Aguemoune attend le retour du fils prodigue

Publié le 19 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Le poster géant se trouve juste derrière le comptoir. Il porte une dédicace rédigée au feutre noir : « À ma famille et à mon cousin Rabah ». Signée : « Zidane ». Sur les murs rafraîchis de l’épicerie, ce poster, quelque peu écorné et passablement jauni, trône comme une icône. S’en séparer serait un sacrilège. « Cette photo est aussi sacrée que l’est Zizou », vous diront les habitants du coin. Nous sommes à Aguemoune, village natal du père de Zinédine Zidane, un hameau perché sur le pic d’une chaîne de montagnes qui tutoient les nuages. Dans ce patelin de la petite Kabylie, peuplé d’à peine une vingtaine de familles, on n’est pas peu fier de la réussite de Zizou. « Ici, comme dans toute l’Algérie, Zidane est un géant. Nous l’aimons pour tout ce qu’il est : un grand footballeur, un enfant du pays et un homme au grand cur », déclare Rabah, ledit cousin. À 43 ans, ce chômeur a une occupation à plein temps : il gère les affaires de nombreux parents émigrés en France et veille, en particulier, sur les biens de la famille Zidane. C’est Rabah qui a notamment supervisé la construction de la villa de couleur blanche que le père de Zizou, Smaïl, a fait construire non loin de la vieille maison familiale, qui menaçait de s’écrouler avant d’être restaurée. « Je suis le gardien du patrimoine, poursuit Rabah. Je suis en contact permanent avec le père. Quant à Zinédine, il m’appelle de temps à autre pour demander des nouvelles. Il ne parle pas kabyle, mais il a promis d’apprendre la langue de ses ancêtres. »
Si certains ont rompu les liens avec la terre natale, Smaïl ne s’est jamais coupé de son village. Chaque année, il rentrait de Marseille avec femme et enfants pour y passer les vacances d’été. « Avant, Zizou venait presque tous les ans, se souvient Rabah. Nous passions de longs moments à jouer au foot dans les rues poussiéreuses du village. Quand une voiture passait, il fallait arrêter le match pour dégager le chemin. Seul contre tous, il dribblait comme un Brésilien. Mais depuis 1986, il n’a plus remis les pieds ici. C’est normal, il est devenu une star mondiale. » Une star certes, mais de celles qui n’oublient pas leurs racines, car Zidane envoie régulièrement des dons de vêtements au profit des écoles des villages alentour. Il se fait un plaisir de dédicacer pour ses admirateurs des centaines de cartes postales, ainsi que des posters que son père se charge de ramener durant ses voyages. « Zidane disait souvent que le pays lui manque, raconte Rabah. Maintenant qu’il va prendre sa retraite, nous espérons le voir au village. Le jour de son retour, nous serons des milliers à l’escorter de l’aéroport vers Aguemoune. Pour célébrer les retrouvailles, nous égorgerons une dizaine de moutons. En attendant, il va nous régaler pendant la Coupe du monde. Mais dites aux autres que Zidane ne joue pas simplement pour l’équipe de France mais aussi pour l’Algérie. »
C’est qu’entre Zidane et l’Algérie, l’histoire d’amour ne s’achèvera pas avec la retraite du champion. S’il n’est pas retourné en Algérie depuis près de vingt ans, Zidane n’en est pas moins attaché au pays qui a vu naître ses parents. À la veille du calamiteux France-Algérie, au Stade de France, il résumait ainsi ses sentiments : « Je pense beaucoup au peuple algérien. C’est le pays de mes parents. Mes origines sont là-bas. J’y ai toujours de la famille. C’est un peuple digne, qui a toujours rebondi malgré tous les problèmes. Les gens sont fiers, et c’est tout à leur honneur. »
Les Algériens vouent à Zidane une admiration teintée de reconnaissance. N’a-t-il pas organisé un match de solidarité entre l’OM et l’équipe de France championne du monde 1998 pour récolter des fonds en faveur des victimes du séisme qui a fait des milliers de morts en mai 2003 ? N’est-il pas le parrain, avec Laurent Blanc, d’une association, Les Enfants du Sahara, dont l’objectif est de fournir aux écoles du Sud algérien du matériel informatique ainsi que l’accès à Internet ? « Zidane n’est pas un simple joueur de foot qui porte le maillot de l’équipe de France, affirme Samir, un autre cousin de la star. Il est aussi l’ambassadeur de la Kabylie et de l’Algérie sur tous les terrains du monde. Lorsqu’on voit des dizaines de drapeaux algériens brandis au Stade de France, à Santiago Bernabeu, ou au Stade Vélodrome, c’est grâce à Zidane. Rien que pour ça, il restera un dieu. »

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