A la recherche de la valeur ajoutée

Au nord, au sud et à l’est du continent se sont développées des filières industrielles de transformation des produits agricoles. Pourquoi n’est-ce pas le cas en Afrique de l’Ouest ?

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 7 minutes.

Bien qu’en Afrique l’agriculture demeure le premier mode de subsistance des populations, le continent n’a pas encore su tirer tous les profits possible de ses matières premières agricoles. La production s’y est développée à mesure que la paysannerie s’appauvrissait, prise dans la tourmente de la fluctuation des prix. Pourtant, au regard des statistiques, les potentialités semblent immenses. Le continent est ainsi le premier producteur mondial de cacao, le deuxième exportateur de coton, et figure parmi les acteurs importants des marchés du café, du thé ou des fruits tropicaux. Malgré cela, les entreprises relevant du domaine de l’agro-industrie réalisent moins de 8 % du chiffre d’affaires des 500 plus importantes entreprises africaines, selon le classement annuel réalisé par Jeune Afrique (voir infographie). Certains pays, comme le Niger, le Mali ou le Burkina, ne possèdent quasiment aucune unité agro-industrielle, celles qui existent se réduisant bien souvent aux simples activités de minoterie ou de filature. À l’inverse, l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, le Zimbabwe font figure depuis longtemps de fleurons en matière agroalimentaire, ces deux pays étant parvenus à développer une industrie de transformation conséquente. Pretoria est ainsi la patrie d’origine d’un géant mondial de la bière, SAB Miller, et compte plusieurs holdings agro-industriels opérant aussi bien dans la transformation alimentaire que dans la distribution, comme Tiger Brands ou AVI. D’autres pays anglophones possèdent une activité agro-industrielle importante, à l’image du Kenya. Nairobi a su développer dès les années 1960 une industrie du jus d’ananas et dynamiser ses exportations de fleurs coupées emballées (l’emballage étant le premier stade de la transformation) au point d’être devenu l’un des plus importants fournisseurs européens.
Le Maghreb, quant à lui, a également su bâtir une industrie de transformation de poids. Le succès du Maroc dans la conserve de sardines, dont il est le premier producteur mondial, en est un exemple (lire p. 50), même si le pays souffre de manière générale d’un retard dans le développement et dans la mise à niveau de ses unités de production. Le royaume chérifien compte quelques-unes des plus importantes entreprises agro-industrielles du continent, comme la Régie des tabacs, qui réalise près de 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires, mais aussi la société d’huilerie Lesieur Cristal, la Centrale laitière et la Compagnie sucrière marocaine de raffinage. En Algérie, la société Cevital, avec ses 750 millions de dollars de revenus, est active dans le raffinage de l’huile alimentaire, du sucre, et dans la production de margarine et d’huile végétale. La Tunisie, de son côté, a réalisé un important travail de mise à niveau en modernisant son industrie au cours des années 1990 et dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union européenne. Résultat : le pays compte quelques belles unités agro-industrielles, notamment dans le concentré de tomates, l’huile d’olive, les produits de la pêche surgelés ou même, de manière plus marginale, dans la production de yaourts, dominée par le groupe français Danone. Ici, comme au Maroc, le secteur textile s’est fortement développé, mais subit désormais de plein fouet la concurrence des pays du Sud-Est asiatique, Chine en tête.
Au sud du Sahara, force est de constater que le bilan des pays francophones est loin d’égaler celui des anglophones. Seuls le Sénégal, dont les usines transforment principalement de l’arachide, de la tomate et du sucre, et la Côte d’Ivoire, malgré les difficultés politiques récentes, figurent aujourd’hui parmi les pays subsahariens disposant d’unités de transformation agroalimentaire. Le cacao ivoirien en a largement bénéficié au point que le pays, premier producteur mondial, transforme aujourd’hui 30 % de sa production et 10 % environ des fèves récoltées au niveau mondial. Après plusieurs années consacrées à l’exportation des fèves non transformées, et face à la baisse des cours internationaux, le choix est fait de broyer une partie des fèves. Unicao est ainsi créée au milieu des années 1980 par le groupe ivoirien Sifca. Suivront d’autres usines, comme Micao ou Saco. Aujourd’hui, les plus grands groupes mondiaux du commerce de cacao, Cargill et ADM, possèdent des unités en Côte d’Ivoire.
D’autres secteurs ivoiriens sont concernés par la transformation. Outre le café ou l’huile de palme, celui de l’hévéaculture, qui permet la fabrication du latex, dans lequel les capacités de première transformation dépassent le niveau de la production. Deux entreprises, la Société africaine de plantations d’hévéas (SAPH) et la Société des caoutchoucs Grand Béréby, dominent ce secteur. La SAPH, qui compte également parmi ses actionnaires le groupe de pneumatiques français Michelin et le fonds d’investissement AIG Infrastructure Fund, appartient à Sifca qui fut un temps, avant la libéralisation de la filière cacao en 1999, un fleuron national, le premier groupe agro-industriel du continent (hors Afrique du Sud) et la première société cacaoyère mondiale.
Dans les autres pays francophones subsahariens, en revanche, les unités se font rares et leurs interventions ne dépassent que très rarement le stade de la première transformation. L’un des problèmes qui explique le faible développement de l’industrie en général et de l’agro-industrie en particulier touche à la question énergétique. Le kilowattheure coûte aussi cher, et parfois davantage, au Mali, au Niger, au Burkina, au Sénégal et en Côte d’Ivoire qu’en France, alors que les revenus y sont près de cent fois inférieurs. « L’électricité au Mali est bien plus chère qu’en Europe, elle est probablement la plus chère d’Afrique de l’Ouest », ajoute Jean Ferber, directeur général de la société malienne de filature Fitina, une usine, qui, à peine créée, a dû s’arrêter de longs mois en raison des difficultés d’approvisionnement liées à la crise ivoirienne, avant de reprendre ses activités il y a peu.
Le problème de compétitivité de l’agro-industrie africaine ne se limite pas aux excès des coûts de facteurs de production. « Ici, au Sénégal, le prix de la main-d’uvre est plus élevé qu’au Maroc. Un employé coûte 2 dollars de l’heure, contre 0,6 dollar de l’heure en Chine », souligne Donald Baron, directeur général de la Socas, une usine de fabrication de concentré de tomates. Rien d’étonnant, alors, à ce que les rares tentatives faites en matière agro-industrielle se soient soldées par un échec en Afrique de l’Ouest. Ainsi, dans la région où se trouvent les principaux exportateurs de coton africain, 21 des 44 usines pour transformer l’or blanc créées entre 1960 et 2004 sont aujourd’hui à l’arrêt. Les autres survivent, incapables de concurrencer sur le marché local les importations de textile chinois. « L’un de nos principaux problèmes réside dans la concurrence des importations légales en provenance d’Asie, qui sont vendues moins cher, et des importations illégales qui entrent sur le territoire sans contrôle », explique Donald Baron. L’activité sucrière, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, en est une des victimes classiques, tant les importations frauduleuses par la mer ou par la terre sont devenues une spécialité
La question des débouchés assombrit encore le tableau. Faute d’un marché local suffisamment développé, et alors que les normes se complexifient en Europe et aux États-Unis, comment faire ? Caroline Thulliez, responsable Afrique de l’Association pour le développement des échanges internationaux de produits et techniques agroalimentaires, livre son analyse : « Il n’y aura pas de problème de débouchés lorsqu’il y aura mise aux normes en matière d’étiquetage, d’emballage Le principal problème des industriels, c’est de financer cette mise à niveau. Les banques sont trop chères et les autres financements vont soit aux très grandes entreprises soit aux tout petits projets. Faute de production locale, il faut même que les industriels importent les bocaux dont ils ont besoin pour conditionner leurs produits », souligne celle qui est également coordinatrice en France de l’Association Afrique Agro Export (Aafex), qui regroupe environ 80 opérateurs agro-industriels et dont le siège est à Dakar.
Coûts de fabrication importants, concurrence déloyale, problème de débouchés, financement de la mise à niveau Sur le papier, les difficultés sont telles qu’ajouter à cela les subventions accordées par les grands pays à leurs agricultures devraient définitivement clore le chapitre « agro-industriel en Afrique ». « Veut-on arrêter l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest ? demande Donald Baron, de la Socas. Les dés sont pipés, car les gros pays bradent leurs excédents subventionnés. » Les producteurs africains, et dans leur sillage les agro-industriels, ne disposent pas des mêmes armes. Et ceux qui tentent, comme le Sénégal avec l’arachide, de se prendre au jeu des subventions ou du protectionnisme doivent s’attendre à sentir la pression des institutions internationales, Banque mondiale ou Organisation mondiale du commerce en tête. Des organisations qui, pourtant, prêchent inlassablement en faveur du libre-échange ! Que resterait-il de l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest une fois les frontières ouvertes à la libre concurrence.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires