Un « immigré » sur la Croisette

Seul réalisateur d’origine africaine présent à Cannes avec Dernier Maquis, le Franco-Algérien signe une oeuvre habile sur les rapports de force entre immigrés et employeurs.

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

Et de trois ! Trois films et trois sélections dans un grand festival, dont deux à Cannes, pour Rabah Ameur-Zaïmèche. En 2002, pour son premier long-métrage, Wesh Wesh, sur l’univers des banlieues françaises, le jeune réalisateur franco-algérien avait suscité l’intérêt au festival de Berlin. En 2006, coup de maître : sa deuxième oeuvre , Bled Number One, était retenue en sélection officielle sur la Croisette, dans la section Un certain regard.
Arrive, mai 2008, un nouveau film intitulé Dernier Maquis, et c’est le retour à Cannes, cette fois dans la plus importante manifestation « parallèle », la Quinzaine des réalisateurs, créée par des cinéastes qui avaient empêché la tenue du festival en 1968, et qui ne sélectionne que des longs-métrages particulièrement originaux. Même s’il est considéré officiellement comme un film français – du fait de la nationalité de la maison de production – et si son histoire se passe dans l’Hexagone, il s’agit là du seul film présenté qui soit  l’oeuvre d’un réalisateur d’origine et de sensibilité africaines – maghrébine plus précisément.
Début mai, à quinze jours de la projection, Rabah Ameur-Zaïmèche était, comme toujours, souriant, sûr de lui et très impatient. Quelques rares privilégiés venaient de visionner une copie de travail de Dernier Maquis sur un grand écran plat de télévision au sein de l’ancienne fabrique de pianos où loge sa société de production, à Montreuil. À peine descendu de sa grosse moto rouge, Rabah Ameur-Zaïmèche était très agité, sautant d’un interlocuteur à l’autre, d’une activité à l’autre au risque de donner le tournis à ses visiteurs et à ses collaborateurs. Il était en train de mettre la touche finale à son film, et les préparatifs de la sortie cannoise avaient sans doute de quoi le rendre nerveux.
À la vue du long-métrage, il paraît pourtant que toute inquiétude excessive était déplacée. Rabah Ameur-Zaïmèche, comme d’habitude présent à l’écran (il interprétait déjà le personnage de Kamel dans Bled Number One), joue le rôle du propriétaire d’une entreprise triant des palettes et réparant des véhicules utilitaires avec pour main d’oeuvre des immigrés – pour moitié des Maghrébins, pour moitié des Subsahariens. Roublard, raisonneur, gestionnaire, le chef d’entreprise en question, bien que cherchant à mettre de son côté ses employés, auxquels il « offre » à l’occasion une mosquée, n’hésite pas à se comporter moins en patron paternaliste qu’en patron de choc quand il s’agit de défendre au mieux ses intérêts les plus matériels. Inutile de préciser qu’une partie desdits employés va donc se révolter et que le déroulement et les dif­ficultés de cette révolte – qu’elle est rude, la lutte des classes en milieu immigré ! – constituent le coeur du film.

Puissance de style
Le sujet, assurément plus linéaire, moins poétique, et surtout plus « politiquement correct » que celui de ses deux premiers longs-métrages, pourra peut-être satisfaire un assez large public mais aussi décevoir un tantinet certains admirateurs du réalisateur. Une fois de plus, cependant, c’est la force des images – souvent superbes -, la manière de diriger les acteurs et de filmer les scènes qui font tout le sel du travail d’Ameur-Zaïmèche, l’originalité et la puissance de son style. Dernier Maquis, plus encore peut-être que Bled Number One et Wesh Wesh, se déroule en effet entièrement sous haute tension dans un univers exclusivement masculin. Mais derrière la simplicité apparente du propos, on peut aussi repérer une analyse plutôt habile des relations sociales et des rapports de force entre patrons et employés mais aussi entre Africains du nord et du sud du Sahara aux cultures très différentes. Nul doute que le très exigeant public cannois l’aura aperçue le 16 mai.

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