Que veut le Hezbollah ?

Emmenée par le parti de Hassan Nasrallah, l’opposition a remporté son bras de fer avec le gouvernement. Mais si le spectre de la guerre civile s’est éloigné, les luttes pour le pouvoir sont loin d’être terminées.

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 6 minutes.

Après deux semaines de violences qui ont fait près d’une centaine de morts, le gouvernement de Fouad Siniora a fait d’importantes concessions à l’opposition. Elles ouvrent la porte à un dialogue national, encouragé par une médiation active de la Ligue arabe. L’opposition, conduite par le Hezbollah, a répondu positivement et rétabli l’accès à l’aéroport de Beyrouth. Cependant, les rivalités pour le pouvoir interne ne sont pas réglées, et le pays reste l’otage de la lutte pour la suprématie régionale entre les États-Unis et Israël d’une part, et l’Iran et la Syrie d’autre part. La semaine dernière, le président George W. Bush a jeté de l’huile sur le feu avec une déclaration particulièrement provocante. « La communauté internationale, a-t-il affirmé, ne laissera pas les régimes iranien et syrien, via leurs séides, imposer au Liban une nouvelle domination étrangère. » Des propos tenus par un président américain qui a activement soutenu Israël dans les trente-trois jours de guerre qui l’ont opposé au Hezbollah libanais en juillet 2006 et dont l’intervention injustifiée en Irak a donné à l’Iran une influence sans précédent, tout en livrant la région aux démons communautaires.
Le Liban est la victime des lubies américaines, de l’agression israélienne et des luttes régionales. Principal espoir d’un retour au calme : le renforcement de l’armée, dont le rôle d’arbitre dans les conflits internes semble accepté par tous. Elle est restée unie et neutre tout au long de la crise actuelle, et s’est engagée à désarmer tous ceux qui veulent continuer le combat.

Désobéissance civile
La crise a éclaté le 7 mai, lorsque le gouvernement de Fouad Siniora, soutenu par les États-Unis – apparemment sous la pression de l’un de ses membres les plus agressifs, le dirigeant druze Walid Joumblatt -, a menacé de fermer le réseau secret de communication par fibres optiques du Hezbollah, qui a permis à celui-ci de résister à l’attaque israélienne il y a deux ans. Le gouvernement a également limogé le colonel Wafiq Chouqair, responsable de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, sous prétexte qu’il était pro-Hezbollah. L’objectif de ces décisions provocatrices peut avoir été de mettre fin à la bonne entente entre le Hezbollah et ses alliés chrétiens, dirigés par l’ex-commandant en chef de l’armée, le général Michel Aoun. La manÂuvre a piteusement échoué. Le Hezbollah y a vu une « déclaration de guerre ». Sans perdre un instant, il a mis en déroute ses adversaires sunnites, occupé Beyrouth-Ouest, fief du dirigeant sunnite Saad Hariri, et chassé les hommes de Walid Joumblatt de quelques villes et villages du Chouf, avant de remettre ces localités à l’armée.
Le Hezbollah a ainsi démontré qu’il était de loin la faction la plus puissante du Liban, et qu’il n’avait aucune intention de s’emparer du pouvoir. Son leader, Hassan Nasrallah, a déclaré qu’il était du devoir du mouvement chiite de protéger son armement et de défendre la légitimité de la résistance. Et qu’il n’accepterait jamais que l’aéroport de Beyrouth devienne « une base pour le FBI, la CIA ou le Mossad ». La solution de la crise, a-t-il ajouté, passe par l’annulation des « décisions illégales » du gouvernement – ce que ce dernier a fait – et la tenue d’un dialogue national, comme y invite Nabih Berri, président du Parlement, chef du mouvement Amal et allié du Hezbollah. « Nous ne voulons faire la guerre à personne », a conclu Nasrallah. Le Hezbollah, cependant, maintient sa pression pour faire chuter le gouvernement Siniora par une campagne de « désobéissance civile », avec le blocage de plusieurs routes, dont celle qui conduit à l’aéroport.
Les conséquences de la crise sont importantes et compliquent encore son règlement. Les sunnites ont été humiliés. Saad Hariri s’étant montré incapable de les protéger, certains peuvent être tentés de se tourner vers des islamistes radicaux, dont on sait qu’ils se cachent dans les camps de réfugiés palestiniens. Ils peuvent perpétrer des assassinats politiques ou d’autres actes de violence. L’impétueux Walid Joumblatt a, lui aussi, perdu la face. Autre conséquence importante de la crise : la constitution d’une alliance de facto entre l’armée et le Hezbollah, qui font cause commune pour résister aux manÂuvres israéliennes. Le Hezbollah s’est forgé un grand prestige en résistant à l’attaque de Tsahal en 2006. Quant à l’armée, aujourd’hui déployée dans le Sud, elle surveille la frontière avec l’aide de l’Unifil.
Le général Michel Souleimane a été porté au commandement de l’armée sous l’égide de Damas, lorsque les troupes syriennes étaient stationnées au Liban. Il a participé à la rénovation de l’armée avec l’aide de la Syrie après la guerre civile de 1975-1990. Il a la réputation d’être un soldat honnête et patriote, et il est peu probable qu’il devienne un instrument entre les mains des adversaires de la Syrie. Mais, comme il s’est tenu à l’écart de la mêlée, il reste une inconnue. Son expérience politique est limitée et personne ne sait quels conseillers il pourrait prendre s’il était élu président.
L’entente entre l’armée et le Hezbollah est un des paradoxes de la situation actuelle, puisque l’armée bénéficie de l’aide des États-Unis. Il est à espérer que, dans un contexte de paix, les forces du Hezbollah soient intégrées à l’armée. Mais tant qu’Israël sera menaçant, le parti chiite restera sur le pied de guerre et ne laissera personne toucher à sa capacité défensive.

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Médiation de la Ligue arabe
Troisième conséquence de la crise : l’aggravation du fossé entre sunnites, chiites et chrétiens. À l’heure actuelle, les chrétiens – environ 30 % de la population (avec une prédominance maronite) – détiennent 50 % des sièges parlementaires. Les sunnites et les chiites, 30 % de la population également pour les uns et les autres – soit un total de plus de 60 % de musulmans si l’on y ajoute les quelque 6 % de la communauté druze -, doivent se contenter des autres 50 % de sièges. Théoriquement, la surreprésentation des chrétiens au Parlement devrait être corrigée dans toute réforme future, ce contre quoi les chrétiens se battront bec et ongles. Pour l’instant, les poids lourds du monde arabe, l’Arabie saoudite et l’Égypte – ainsi qu’un émirat diplomatiquement actif comme le Qatar -, s’efforcent d’aider le Liban à retrouver son équilibre. Ils soutiennent les tentatives de médiation de la Ligue arabe et ont cherché à jouer de leur influence sur les diverses factions libanaises. Mais ils sont gênés par leurs positions ambivalentes. Ils ont des liens étroits avec les États-Unis, mais ne sont pas d’accord avec de nombreux aspects de la politique Bush, notamment son alignement sur Israël et ses déclarations sur l’Iran et la Syrie.
L’Arabie saoudite et l’Égypte s’inquiètent de l’influence régionale croissante de l’Iran, notamment en Irak, au Liban et à Gaza. Ils se méfient de l’évidente dépendance de la Syrie à l’égard de l’Iran. Mais ils reconnaissent aussi que l’Iran est une puissance régionale avec laquelle il faut bien compter. Ils ont donc résisté aux efforts de Bush pour les mobiliser contre la République islamique. Les pays du Golfe, en particulier, ont des échanges commerciaux nourris avec Téhéran et hébergent une importante population iranienne. Ils ne veulent pas isoler l’Iran ni ruiner son économie, comme le souhaiteraient les États-Unis et Israël. Il semble évident qu’une meilleure entente entre l’Arabie saoudite et l’Égypte, d’un côté, et l’Iran et la Syrie de l’autre – sans interférence des États-Unis et d’Israël – contribuerait à apporter au Liban la paix et la sécurité.

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