Ticad, quatrième acte

Ce grand rendez-vous a pour vocation d’agir comme un catalyseur pour appliquer à l’Afrique les succès de l’Asie et renforcer les partenariats entre les deux continents.

Fouad Laroui © DR

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 9 minutes.

« Mobiliser la communauté internationale pour un effort supplémentaire en faveur de l’Afrique » : tel est l’objectif – ambitieux – que s’assigne Yasuo Fukuda, le Premier ministre japonais. Son pays s’apprête en effet à accueillir, à cinq semaines d’intervalle, deux rendez-vous diplomatiques majeurs : la quatrième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad IV), à Yokohama, du 28 au 30 mai, qui devrait battre des records d’affluence puisqu’une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement du continent y sont attendus ; et le sommet du G8, à Toyako, dans la préfecture d’Hokkaido, du 7 au 9 juillet.
Cette quatrième édition de la Ticad, (la première remonte à 1993), a pour thème : « Vers une Afrique qui gagne : un continent d’espoir et d’opportunités ». Organisée en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et la Banque mondiale, elle sera l’occasion de faire le point à mi-parcours sur les Objectifs du millénaire pour le développement, les fameux OMD fixés par le Pnud et adoptés en 2000, qui prévoient de réduire de moitié la pauvreté en Afrique d’ici à 2015. La coopération japonaise, qui s’exprime essentiellement à travers le processus de la Ticad, met traditionnellement l’accent sur des thématiques comme la santé, l’accès à l’eau, la paix, ainsi que le concept « global et englobant », très en vogue du côté de Tokyo, de sécurité humaine. Elle intégrera également, cette année, la lutte contre le réchauffement climatique (voir p.80). « La Ticad est avant tout un lieu de partage d’expériences, un forum pour être à l’écoute de nos partenaires africains, estime l’ambassadeur Masato Kitera, directeur général Afrique au ministère des Affaires étrangères. Cette dimension participative du processus fait toute son originalité. »

Rivalité avec la Chine ?
Même si elles ne figurent pas sur l’agenda officiel, les questions de l’amélioration de la « division du travail » et de l’élaboration d’un « code de bonne conduite » entre les grands bailleurs de fonds occupera une place centrale dans les débats. Car, alors que les flux financiers en provenance des pays riches ont tendance à se tarir, l’arrivée des nouveaux donateurs que sont les pays émergents tels que la Chine, les Émirats arabes unis et, dans une moindre mesure, l’Inde ou la Malaisie, bouscule les habitudes. Les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’inquiètent de voir les nations minières du continent, qui viennent à peine de bénéficier de substantiels allègements de dette, se réendetter auprès d’une Chine qui pratique sans complexes « la diplomatie du carnet de chèques ». Le constat est difficilement réfutable.
Mais derrière la dénonciation, pointe une sourde inquiétude : celle de se faire damer le pion en Afrique par Pékin. Et Tokyo est concerné au premier chef. Car, sous l’effet de la récession économique, son aide publique au développement (APD) a chuté de 40 % en sept ans. Difficile, en effet, pour les gouvernants, confrontés à une dette publique abyssale (elle représente aujourd’hui plus de 170 % du PIB), de justifier devant l’opinion et les parlementaires une enveloppe annuelle de coopération de plus de 10 milliards de dollars d’APD. Résultat : l’archipel a dégringolé de la première à la cinquième place au classement des donateurs, et se trouve maintenant devancé par les États-Unis, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Maigre consolation : la part relative de l’Afrique dans le total de l’aide japonaise a légèrement progressé, et représente environ 15 % de l’ensemble. Problème : la diminution drastique de l’APD nippone risque aujourd’hui de ruiner cet acquis. Influencées par l’ancien Premier ministre Yoshiro Mori (2000-2001), ardent défenseur des relations afro-japonaises, les instances du Parti libéral démocrate (PLD) militent désormais pour un triplement de l’aide au continent. Seront-elles entendues ? Le gouvernement Fukuda a annoncé début avril son intention de doubler l’aide à l’Afrique au cours des cinq prochaines années. Reste à convaincre des parlementaires assez réservés et une opinion sceptique. La partie n’est pas gagnée.
En attendant, les maîtres d’Âuvre de la coopération nippone doivent s’adapter aux restrictions budgétaires. L’Agence japonaise pour la coopération internationale (Jica), qui consacre 24 % de son budget à l’Afrique (contre 14 % en 2004) et dispose de 30 bureaux et 800 volontaires sur le continent, va fusionner avec la Banque japonaise de coopération internationale (JBIC) afin de dégager des synergies. « Nous allons élargir le champ de nos priorités au microcrédit et aux infrastructures, déclare Tsuneo Kurokawa, directeur général et responsable Afrique de l’agence. L’extension du port de Mombasa, au Kenya, ainsi qu’un ambitieux programme de construction de routes en Namibie se feront sur financements japonais. » Mais, au-delà de ces mesures, une des parades imaginées consistera à se focaliser sur l’assistance technique, domaine dans lequel la Jica dispose d’une expertise reconnue, en favorisant les transferts de technologie. Autrement dit, dépenser mieux en dépensant moins. Une aubaine pour un pays comme la Tunisie, très demandeur de ce type d’actions, qui a par exemple obtenu le cofinancement, à hauteur de 95 millions de dinars (52,7 millions d’euros) du technopôle de Borj Cedria, spécialisé dans les sciences et technologies de l’environnement. Le site est d’ailleurs dirigé par Salah Hannachi, qui fut pendant onze ans ambassadeur au Japon. Cette coopération haut de gamme, extrêmement profitable à la Tunisie et au Maroc, présente cependant des limites. Tous les pays africains, notamment ceux qui sortent de conflits ou de décennies de crise, n’ont pas de capacité d’absorption suffisante, ni de structures universitaires et industrielles adaptées. Et préféreraient bénéficier d’une aide budgétaire.

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Un processus jugé positif
Les représentants du corps diplomatique africain basé à Tokyo ont constitué en octobre 2006 un « comité Ticad » pour à la fois faire le bilan du processus et peser sur la définition de l’agenda de la Ticad IV. « Les ambassadeurs du continent n’avaient pas été associés aux débats préparatoires à la Ticad III, et nous ne voulions pas que cet oubli se répète cette année », explique Stuart H. Commerbach, ambassadeur du Zimbabwe et président du comité. Ils ont obtenu gain de cause. Et pu pointer ce qui représente, à leurs yeux, la grande insuffisance d’un processus qu’ils jugent néanmoins très positif : la trop faible implication du secteur privé de l’archipel. « Au cours de la Ticad III, le Japon a été à l’origine d’une excellente initiative : la création d’un forum d’affaires afro-asiatique, poursuit le diplomate zimbabwéen. Mais aucune entreprise japonaise n’a daigné participer à la première édition ! Nous pensons que le gouvernement peut faire plus, et donner davantage d’impulsion politique pour entraîner le secteur privé. Et s’inspirer de l’exemple français : les hommes d’affaires nationaux sont systématiquement conviés lors des déplacements africains du chef de l’exécutif. » L’idée commence à faire son chemin : en 2007, une cinquantaine de patrons japonais ont accompagné Shinzo Abe, le prédécesseur de Yasuo Fukuda, pendant son voyage en Égypte. Malgré tout, la part de l’Afrique dans le commerce extérieur japonais reste inférieure à 2 %, et les échanges commerciaux entre l’archipel et le continent ne s’élèvent qu’à 20 milliards de dollars. En outre, l’Afrique du Sud, premier partenaire africain du Japon, contribue à elle seule à 50 % de ce total. Quant aux flux d’investissement, ils sont dérisoires comparés à ceux en provenance de Chine, d’Inde, ou même de Malaisie.

Remobiliser les entreprises
Trop timorées et attentistes, les entreprises du pays du Soleil-Levant ? Quelques firmes font heureusement exception. C’est le cas notamment de Mitsubishi Corporation (à ne pas confondre avec Mitsubishi Motors, le constructeur automobile), groupe qui était à l’origine une maison de commerce et s’est aujourd’hui considérablement diversifié, notamment dans le secteur minier. Disposant de quatorze représentations sur le continent, la société détient 25 % du consortium Mozal, la fonderie d’aluminium mozambicaine. Ce projet industriel, l’un des plus importants jamais réalisés en Afrique australe, a nécessité la mobilisation de près de 2 milliards de dollars d’investissement. « L’alumine est importée d’Australie, transformée au Mozambique, et la production est écoulée principalement en Europe, explique Nozomu Sasaki, manager de la division Afrique de Mitsubishi Corporation. Notre groupe, qui a été partenaire d’Elf au Gabon et en Angola, possède une tradition pétrolière et va se lancer dans l’exploration et la production. Nous avons obtenu quatre permis de recherche en Libye, nous nous intéressons aussi beaucoup à l’Égypte. Nous allons renforcer notre présence en Guinée, où nous avons identifié un important gisement potentiel de minerai de fer et possédons des permis de recherche. » Sumitomo, le troisième plus important conglomérat industriel de l’archipel, qui avait un temps délaissé le continent, s’est lancé, en partenariat avec les groupes Sherritt International (Canada) et Korea Resources (Corée du Sud), dans un gigantesque projet d’extraction du nickel à Madagascar. L’investissement, initialement estimé à 2,1 milliards de dollars, devrait finalement atteindre 3,3 milliards, et le gisement d’Ambatovy devrait permettre de produire environ 60 000 tonnes de minerai par an à partir de 2013.
Pour inciter ses firmes à investir et prospecter davantage, le Japon a annoncé que la Nexi (Nippon Export & Investment Insurance), l’agence d’assurance qui couvre les organismes ­financiers et les exportateurs japonais contre les risques de non-paiement, va tripler le montant de ses garanties en direction de l’Afrique. L’augmentation du volume des échanges doit aussi passer par une plus grande ouverture du marché japonais. « Seuls trois pays, qui sont également trois grandes puissances minières, présentent un solde commercial bénéficiaire : l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et le Nigeria », remarque un diplomate ouest-africain. Le régime commercial de l’Agoa [loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique, NDLR], mis en place par l’administration américaine, a donné d’excellents résultats. Le Japon pourrait s’inspirer de ce mécanisme. Aujourd’hui, 97 % de nos produits peuvent pénétrer hors taxes. Mais ils ne sont pas compétitifs. Et ceux pour lesquels nous disposons d’un avantage comparatif, le sucre ou le riz par exemple, sont soumis à des barrières tarifaires ou non tarifaires. » Minoru Obayashi, professeur d’économie politique à l’université de Kyoto et président de la Ticad Civil Society Forum (TCSF), une coordination d’ONG, regrette pour sa part la dimension trop bureaucratique de la coopération nipponne. Avec d’autres praticiens de l’APD, il a rédigé le Livre blanc sur la politique africaine du Japon, qui est une première tentative d’évaluation. Diagnostic : peut mieux faire.

Un peu trop de bureaucratie
« Nous ne sommes pas assez à l’écoute de la société civile africaine, qui n’a jamais sérieusement été associée à nos actions gouvernementales. Tout n’est pas à jeter, loin de là. Mais l’impact de notre coopération serait plus fort si, dès son élaboration, elle intégrait les attentes des acteurs de terrain. Nos coopérants ont tendance à ne dialoguer qu’avec les fonctionnaires des pays bénéficiaires. » Le lobbying de TCSF n’a pas été complètement inutile : les ONG seront associées à la Ticad IV. Autre critique, récurrente : le caractère ultraréglementé et ultracentralisé de l’aide. Tout doit remonter à Tokyo, et les responsables des agences africaines de la Jica n’ont concrètement aucune marge de manÂuvre. Ils passent leurs journées à faire du reporting. Le professeur Obayashi milite, au sein de 2008 Africa’s Campaign, une association regroupant des décideurs de tous horizons (politiciens, économistes, journalistes, etc.) pour une forte augmentation du volume de l’APD japonaise vers l’Afrique. « Le Japon a fait de grandes choses en Asie, mais les gouvernements successifs étaient aiguillonnés par le lobby industriel, qui avait d’énormes intérêts. Il n’existe pas de lobby semblable pour l’Afrique et aucun intérêt vital ne justifie notre action. La seule base sur laquelle nous pouvons nous appuyer, c’est l’empathie, la solidarité humaine. Nous devons donc impérativement créer et entretenir une base de sympathie au sein de la société japonaise »

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