[Tribune] Modèle de développement : il y aura un avant et un après coronavirus
La crise actuelle vient accélérer une tendance préexistante de relocalisation des relations économiques qui privilégie des circuits courts de production et de distribution. Pour les pays spécialisés uniquement dans l’exportation de commodités à faible valeur ajoutée, la situation risque de devenir intenable.
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Emmanuel Leroueil
Consultant en stratégie basé à Libreville (Gabon)
Publié le 25 mars 2020 Lecture : 3 minutes.
Nous savons depuis les travaux de l’économiste soviétique Nikolaï Kondratiev (1892-1938) que les systèmes économiques fonctionnent en cycles plus ou moins longs, ces derniers étant de nature parfois évolutive. Mais toutes les crises n’ont pas la même dimension. Certaines ne sont que des accidents de parcours conjoncturels. D’autres signent la fin d’une époque et le commencement d’une nouvelle.
Nous pensons que la crise économique dans laquelle nous entrons relève de cette catégorie. Que cela nous plaise ou non, pour l’économie mondiale autant que pour les pays africains, il y aura un avant- et un après-coronavirus. Cette crise née de la pandémie du covid-19 va créer une nouvelle réalité, dans laquelle les vérités d’un passé récent ne seront plus aussi pertinentes aujourd’hui et demain.
La contrainte majeure aux échanges internationaux de marchandises et de personnes à laquelle nous assistons, quand bien même elle baisserait en intensité lorsque la pandémie sera maîtrisée, vient accélérer une tendance préexistante de relocalisation des relations économiques qui privilégie des circuits courts de production et de distribution.
Cette tendance, encore minoritaire, s’inscrit en opposition à l’extrême séparation des maillons des chaînes de valeur internationales, rendue possible par les économies d’échelle massives dans le transport des marchandises et des personnes qui ont permis de localiser les unités de production dans les espaces économiques présentant la meilleure compétitivité prix. Cette relocalisation a trouvé son expression politique dans le slogan du président Trump « America First ». Elle devrait s’accentuer partout dans le monde.
Il deviendra plus compliqué de vendre des produits à des consommateurs lointains, et plus indiqué d’en vendre à ses voisins
Les conséquences logiques de cette nouvelle situation sont importantes. Pour les pays disposant d’économies matures et diversifiées, la nouvelle ère pourrait se traduire par une augmentation des emplois locaux, une réduction du chômage et une augmentation des opportunités pour les travailleurs actifs les moins qualifiés, contrebalançant une tendance à la délocalisation qui a prédominé durant les trois dernières décennies (1990-2020). Le pendant de cela devrait logiquement être une réduction des marges bénéficiaires des détenteurs de capitaux, qui pourrait se traduire à terme par une réduction des inégalités.
Pour les pays en voie de développement qui misaient sur le dumping salarial pour attirer des industries et des emplois des chaînes de valeur mondiales (Éthiopie, Bangladesh…), il pourrait se révéler difficile de répéter le modèle qui a fait le succès de la Chine au cours des trois dernières décennies.
Pis, pour les pays spécialisés uniquement dans l’exportation de commodités à faible valeur ajoutée et dépendant des importations pour satisfaire la consommation de leurs populations, la situation risque de devenir intenable. Leurs exportations vont perdre en valeur, et leurs importations vont se renchérir. Les chaînes d’approvisionnement vont également être remodelées. Il deviendra plus compliqué de vendre des produits à des consommateurs lointains, et plus indiqué d’en vendre à ses voisins. Les espaces économiques dans lesquels les relations commerciales internes sont importantes réussiront mieux que ceux qui exportent l’essentiel de leurs biens et services chez des consommateurs aux institutions et aux règles commerciales distinctes.
Ceux qui joueront la carte de l’isolationnisme dans cette ère s’exposeront à une baisse de leur niveau de vie
Les champions de la nouvelle période seront les pays aux économies suffisamment diversifiées pour répondre à la majorité de leurs besoins, les pays qui auront également une ou plusieurs positions dominantes dans des produits d’exportation à forte valeur ajoutée. Certains États africains devraient être capables de bâtir de telles positions.
L’ère de la relocalisation est également une occasion unique de bâtir de nouvelles relations de solidarité et d’interdépendance régulées, dans des espaces de dimension raisonnable permettant de jouer de complémentarités géographiques, économiques et sociales. Ceux qui joueront la carte de l’isolationnisme dans cette ère s’exposeront à une baisse de leur niveau de vie. Ceux qui renforceront la cohérence et la résilience de leur écosystème, à travers de nouveaux mécanismes de solidarité et de cohésion sociale et économique, auront davantage de chances de prospérité.
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