à ses propres efforts, et aussi avec une certaine aide de la Russie, de la Chine, du Pakistan et de la Corée du Nord, l’Iran a créé un énorme complexe militaro-industriel qui emploie plus de 200 000 ingénieurs, techniciens et ouvriers qualifiés. Selon l’Institut international d’études stratégiques de Londres (IISS), le pays fabrique aujourd’hui près de deux mille types de matériels militaires, des munitions aux avions, et des bateaux lance-missiles aux satellites. Il exporte du matériel de guerre dans plus de trente pays, dont sept en Europe. Comment réagirait-il s’il était attaqué par les États-Unis – ou éventuellement par les États-Unis et Israël ? Pourrait-il se défendre ? Pourrait-il contre-attaquer ? Jusqu’à quel point a-t-il acquis une capacité de dissuasion stratégique ?
Ces questions doivent être posées, parce que, même s’il y a un tout petit espoir que la crise ouverte par le programme nucléaire iranien puisse être réglée par la négociation, la possibilité d’une guerre ne saurait être exclue. Les faucons américains, dont John Bolton, l’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, ont clairement indiqué qu’ils préféraient un « changement de régime » à Téhéran à une négociation à l’issue de laquelle l’Iran serait autorisé à continuer certaines activités nucléaires, même réduites.
Dans une interview au Financial Times (du 9 juin), Bolton déclarait : « L’expérience nous enseigne que c’est au moment où il y a un changement radical dans la vie d’un pays que la probabilité qu’il renonce aux armes nucléaires est la plus grande. » Il y a incontestablement, aux États-Unis comme en Israël, beaucoup de gens qui, pour des raisons géopolitiques, préféreraient que le régime de Téhéran soit détruit, comme l’a été celui de Saddam Hussein en Irak. Ce sont, en fait, les ambitions géopolitiques qui alimentent le débat sur les activités nucléaires de l’Iran. Les États-Unis tiennent à avoir la haute main sur le pétrole du Moyen-Orient pendant au moins dix ou vingt ans. Israël, pour sa part – maintenant que l’Irak a été écrasé -, veut consolider sa suprématie militaire sur la région et être à même de remodeler l’ordre régional selon ses intérêts. Aux deux pays, par conséquent, l’Iran pose un problème stratégique.
L’Iran étudie actuellement les « propositions » que lui ont faites six grands pays – États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Chine et Russie – pour tenter de le convaincre de renoncer à son programme nucléaire. Il n’a pas rejeté catégoriquement ces propositions, bien qu’il ait indiqué qu’elles présentaient des « ambiguïtés ». Il devrait faire très rapidement des contre-propositions. Le principal obstacle semble être la précondition mise par les États-Unis. Washington a déclaré qu’il ne participerait pas aux négociations si l’Iran ne suspendait pas d’abord ses activités nucléaires d’une manière vérifiable. Téhéran a rejeté ce préalable et affirmé que son droit d’enrichir l’uranium était « inaliénable » et « non négociable ».
L’Iran est bien décidé à poursuivre son programme nucléaire dans ce qu’il prétend être l’objectif purement pacifique de produire du combustible pour des centrales nucléaires. Il y est parfaitement autorisé par le traité de non-prolifération nucléaire. Les États-Unis et Israël – avec le soutien des Européens et l’appui plus ambivalent de la Russie et de la Chine – veulent arrêter complètement l’industrie nucléaire de l’Iran parce qu’ils croient que c’est une couverture pour un programme militaire secret.
Les États-Unis et Israël ont, à plusieurs occasions, fait savoir qu’ils ne laisseraient pas l’Iran acquérir des armes nucléaires. En visite à Londres le 12 juin, le Premier ministre israélien Ehoud Olmert a réaffirmé qu’Israël ne permettrait pas à l’Iran de « franchir le seuil nucléaire ». Il a souligné que, doté d’armes nucléaires, l’Iran représenterait « un grave danger pour le monde entier ». C’est dans la logique de l’argumentation israélienne bien connue, selon laquelle le problème ne se pose pas seulement pour Israël, mais que toute la communauté internationale doit, elle aussi, dans son propre intérêt, interdire à l’Iran d’avoir des armes nucléaires. En demandant l’usage de la force pour mettre fin aux ambitions nucléaires de la République islamique, Israël trahit sa crainte de voir Washington passer avec Téhéran un accord qui compromettrait sa suprématie stratégique, ainsi que son statut privilégié d’allié numéro un de l’Amérique au Moyen-Orient.
Dans la Military Balance 2006, l’analyse annuelle que fait l’IISS des services armés mondiaux, la capacité militaire de l’Iran est décrite avec un certain détail. Sous le shah, des firmes américaines comme Bell, Litton et Northrop ont installé en Iran des chaînes de montage pour hélicoptères, avions, missiles guidés, composants électroniques et tanks. Au cours de la guerre Iran-Irak (1980-1988), cette base industrielle a été énormément développée sous le contrôle des Gardiens de la Révolution et du ministère de la Défense. On a beaucoup investi dans l’industrie des missiles, de sorte que l’Iran dispose aujourd’hui d’un très vaste arsenal de fusées et de missiles, d’une portée allant de 45 à 2 000 km. Il existe, répartis sur le territoire, 19 établissements publics qui travaillent pour l’aérospatiale et emploient plus de 100 000 techniciens et ingénieurs. Ainsi, un complexe de la province du Lorestan est capable de produire annuellement 80 000 pneus d’avion de différents modèles. L’Iran est le premier pays du Moyen-Orient, et le septième du monde, à maîtriser une telle technologie. L’infrastructure iranienne des hélicoptères permet d’entretenir la troisième flotte d’hélicoptères du monde. Les Qods Aviation Industries fabriquent un large éventail de véhicules aériens sans pilote pour les opérations de reconnaissance et les missions de combat. L’Iran a constitué un arsenal diversifié de missiles antinavires, ainsi qu’une flotte de sous-marins miniatures et de taille moyenne, et de navires lance-missiles rapides et manuvrables. La conclusion de l’IISS est que les huit ans de guerre avec l’Irak « ont fait des Iraniens des militaires professionnels » qui ont mis sur pied une industrie militaire avancée et innovatrice. Ils ont su « créer une infrastructure industrielle capable de répondre à peu près à tous les besoins des forces armées iraniennes ».
Quel a été l’objectif de ce grand effort ? Les intentions sont-elles offensives ou bien purement défensives ? Les États du Golfe doivent-ils s’inquiéter de la puissance militaire de l’Iran ? L’IISS estime que la structure de défense iranienne est fondée sur la « dissuasion stratégique ». La stratégie de l’Iran, écrit-il, « est d’amortir le premier choc, puis de lancer une contre-attaque immédiate avec tous les moyens disponibles, mais seulement si l’opération sert des buts politiques et ne menace pas l’existence même du régime Les dirigeants iraniens considèrent qu’une dissuasion efficace peut obliger leurs ennemis à renoncer à leurs menaces, en jugeant que l’opération serait trop coûteuse. »
Que faut-il en penser dans la situation actuelle ? D’abord, qu’on ne forcera pas l’Iran à renoncer à ses activités nucléaires. Ensuite, que la puissance militaire considérable dont il dispose vise un effet de dissuasion, qu’elle est là pour le protéger d’une agression américaine ou israélienne. Enfin, que si l’Iran cherche à fabriquer une bombe atomique – ce dont il se défend énergiquement -, c’est peut-être seulement pour renforcer sa capacité de dissuasion. Téhéran ne peut pas envisager d’utiliser une telle arme sans risquer sa destruction totale par les États-Unis et par Israël, dotés d’arsenaux nucléaires infiniment plus puissants que tout ce que l’Iran peut espérer fabriquer.
Les armes nucléaires ont contribué à stabiliser les rapports entre l’Occident et l’ex-Union soviétique, et entre l’Inde et le Pakistan. Pourquoi ne joueraient-elles pas un rôle comparable entre l’Iran et Israël ? Une bombe iranienne serait-elle un tel désastre ? L’Histoire a démontré qu’un équilibre de pouvoir crée la paix, alors qu’un déséquilibre provoque la guerre, parce que la partie la plus puissante cherche inévitablement à imposer sa volonté par la force. N’est-ce pas là le sens des menaces actuellement brandies contre l’Iran par les États-Unis et Israël ?

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