Wade se livre
Le 13 mai, lors d’un raout organisé dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur du Sénégal à Paris, le président Abdoulaye Wade a dédicacé un livre d’entretiens avec les journalistes Jean-Marc Kalflèche (aujourd’hui décédé) et Gilles Delafon, paru chez Michel Lafon sous le titre Une vie pour l’Afrique. De nombreux invités sénégalais – deux avions d’Air Sénégal International auraient été affrétés pour l’occasion – et français avaient répondu à l’invitation.
Si cette « expédition parisienne » subit déjà un feu nourri de critiques venant de l’opposition, à l’heure des émeutes contre la vie chère, le livre lui-même risque de ne pas connaître un meilleur sort. En 445 pages, le vieux routier de la politique africaine retrace en effet sa longue carrière politique sans langue de bois – Dieu merci ! – mais avec un art consommé de la provocation.
Brouilles et retrouvailles
L’enfant de Kébémer y évoque notamment ses difficiles relations avec Léopold Sédar Senghor : « une suite de brouilles, de mésententes, suivies de retrouvailles, la trame de fond restant l’estime réciproque ». Mais aussi avec Abdou Diouf, son prédécesseur, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il en prend pour son grade.
Peu avant le départ de Senghor, raconte Wade, Diouf, le « dauphin présumé », est en plein doute. Il lui envoie un émissaire qui lui transmet le message suivant : « Senghor va partir. Personnellement, je ne peux même pas diriger mon parti, alors à plus forte raison, le Sénégal Je n’ai aucune prétention. Tout ce que je demande à Wade, c’est de ne pas me mettre en prison ni de me contraindre à l’exil. » L’accession de Diouf au pouvoir ? Un « coup d’État constitutionnel », tranche l’actuel président. Seuls « Jean Collin [alors secrétaire général à la présidence, NDLR], Senghor, Diouf et Pierre Biarnès, le correspondant local du Monde, savent ce qui s’est passé ».
Même jugement sévère (et contestable) concernant la catastrophe du Joola, le 26 septembre 2002 : « C´est d´abord de la malchance, parce que le véritable responsable du naufrage est le régime précédent. Depuis 1997, il permettait la surcharge de ce bateau. Malheureusement, l´accident est arrivé pendant que j´étais au pouvoir. Mais je pense que j´ai bien géré. »
Réécrire l’histoire ?
L’ancien opposant recense également ses soutiens africains dans sa longue quête du pouvoir. « Les pays pour lesquels je me suis battu n’ont rien fait pour moi », attaque-t-il. L’avocat du Front de libération nationale (FLN) qu’il fut concède quand même que l’Algérie de Boumedienne l’a « aidé une fois ». De même que le Gabonais Omar Bongo, « un peu, de temps en temps ». À l’inverse, il n’a rien reçu de l’Angola après la mort d’Agostino Neto, son ami.
Autre anecdote savoureuse. Devenu chef de l’État, Wade déclare à l’Ivoirien Laurent Gbagbo : « Je sais que tu reçois très souvent mes opposants [Moustapha Niasse, Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho, NDLR]. Je sais qu’ils viennent de temps en temps quémander de l’argent. Je ne suis pas opposé à ce que tu les dépannes un peu, mais ne finance pas leur campagne électorale. [Â] J’espère qu’il a compris. »
Alors que Senghor est parti sans écrire ses « Mémoires » et que Diouf a choisi un retrait qu’il veut élégant, Abdoulaye Wade est donc résolu à ne rien cacher. Au risque d’être accusé de réécrire quelque peu l’Histoire.
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