Sidi change son fusil d’épaule

Exit les technocrates ! Le chef de l’État nomme un nouveau gouvernement qui fait la part belle aux hommes politiques disposant d’une assise populaire.

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

Un an et un mois après son investiture, Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’est rendu à l’évidence : la compétence et la bonne volonté ne suffisent pas à faire prendre la greffe du changement sur les sables mauritaniens. Publiée le 11 mai, cinq jours après la démission forcée du Premier ministre Zeine Ould Zeidane et de son armée de technocrates, la composition du deuxième gouvernement de « l’ère Sidi » fait la part belle aux hommes politiques.
Les deux tiers des trente ministres et secrétaires d’État sont des membres de la première heure du Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD), la formation créée en janvier dernier pour « fixer » les soutiens du chef de l’État pendant la campagne et que dirigeait Yahya Ould Ahmed el-Waghf jusqu’à sa nomination, le 6 mai, à la primature. La tonalité politique de l’équipe est accentuée par la participation de deux anciens partis d’opposition. Après des jours et des nuits de débats internes et de tractations, le Rassemblement national pour la démocratie et le développement (RNDD), le parti « à référentiel islamique » emmené par Jemil Ould Mansour, a fini par accepter les portefeuilles de l’Enseignement supérieur et de l’Emploi. Dans une Mauritanie frappée par le terrorisme djihadiste, l’occasion de se débarrasser de l’étiquette « islamiste » était trop belle. Quitte à modérer son exigence d’une rupture des liens diplomatiques entre la Mauritanie et Israël L’Union des forces de progrès (UFP), de l’ancien militant gauchiste Mohamed Ould Maouloud, qui se disputait le leadership de l’opposition avec Ahmed Ould Daddah, détracteur invétéré de Maaouiya Ould Taya (renversé le 3 août 2005), a, lui aussi, cédé à l’appel de la majorité. Deux de ses membres ont intégré le gouvernement, à la Pêche et à la Santé, et son numéro deux, Bâ Bocar Moussa, décroche un poste de « ministre conseiller » à la présidence. L’Alliance populaire progressiste (APP), de Messaoud Ould Boulkheir, héraut de la lutte contre l’esclavage et président de l’Assemblée nationale, qui avait appelé à voter pour « Sidi » entre les deux tours, continue d’être représentée : à l’Agriculture, à la Jeunesse et aux Sports, ainsi qu’aux Affaires étrangères, où elle compte un ministre délégué.
« C’est un gouvernement d’ouverture sur tous les segments de la vie politique », justifie un conseiller du chef de l’État. En un an, la population ne s’est jamais vraiment sentie représentée par l’équipe de cadres de Ould Zeidane, qui, pour la plupart, n’entretenaient pas de liens avec l’intérieur du pays. Le mécontentement allant grandissant pour cause de crise alimentaire et de dégradation de la situation sécuritaire, « Sidi » a choisi de faire primer l’assise populaire. L’ensemble de l’opposition institutionnelle a été consulté, dont les trois partis qui ont refusé de rejoindre la majorité : le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), d’Ahmed Ould Daddah, l’Alliance pour la justice et la démocratie (AJD), du leader négro-mauritanien Ibrahima Sarr, et le parti Hatem, de l’ancien putschiste Saleh Ould Hanena. Débarrassé des charismatiques Ould Maouloud et Ould Mansour, le trio gagne du terrain.

« C’est un 3 août à l’envers »
Mais en modifiant son cap, le « président du changement » – le slogan de campagne de « Sidi » – a fait ressurgir des figures politiques de cet ancien système qu’il s’était engagé à enterrer. Pour les Affaires étrangères, ministère régalien, le chef de l’État a choisi un ex-Premier ministre d’Ould Taya : Cheikh el-Avia Ould Mohamed Khouna, déchu après la tentative de putsch du 8 juin 2003. À l’Intérieur, régalien également, il a placé un ancien secrétaire général du Parti républicain démocratique et social (PRDS), le Parti-État de l’ère Ould Taya, Mohamed Yehdhih Ould Moctar el-Hacen. Au secrétariat général de la présidence, il a nommé Boidyel Ould Hoummoid, plusieurs fois ministre sous le précédent régime et jusqu’alors directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Mohamed Ould Amajar laisse sa place de directeur de cabinet du président à Cheyakh Ould Ely, un cacique de la politique, jusqu’ici ambassadeur à Rabat. « C’est un 3 août à l’envers », ironise un cadre du RFD, en référence au coup d’État de 2005. C’est en tout cas la conséquence du non-renouvellement de la classe politique depuis l’indépendance, qui, d’après un intellectuel mauritanien, « contraint Sidi à essayer de faire du nouveau avec de l’ancien ». Et un moyen pour le chef de l’État de profiter de l’ancrage populaire des hommes de l’ancien système, qui, à la faveur de leurs liens avec des intermédiaires tribaux et régionaux, pourraient renouer le dialogue avec les Mauritaniens. Un retour aux pratiques traditionnelles, en attendant, espère un chroniqueur, que « Sidi réussisse à imposer l’État en Mauritanie ».

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